En cas de saturation des hôpitaux, comment se fera le tri des patients ? "L'âge ne sera pas le seul critère pris en compte"
C’est une situation effroyable que redoute aujourd’hui le personnel hospitalier : celle de devoir peut-être faire face à un dépassement de la capacité aux soins intensifs et de ne pas pouvoir aider chaque patient.
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Publié le 01-04-2020 à 13h01 - Mis à jour le 01-04-2020 à 22h55
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C’est une situation effroyable que redoute aujourd’hui le personnel hospitalier : celle de devoir peut-être faire face à un dépassement de la capacité aux soins intensifs et de ne pas pouvoir aider chaque patient. Où l'âge sera loin d'être le seul critère pris en compte...
A l'heure où certains hôpitaux belges commencent à saturer, une question est sur toutes les lèvres de tout le personnel, celle du tri des patients en cas de saturation. En effet, si la situation venait à s’aggraver, il pourrait manquer de lits en soins intensifs et des fameux respirateurs. C’est à partir de là qu’il faudra choisir quel patient pourra recevoir le traitement.
"On n’est pas encore au point de choisir qui on va soigner. Mais, en fonction de l’état d’avancée de la maladie, les jeunes ont une chance de survie supérieure par rapport aux plus âgés. Malgré les soins optimaux donnés, les gens âgés ont malheureusement beaucoup moins de chances de survivre. On est donc amenés à faire ce choix : on ira vers le patient pour lequel on est le plus efficaces", explique Charles (prénom d'emprunt), médecin hospitalier au CHU Saint-Pierre à Bruxelles et réassigné depuis peu à l'unité Covid-19 de l'hôpital.
Mais sur quels critères se baser ? Face à ce dilemme éthique, l’Académie royale de Médecine de Belgique recommande de suivre les règles d’éthique et les recommandations de la Société belge de Soins intensifs.
Un Score de Fragilité clinique pour déterminer les chances de survie
Chez nous, si 53% des lits en soins intensifs sont actuellement occupés, dans certains hôpitaux, on approche déjà de la saturation. Pour autant, les médecins ont-il déjà dû faire des choix entre les patients ? "Nous n'en sommes pas encore là", assure Jean-Michel Foidart, secrétaire perpétuel de l’Académie de Médecine de Belgique.
"Nous souhaitons que dans certains hôpitaux où la saturation approche, un transfert s'effectue vers des unités intensives qui ont plus de disponibilité. De plus, les médecins en première ligne ne sont pas livrés à eux-mêmes, des recommandations existent et les décisions ne doivent pas être prises dans l'urgence. Dans chaque hôpital, il y a un comité éthique qui édicte les recommandations à suivre, des recommandations nationales et internationales disponibles sur notre site web, ces décisions difficiles à prendre seront planifiées et devront être compatibles avec l'éthique. Les lits de soins intensifs doivent être réservés aux patients pour lesquels une issue positive ou au moins acceptable peut être attendue après la sortie de l’hôpital".
La règle du ‘Premier arrivé, premier servi’, condamnée dans un article récent du New England Journal of Medicine (NEJM 24/03/202), "ne devrait intervenir que très exceptionnellement après évaluation de l’urgence, du besoin impérieux ou non de soins intensifs, du meilleur pronostic et de la chance de récupération". Seuls des critères objectifs et strictement médicaux peuvent être utilisés pour les décisions d’admission et de maintien en soins intensifs en période de saturation de la capacité hospitalière : "Pour les patients plus âgés, outre le critère des soins proportionnés, le Score de Fragilité clinique (CFS) est primordial pour déterminer leurs chances de survie. La population peut être rassurée sur le fait que l’âge, à lui seul, n’est pas un critère éthiquement acceptable. L’âge est couplé avec le CFS", détaille le Secrétaire perpétuel de l’Académie de Médecine de Belgique.
Une note entre 0 et 5 délivrée aux patients
Mais sur le terrain, comment est déterminée cette fameuse note auprès des patients ? "C'est un ensemble de paramètres physiques et comportementaux, cela concerne les capacités de déplacement, cognitives, comme la possibilité de marcher et d'être autonomes. C'est un score de fragilité essentiellement donnée dans les maisons de repos attribuée par les médecins en charge du traitement chronique du patient. On utilise un score situé entre 0 et 5 en fonction de la gravité des déficiences. Entre 3 et 5, il est évident que ces gens ont très peu de chances de survie si on les conduit à l'hôpital et sont dans une situation médicale très défavorable".

Ces critères seront appliqués aux patients infectés par le Covid-19 et ceux qui ne le sont pas, aucune discrimination n’étant possible aux yeux du corps médical. Seuls des critères objectifs et strictement médicaux peuvent donc être utilisés pour les décisions d’admission et de maintien en soins intensifs en période de saturation de la capacité hospitalière. Et qu'en est-il de l'âge dans cette prise de décision ?
"L'âge n'intervient pas, on peut avoir des personnes âgées qui ont toute leur capacité d'autonomie. Et pour deux personnes du même âge, on pourrait avoir quelqu'un de grabataire et un autre tout à fait autonome. Sur le plan éthique, on ne prend pas en compte l'âge mais l'autonomie et son score de fragilité", justifie Jean-Michel Foidart.
"Les médecins sont formés à guérir, pas à prendre des décisions héroïques"
Comme le recommande la SBMI, l’Académie préconise que trois médecins expérimentés dans le traitement de l’insuffisance respiratoire en médecine intensive puissent se consulter lorsqu’une décision de refus ou d’accès prioritaire aux soins doit être prise. Pour finir, l’Académie royale de Médecine de Belgique rappelle que le personnel soignant doit pouvoir poser les gestes nécessaires tels que la réanimation en toute sécurité : le port de masques, lunettes, gants et blouses sont une condition sine qua non dans et en-dehors de l’hôpital.
D'ailleurs, est-on proche d'une saturation en Belgique ? "J'espère qu'on ne devra pas arriver à là. Il est très probable que dans certains pays, on doive arriver à des extrémités de ce genre. La situation est actuellement très tendue pour nos médecins, ils sont formés à guérir et pas à prendre des décisions héroïques. Dans ce genre de situation, il n'y a malheureusement guère d'autres possibilités", rappelle-t-il.