Ludivine Dedonder, ministre de la Défense, se confie: "On n’a jamais demandé à mes prédécesseurs s’ils avaient eu une formation militaire…"
Ludivine Dedonder revient sur son parcours qui l’a mené de journaliste à ministre fédérale.
Publié le 28-05-2022 à 14h20 - Mis à jour le 28-05-2022 à 14h21
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En octobre 2020, Ludivine Dedonder devient la première femme à prendre la tête de la Défense belge. À l’époque, il s’agit d’un secteur plutôt délaissé car rares sont ceux qui pensent que l’Europe pourrait à nouveau être confronté à une guerre. Moins de deux ans plus tard, les évènements propulsent son poste au cœur de l’actualité. On la retrouve dans son bureau après avoir gravi un escalier flanqué de matériel militaire d’un autre temps.
Quels ont été vos premiers jobs ?
Pendant mes études d’ingénieure de gestion à l’université de Liège, je suis rentrée à la RTBF où j’ai fait des piges, en radio et en télé dans des émissions économiques. J’avais eu l’occasion de rencontrer Paul Galopin, responsable des matières économique, qui cherchait des jeunes. Petite fille, je rêvais de devenir journaliste sportive. J’ai ensuite demandé à faire un stage à la rédaction des sports et ça a été accepté par Michel Lecomte. J’ai eu un pied dedans et de fil en aiguille, j’ai pu travailler sur des reportages football.
À côté de vos études, donc…
Oui, à mi-temps. Une fois diplômée, on m’a proposé d’être assistante à l’université dans la matière logistique. Je donnais aussi des cours le soir, je corrigeais les examens. Il faut savoir que la matière logistique est essentielle dans les matières de la Défense.
C’est-à-dire ?
Il faut prévoir comment déployer le matériel, les véhicules, les rations, le fioul… Si la Russie a été fort ralentie en Ukraine, c’est notamment parce qu’elle s’était mal préparée sur le niveau logistique.

Revenons à vous. Comment êtes-vous arrivée en politique ?
Comme j’avais accompli mes rêves de journaliste, j’ai eu l’opportunité de rentrer au cabinet de Michel Daerden via une personne qui travaillait à son cabinet et que j’avais rencontrée en préparant des émissions économiques. Jacques Malpas m’a dit qu’il recherchait quelqu’un comme moi et je me suis dit "pourquoi pas".
Adieu le journalisme ?
J’étais au cabinet Daerden la semaine et le week-end je présentais des émissions sportives pour la télé locale. Parce que c’était fun. Je continuais à aller sur le terrain, dans les clubs sportifs. D’implication en implication, on s’intéresse à tout ce qu’il se passe et on finit par se présenter aux élections communales. C’est ce que j’ai fait en 2006. J’ai réalisé un très bon score pour une première participation qui m’a valu d’être échevine pendant 13 ans.
Est-ce que votre carrière de journaliste vous a aidée sur le plan politique ?
Pour l’élection communale, ça a permis effectivement d’être connue et d’être élue avec autant de voix. Ce n’était pas fait dans cet objectif, mais quand vous êtes l’une des présentatrices de la télé locale, les gens finissent par vous connaître.

Puis on arrive aux élections fédérales de 2019…
J’ai fait tout une série d’élections régionales et communales où j’ai fait de très très bons scores, mais en fonction de la place sur la liste, on n’héritait pas nécessairement du pot. Aux élections fédérales, Elio Di Rupo m’a fait confiance et j’ai fait 17 000 voix.
Arrivée à la Défense, un milieu réputé comme viriliste et machiste, vous avez essuyé un certain nombre de critiques sexistes. Comment avez-vous vécu ça ?
Je vis toujours très bien ça. J’ai beaucoup travaillé dans des milieux masculins. Il n’y a pas beaucoup de femmes dans le football… au contraire, c’est d’abord une grande fierté d’avoir été désignée. Quand Paul Magnette a choisi de me mettre à la tête de ce département, l’idée était de casser les codes. Et de dire : ‘on veut une défense moderne qui soit le miroir de la société’. Au niveau de l’accueil en interne, j’ai été très bien accueillie. Des gentlemans. Les critiques, ils ne me les ont pas dites. (Rires)
Et chez les généraux ?
Il y avait une femme quand je suis arrivée et elle a pris sa pension. J’espère qu’il y en aura de nouvelles. Pour le reste, les critiques de l’opposition… ça ne me fait pas plaisir, mais en même temps, c’est risible. Quand on n’a pas de critiques sur le fond, on essaie de faire le buzz sur la forme. Les critiques portant sur ma formation militaire… jamais un de mes prédécesseurs n’a eu de formation militaire, mais on ne lui a pas posé la question parce que c’était un homme. Ça veut dire quoi ? Que parce qu’on est un homme, on a d’office fait son service militaire ? Il y avait une connotation forcément sexiste. On formulait des critiques alors que je n’étais pas encore en place. Et aujourd’hui, on ne peut que reconnaître que mes paroles sont devenues des actes. Recrutements, revalorisation salariale, plan service renseignement… on reconstruit la Défense ! Si vous vous arrêtez aux critiques sur la forme, vous ne vivez plus. J’ai vécu un moment dans ma carrière d’échevine où j’étais très fort critiquée sur les réseaux sociaux. Un jour, mon garçon m’a demandé : ‘Pourquoi tu as l’air toujours triste maman ?’ Je regardais ces commentaires et ça a été un déclic. Je me suis dit : ‘on va voir les résultats des prochaines élections’. Si les résultats sont en demi-teinte, j’arrête. Les résultats ont été extraordinaires et j’ai continué. J’étais la plus jeune échevine quand j’ai été nommée à Tournai et il a fallu que je me crée une carapace.

"Mes grands-parents et mes parents m’ont transmis leur force de travail, l’idée qu’il faut étudier pour réussir"
"Dans la famille Dedonder, on est tournaisiens depuis plusieurs générations. Maman avait un magasin de vêtements pour dame et papa un restaurant." Fille unique, Ludivine Dedonder aime discourir sur la valeur travail qui lui a été inculquée par cette éducation laborieuse. La politique ne s'invitait pas à la maison. Le travail, c'était sept jours sur sept. "Mes grands-parents et mes parents m'ont transmis leur force de travail, l'idée qu'il faut étudier pour réussir. Il y a toujours eu chez mes parents et chez moi cette envie de rendre service. Quand j'ai eu l'occasion de rentrer au PS, je n'ai pas hésité car ces valeurs-là me correspondaient au mieux. À l'école, dès qu'il y avait une cause injuste, j'étais la première à me manifester", se remémore la ministre pour qui la notion de socialisme est associée à la lutte contre les injustices. "Le socialisme, c'est la proximité avec les gens. Il s'agit de comprendre leur réalité et de pouvoir leur apporter des solutions." Aujourd'hui, la Tournaisienne est maman et elle est mariée à Paul-Olivier Delannois, le bourgmestre PS de Tournai, également surnommé "le shérif" pour son goût pour les tours de vis sécuritaires.