"Chômeurs, toxicomanes et truands": Farciennes, là où les clichés masquent un futur qui sera vert et créatif ou... ne sera pas
Publié le 03-09-2018 à 07h49 - Mis à jour le 11-09-2018 à 23h10
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Farciennes essaie, pas à pas, de changer son image. Dans les années 80, les fermetures du Roton et de la centrale électrique ont fait grimper le taux de chômage. L’ouverture de l’écopôle pourrait générer près de 3 000 emplois.
La grand-place est longue, très longue, à peine animée par le bruit de l’installation du cinéma de plein air qui doit marquer le début des Estivales, les fêtes communales organisées chaque année à Farciennes à la fin du mois d’août.
Le bon peuple aura droit à une projection des Tuches 3. "Les Farciennois sont des Tuches", diront les moqueurs. Le lendemain, Johnny Cadillac, sosie officiel de feu Jean-Philippe Smet, chauffera le public avant le concert de Noa Moon.
"Les Farciennois préfèrent le premier", rigoleront les taquins. Au fond de la grand-place, le chemin de fer balafre la commune et jouxte l’ancienne maison communale, où une plaque commémorative placée en 1997 par un comité blanc rappelle qu’à Charleroi, tout près, des enfants sont morts. "Dans cette région, il n’y a que des pédophiles", ironiseront les suffisants.
Il est loin le temps où cette très longue grand-place accueillait près de quarante cafés. "Les Farciennois n’ont même plus les moyens d’être alcooliques", préciseront les chafouins. La taverne Le Beaucaire est fermée. Un nom qui rappelle le jumelage gelé entre Farciennes et cette ville française sise entre Nîmes et Salon-de-Provence. Gelé ? Oui, parce que depuis 2014 et l’élection du maire FN, Julien Sanchez, Farciennes ne veut plus de liens fraternels avec la localité qui, au début de la Seconde Guerre mondiale, accueillit des réfugiés farciennois. Des réfugiés que Beaucaire refuse d’accueillir désormais, ayant signé en 2016, la très désagréable charte Ma commune sans migrants. "Les Farciennois sont des fachos… Ha non finalement", constateront les gens honnêtes.
Il y a donc une vie à Farciennes, il y a donc des gens. La commune d’un peu plus de 11 000 habitants est souvent présentée par des clichés. Une bourgade dont on se moque. Qualifiée parfois, par le passé, dans la presse très bruxelloise, de cloaque. Annoncée comme le "Chicago-sur-Sambre". Une localité peuplée de chômeurs, de toxicomanes et de truands. Le trait était forcé, le trait était grossier, si pas vulgaire.
Le dernier charbonnage de Belgique
Les déboires de Farciennes et sa sinistre réputation démarrent au début des années 80. Commune de la Basse-Sambre - déjà, ça part très mal -, entre Namur et Charleroi, proche de Sambreville, d’Aiseau-Presles et de Châtelet, Farciennes taquine la province de Namur, mais est encore dans ce Hainaut post-industriel marqué par les difficultés sociales. Dans les années 80 donc, c’est à Farciennes que le dernier charbonnage du pays ferme ses portes.
Le Roton, dont l’ancienne tour domine encore le paysage. Désormais, elle est la propriété d’un privé qui palpe les redevances versées par les opérateurs de téléphonie mobile qui ont placé des antennes à cet endroit. La commune voudrait bien récupérer le site pour en faire quelque chose. Un petit "Bois du Cazier", par exemple. Mais le prix demandé est trop élevé. Alors, la tour décrépit.
C’est à la même époque que la centrale électrique installée sur la commune ferme aussi ses portes. Avec ces deux fermetures, ce sont plusieurs milliers de personnes qui se retrouvent sur le carreau, au chômage. La commune est à l’agonie. La caricature aidant, on dira même dans les années 90 que les bus "de la Tec", ne pouvaient plus circuler à Farciennes, le soir. Un couvre-feu instauré parce qu’on tirait sur les bus à la carabine. C’était très exagéré. "Une rue était concernée et elle n’était même pas à Farciennes mais à Aiseau-Presles", précise le bourgmestre et député européen, Hugues Bayet (PS).
C’est en 2006 que ce cabinettard socialiste, conseiller communal depuis 2000, prend les rênes du collège. En 2012, réélu, il captera sur son nom les voix d’un cinquième de la population et permettra à sa liste de ravir 19 sièges sur les 21 que compte le conseil. "À Farciennes, il n’y a que des socialistes", diront les opposants politiques.
C’est presque vrai. L’histoire d’amour entre les Farciennois et leur maïeur continuera-t-elle encore six ans ? On est prêt à parier que oui. Face à un tel succès, l’opposition a du mal à se démarquer.
Certains parlent d’un déni de démocratie, oubliant sans doute que ce sont les citoyens qui ont décidé de porter autant de socialistes au pouvoir. Il y a bien une raison à cela. Il y a en a même plusieurs et nous y reviendrons.
Pour tenter de contrer ce bourgmestre très bien élu, le CDH - qui occupe les deux seuls sièges de l’opposition - se présentera à l’électeur sous un autre nom, la "Farcitoyenne". "L’opposition c’est une blague, d’ailleurs ils le revendiquent dans leur nom", disent les socialistes un tantinet moqueurs. Même le PTB ne présentera pas de liste dans cet ancien bastion ouvrier. "C’est pas faute d’avoir tenté de racoler dans les rangs socialistes", exprime un élu.
Voilà Farciennes. "Oui mais au PS ce sont tous des mafieux", continuent de braire les incultes. Sortons un peu des caricatures, traits d’esprit bons ou mauvais et autres vilenies. Farciennes vaut mieux que ça. Depuis douze ans, les choses s’améliorent. Si les chiffres ne reflètent jamais complètement la réalité, ils témoignent quand même d’un net progrès.
En six ans, le taux de chômage est passé de 33 à 19 %. "Les chômeurs ont été emportés par des cirrhoses du foie ? Les drogués ont fait des overdoses ?" insistent les obsessionnels. Non, en créant un pôle emploi. Sa mission ? Démêler les difficultés administratives que peuvent parfois rencontrer ceux pour qui le monde du travail est une légende et ceux qui, à force de refus, n’y croient plus.
Des caméras de surveillance
Une telle baisse du taux de chômage, les ministres wallons de l’emploi qui se sont succédé, en rêvent en se rasant. "Bon d’accord, il y a moins de chômeurs, mais il reste les criminels ?" Bonne question, quoiqu’un peu péremptoire. La criminalité à Farciennes est aussi revue à la baisse. Elle est désormais en dessous de la moyenne belge. La majorité socialiste a sorti les grands moyens.
Des éducateurs de rue sillonnent la commune et des caméras de surveillance ont été installées. "Comment ? Le bourgmestre se dit homme de gauche et il flique ses concitoyens ?" Hugues Bayet s’énerve lorsqu’on lui dit ça : "Pour vivre en solidarité, il est nécessaire de vivre en sécurité chez soi. Lorsqu’on n’est pas en sécurité chez soi, on n’a pas envie d’être solidaire."
Encore un chiffre ? Allez d’accord. La commune a également misé sur la rénovation des bâtiments scolaires. Par an, 50 € par enfant sont octroyés aux écoles : "Quand vous changez l’image d’une commune il faut travailler sur la formation des êtres humains", conclut le bourgmestre.
Et la culture ? "À part la culture du cannabis…" renchérit le bourgeois du sud de Charleroi. À Farciennes, l’activité culturelle est aussi une clé pour comprendre ce qui va mieux. Installé sur la grand-place, le centre culturel est ouvert à tous et propose des activités diverses et variées toute l’année. Spectacles, concerts, ateliers, etc.
Et qu’en est-il du redéploiement économique, le nerf de la guerre au chômage ? Il y a quelques années, un projet de centre commercial est tombé à l’eau. Entre déboires judiciaires, rejet du gouvernement wallon et mauvaise image, Citta Verde a coulé à pic. Depuis, la Sambre a coulé sous les ponts, lavant le projet de tous soupçons. Mais pas question de le relancer tel quel, la création d’un centre commercial dans le centre de Charleroi a plombé l’idée. On nous annonce pourtant un nouveau projet, avec un nouveau promoteur pour la fin de l’année. Commerces ? Logements ? Tourisme ? À la commune on ne sait pas et on attend.
Miser sur le développement durable
Mais le Graal est ailleurs. Lancé il y a dix ans, le projet d’un écopôle s’est concrétisé en ouvrant ses portes, il y a quelques semaines. Installé sur plusieurs communes, le site de 150 hectares doit accueillir des entreprises tournées vers le développement durable. Avec un objectif raisonnable de 3 000 travailleurs d’ici cinq à dix ans, l’avenir de la région et de ses habitants passera par là.
D’ici là, une nouvelle piscine aura vu le jour et le vieux château de Farciennes qui accueillit, en son temps, le roi Louis XIV, sera peut-être devenu "l’abbaye de Villers-la-Ville de la Basse Sambre".
Socialement, il y a encore du travail. La pauvreté est une réalité et l’absence de logement décent doit être prise en compte. Mais les perspectives sont positives. Farciennes, qui a donné à ce pays, Jeff Bodart (chanson), Philippe Maystadt (politique) et Laurent Ciman (football), soit plus que le minimum syndical en matière de personnalités, peut enfin espérer que les clichés qui l’assomment et ceux qui les profèrent, l’oublient un peu.