Décolonisation de l’espace public: "Il y a de l’opportunisme de la part de nos élus, ils font de la politique Twitter"
Julien Volper, conservateur au musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, réagit à la polémique autour de Léopold II.
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Publié le 23-06-2020 à 06h54 - Mis à jour le 30-06-2020 à 06h47
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Julien Volper, conservateur au musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, réagit à la polémique autour de Léopold II.
Comment analysez-vous la multiplication d’actes de vandalisme de statues de Léopold II ?
"Je parle ici en mon nom propre. L’impact du mouvement Black Lives Matter en Europe a intégré des sujets de société variés. Dans ce climat très particulier mêlant des revendications très américaines mais aussi d’autres plus spécifiquement belges, les statues de Léopold II semblent avoir servi de catalyseur iconoclaste pour certaines personnes."
Une statue de Léopold II a été vandalisée dans le parc qui jouxte le musée de Tervuren.
"C’est arrivé déjà plusieurs fois auparavant. Le moins que l’on puisse dire est que ce peinturlurage n’est pas seulement un délit, c’est aussi une action peu réfléchie. En effet, ce buste, qui est intégré à un ensemble sculptural, n’est pas un héritage de la période coloniale. C’est une œuvre satyrique du Congo léopoldien créée en 1997 par Tom Frantzen. Son iconographie est pourtant bien expliquée ; notamment sur le site du Musée royal de l’Afrique centrale. Pourtant, elle est vandalisée chaque année, avec cette fois-ci en variante un élégant acronyme ‘fdp’ tagué dessus. Dans le cas présent, on a l’impression que l’on peut contextualiser autant qu’on veut, cela ne changera rien… C’est du vandalisme pur et simple."
Comprenez-vous la volonté de détruire ce qui symbolise le colonialisme ?
"Je ne suis pas partisan d’enlever de la mémoire ni déboulonner des statues. En ce sens j’apprécie beaucoup l’intervention claire de Michel Draguet des Musées royaux des beaux-arts récemment dans la presse. Après, il y a la question de la contextualisation… mais qui aurait la charge de le faire, avec quel sens de la nuance ? Au musée de Tervuren, il y a dans la grande rotonde des statues, comme celles d’Arsène Matton, affichant une symbolique coloniale. Lors de sa réouverture, le musée a fait le travail de contextualisation et placé un panneau explicatif. En 2019, un groupe de l’Onu est venu dire que la Belgique devait aller encore plus loin pour se ‘décoloniser’… Maintenant, en plus du panneau on a placé des tissus imprimés créés par l’artiste Jean-Pierre Müller devant les statues. Quelle sera la prochaine étape ? Dans certains cas, on a l’impression qu’on ira jamais assez loin. Il y a aussi des opportunismes politiques, surtout à Bruxelles."
Des politiques utiliseraient ces événements pour servir un agenda politique propre ?
"Prenez le cas du bourgmestre d’Ixelles (NdlR : Christos Doulkeridis). Il a mis en avant dans la presse le déménagement du buste de l’officier Émile Storms par Marnix D’Haveloose. Son idée était de l’envoyer au musée de Tervuren. Mais comment un bourgmestre pourrait-il quasi unilatéralement envoyer à un musée fédéral une pièce d’un sculpteur fameux classée au patrimoine de la Région Bruxelles-Capitale sans que cela ne pose quelques légitimes questions ?"
Certains politiques se disent favorables à ce que l’on rebaptise les rues Léopold II.
"C’est ce que j’appelle la politique Twitter ou Facebook. Il y a un événement, je réagis et vite. Certains surfent, d’autres laissent faire. L’émotion domine le travail historique. On fait de moins en moins d’action politique intelligente et réfléchie. C’est l’émotion type réseau social qui domine. Je propose aux députés et aux bourgmestres bruxellois qui se disent honnêtement soucieux des questions de sociétés soulevées par le mouvement BLM d’arrêter de faire de la politique spectacle sur le sujet. La création d’un musée bruxellois de l’immigration pourrait être un lieu culturel important pour discuter, servir de lieu de débat. D’autres pays ont déjà franchi le pas en créant des musées de ce type."
En vous suivant, il ne fallait pas déboulonner les statues d’Hitler ?
"Cette comparaison entre statues hitlériennes et léopoldiennes n’a vraiment de sens que si l’on fait de Léopold II un génocidaire, ce qu’il n’est pas. Je ne suis pas un spécialiste de l’art nazi mais, à ma connaissance, il n’y avait pas en Allemagne de grandes statues d’Hitler en place publique. On connaît en revanche des bustes réalisés par Josef Thorak. Or il existe toujours à Berlin dans l’espace public des œuvres de Thorak. On peut aussi relever que l’autre sculpteur favori d’Hitler, Arno Breker, a continué à travailler après-guerre et a même eu comme client Léopold Sédar Senghor (poète et ex-président du Sénégal) ! L’histoire est compliquée… Il existe aussi en Allemagne des œuvres à iconographie clairement antisémite comme la Judensau (la truie des juifs) qui figure sur la Stadtkirche de Wittenberg. Récemment, il y eut une demande de retirer cette œuvre du XIVe siècle de l’église, mais la cour d’appel de Saxe-Anhalt se basant sur la contextualisation historique a décidé de maintenir l’œuvre à sa place."
Comment répondre aux demandes légitimes de membres de la diaspora congolaise ?
"Déjà, en n’en faisant pas une réponse qui serait réservée qu’à une seule partie de la société belge. Léopold II et la colonisation concernent tous les Belges. Il faut remettre l’Histoire, et pas seulement l’histoire coloniale, au cœur de l’éducation et ne pas considérer cette matière comme moins importante que les maths ou lfda physique par exemple. Comprendre l’histoire permet de dépassionner les débats et de dépasser la réponse émotionnelle."