Les partis traditionnels humiliés, une claque pour les Verts, la poussée des extrêmes: les leçons belges du 1er tour de la présidentielle française
Avec la conjoncture actuelle, la montée du PTB et du Vlaams Belang se confirmerait.
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- Publié le 12-04-2022 à 06h39
- Mis à jour le 12-04-2022 à 06h40
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Si le premier tour de l’élection présidentielle française débouchera finalement, ce 24 avril, sur une répétition du scrutin de 2017, il n’a pas pour autant été sans surprise. Dimanche, l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon, pourtant distancé dans les sondages il y a encore un mois, a presque menacé la participation de Marine Le Pen au second tour. Dans le même temps, les partis traditionnels de gauche et de droite se sont effondrés. Un tel scénario préfigure-t-il ce qui pourrait se dérouler chez nous dans les prochains mois ? Éléments de réponse avec Pierre Vercauteren, politologue à l’UCLouvain, et Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp).
1. Un effondrement des partis traditionnels de gauche et de droite est-il possible chez nous ?
Dimanche, le PS et Les Républicains se sont effondrés. Anne Hidalgo (PS) n'a ainsi recueilli que 1,75 % contre à peine plus de 4,7 % pour Valérie Pécresse (LR). Un scénario encore inenvisageable aujourd'hui chez nous : lors des élections de 2019, les familles socialiste et libérale étaient les mieux représentées. Quid du futur ? "Il y a des éléments fondamentalement différents entre la Belgique et la France, précise Pierre Vercauteren. En France, le jeu et la culture politiques sont beaucoup plus radicalisés, plus tranchés . Les scrutins majoritaires (NdlR : où le premier rafle tout) favorisent cela. Ça n'est pas le cas en Belgique (NdlR : scrutin proportionnel), où l'on observe une dispersion des voix sur un plus grand nombre de formations politiques."
L'autre différence résiderait dans la particularité même du scrutin présidentiel, qui met davantage en avant le candidat que le projet qu'il représente. "En France, le culte de la personnalité est bien plus présent, poursuit Pierre Vercauteren. Au scrutin présidentiel, on vote davantage pour celui qui a la stature présidentielle. Mais on vote également pour certains candidats afin d'en sanctionner un autre. Mélenchon et Le Pen ont ainsi reçu un certain nombre de votes de sanction envers Macron. Aux prochaines législatives (NdlR : en juin), rien ne dit que les Républicains et les socialistes soient aussi bas dans les votes car c'est davantage le projet qui y est mis en avant. Il n'est d'ailleurs pas impossible que Macron n'y obtienne pas la majorité."
Toutefois, admettent nos interlocuteurs, on observe déjà une érosion des partis traditionnels en Belgique. "On l'a vu en Europe, notamment en Italie dans les années 90, ou en Grèce, confie Jean Faniel. En France, cette érosion des partis traditionnels est claire depuis l'élection de Macron en 2017. Et c'est apparu de manière encore plus éclatante dimanche puisque les deux partis classiques sont passés sous les 5 %. C'est un cas paroxystique, extrême, d'effondrement des partis traditionnels. En Belgique, on a plus une situation d'érosion qu'un réel effondrement. Nos partis traditionnels recueillent déjà des résultats qui n'ont plus rien à voir avec ceux qu'ils obtenaient il y a 30 ou 60 ans. C'est certainement le cas pour la famille sociale chrétienne, mais également pour les socialistes, qui ont connu leurs moins bons résultats en 2019. Vooruit (ex-SP.A) n'est ainsi plus au même niveau qu'il y a 20 ans, au temps de Stevaert, Janssens ou Vande Lanotte. Les socialistes restent cependant la première famille politique en Belgique et pourraient le rester malgré la poussée du VB ou du PTB."
L'effondrement des partis traditionnels en France ne devrait donc pas faire tache d'huile en Belgique. "Rien n'est certain, tempère Pierre Vercauteren. D'ici 2024, il y a une éternité en politique. Et beaucoup de choses peuvent se passer. Mais dans un scrutin les gens votent d'abord pour la politique intérieure plutôt que par rapport à ce qui se passe dans un autre pays. Ce n'est pas la chute de la gauche et de la droite classiques en France qui influencera le vote des Belges."
2. Les écolos à la traîne
Malgré l'enjeu climatique, le candidat d'Europe Écologie-Les Verts (EELV), Yannick Jadot, s'est pris les pieds dans le tapis avec à peine 4,63 % des voix. Un tel scénario est-il possible en Belgique ? "Il y a toujours eu des différences de résultat assez nettes entre les écologistes français et belges, précise Jean Faniel. Les écologistes français ont rarement été très forts, en réalité. Côté français, il y a bien eu quelques résultats intéressants aux européennes ou aux municipales, mais l'implantation des Verts est nettement moins forte qu'en Belgique. Je ne pense pas que la défaite d'EELV soit annonciatrice d'une nouvelle dynamique à venir pour Ecolo ou Groen en Belgique. C'est en réalité surtout révélateur d'une différence importante entre les deux pays."
Pierre Vercauteren rappelle quant à lui que le scrutin présidentiel - où l'on vote pour une personne - n'est en rien comparable aux législatives, lors desquelles c'est le projet de parti qui est mis en avant. "Jadot n'est pas parvenu à concrétiser l'essai malgré une actualité climatique inquiétante. Il n'était sans doute pas l'homme de la situation. Mais rien ne dit que les écologistes se ramasseront également lors des législatives (NdlR : au mois de juin). Ils peuvent redresser significativement la barre par rapport à la présidentielle. Dimanche, EELV a surtout été mis en difficulté par le choix de son candidat (NdlR : Yannick Jadot), qui avait une stature présidentiable faible."
Jean Faniel abonde, indiquant lui aussi que le scrutin présidentiel français n'a rien de comparable avec les élections belges. "Si nous avions un scrutin similaire chez nous, on ne sait pas les scores qu'obtiendraient Jean-Marc Nollet ou Zakia Khattabi. Il n'est pas certain qu'ils fassent mieux que Jadot. Ce n'est d'ailleurs pas le but d'Ecolo, qui préfère davantage mettre en avant un projet plutôt qu'une personne."
3. La poussée des extrêmes, chez nous aussi ?
Dimanche, l'extrême droite et la gauche radicale ont cartonné en France. Et la tendance en Belgique était similaire aux dernières élections. "Au scrutin de 2019, les verts ont un peu progressé, mais les seuls gagnants étaient assez nettement le Vlaams Belang en Flandre et le PTB en Wallonie et à Bruxelles, indique Jean Faniel. Ce qu'on voit actuellement en France avec la poussée de Mélenchon et de l'extrême droite, on l'observe aussi en Belgique. Chacun avec son calendrier électoral propre. On a des tendances relativement similaires avec une différence de taille : l'extrême droite en Belgique n'est performante qu'en Flandre et pas à Bruxelles, ni en Wallonie, où la résistance associative et syndicale, en plus du cordon sanitaire médiatique, est bien plus forte qu'en Flandre ou en France, où elle n'existe presque pas. "
Au final, nos deux interlocuteurs se rejoignent sur le fait que les résultats en France n'auront quasiment pas d'impact sur notre échiquier politique belge. Par contre, la conjoncture actuelle (crise sanitaire, baisse du pouvoir d'achat…) est favorable à la montée des extrêmes. "Si une élection devait avoir lieu maintenant en Belgique, il est évident qu'elle déboucherait sur une montée de l'extrême droite en Flandre avec le Vlaams Belang et de la gauche radicale côté francophone avec le PTB."