Avortement : la Belgique n’est pas le Texas, mais il reste du chemin à faire
Le Texas vient de rendre l’avortement presque impossible pour les femmes de son État. Si en Belgique l’avortement est dépénalisé depuis 2018, il reste un processus parfois difficile à entreprendre. Et nombreux sont ceux qui réclament une extension du délai, actuellement de 12 semaines maximum.
Publié le 02-09-2021 à 16h30 - Mis à jour le 02-09-2021 à 16h46
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Depuis ce mercredi 1er septembre, l’avortement au Texas est devenu un véritable parcours du combattant. Les femmes texanes ne peuvent désormais plus avorter après six semaines de grossesse, même si le fœtus est le fruit d’un viol. Or, six semaines, c’est un délai raisonnable pour se rendre compte qu’on est enceinte mais c’est insuffisant pour aller au bout d’une procédure d’avortement. Pire encore, les citoyens du Texas sont appelés à dénoncer les médecins qui pratiqueraient une interruption volontaire de grossesse (IVG) après ces six semaines.
En Belgique, l’avortement est autorisé jusqu’à douze semaines de grossesse ou quatorze semaines aménorrhées, c’est-à-dire depuis les dernières règles. Depuis une loi du 15 novembre 2018, l’IVG est totalement dépénalisée en Belgique. En théorie, chaque femme peut donc prétendre à un avortement. Dans la pratique en revanche, les conditions encadrant l’IVG sont telles qu’elles rendent l’aboutissement du procédé parfois difficile…
Concrètement, pour se faire avorter en Belgique il faut se rendre dans un établissement de soin, c’est-à-dire à l’hôpital ou au planning familial (abortus centra en Flandre). Il faut cependant se renseigner à l’avance, ces structures ne proposant pas forcément la possibilité d’un recours à l’IVG. En réalité, quatre avortements sur cinq se déroulent en centre planning familial (CPF) et la procédure y est très encadrée.
Un premier entretien préalable est fixé avec un "accueillant". Celui-ci écoute la femme désirant se faire avorter et l'informe globalement sur l'IVG. Normalement, cet entretien est réalisé "sans jugement, sans banalisation ni culpabilité", comme l'indique la brochure du FPS (Fédération des centres de plannings familial). Pourtant, sur internet, il n'est pas rare de lire des commentaires de jeunes femmes s'indignant de la manière dont elles ont été reçues. Sur Google, Florence écrit par exemple à propos du'un CPF wallon : "Aucun respect ni empathie, manque total d'humanité envers les patients, mon amie qui venait pour des renseignements s'est sentie jugée, agressée tellement le personnel était désagréable".
Une fois le premier rendez-vous passé, un deuxième est pris avec le médecin. Celui-ci informe la patiente sur l’intervention, réalise une échographie pour dater la grossesse et détermine la méthode d’interruption adéquate. Le médecin s’assure également de la détermination de la patiente à vouloir procéder à cet avortement. Un délai de six jours doit être respecté entre ce rendez-vous médical et la véritable interruption de grossesse. La patiente doit alors confirmer sa détermination et signer une déclaration écrite.
L'IVG se pratique ensuite de deux façons : jusqu'à sept semaines de grossesse on parle de méthode médicamenteuse avec la pilule abortive, au-delà c'est une intervention chirurgicale avec la technique de "l'aspiration".
La procédure a donc l'air relativement simple, pourtant elle peut être très difficile. Sylvie Lausberg, présidente du conseil des femmes francophone de Belgique, explique : "Le délai de douze semaines est en réalité très court. Les femmes doivent se rendre compte de leur état de grossesse dans les huit à neuf semaines. Elles doivent ensuite respecter les conditions de rendez-vous mais même dans les CPF qui pratiquent l'avortement, il n'y a pas de médecin pratiquant d'IVG tous les jours, ce qui retarde encore la procédure".
Dans un rapport du 9 mars 2021, la Commission nationale d'évaluation relative à l'IVG présente un bilan sur l'avortement en Belgique entre 2012 et 2019. On peut y lire que l'âge moyen pour un IVG est 28 ans, que la raison principale à l'avortement est le non souhait d'avoir un enfant dans l'immédiat mais aussi, plus étonnant, que chaque année environ 500 femmes se rendent aux Pays-Bas pour avorter. La raison de ce recours à l'étranger est le délai beaucoup plus long fixé par nos voisins. En effet, les femmes peuvent y avorter jusqu'à 22 semaines.
En Belgique, une proposition de loi de 2019 a faillit mener à une extension du délai pour avorter. De nombreux politiques militaient pour allonger à 18 semaines les recours à une IVG. D'après Sylvie Lausberg, cette question du délai est primordial et fait partie des revendications majeures du conseil des femmes francophone de Belgique : "Au Royaume-Uni, le délai va jusqu'à 24 semaines. 18 semaines c'est la moyenne européenne".
Pour Sylvie Lauserberg, il y a une "démission de l'État par rapport à un problème de santé". Elle explique : "Avant la loi de 2018, l'avortement était un délit excusable. Même si la perception légale a changé depuis, il faut encore faire un travail sur la mentalité. Il y a encore des médecins qui force les patientes à écouter le cœur du bébé à l'échographie ou qui leur dise qu'il n'y a pas besoin de faire une IVG puisque vu leur âge elles vont perdre naturellement l'enfant".
Sylvie Lauserberg va plus loin : "Quand on est médecin généraliste ou même gynécologue, il n'y a pas de formation à l'IVG durant le cursus, c'est une formation uniquement en post études". Mais même avec des règles plus souples, un délai rallongé et des conditions d'accès simplifiées il reste un droit absolu : la clause de conscience. Celle-ci permet au médecin, infirmier ou auxiliaire médical de refuser de pratiquer une IVG pour des raisons religieuses ou morales.
Alors que la journée internationale pour la dépénalisation de l'avortement aura lieu le 28 septembre, Sylvie Lauseberg espère que le gouvernement belge prendra ses responsabilités en informant directement la population sur l'avortement plutôt que de laisser cette charge aux associations et CPF.