Après des chars de combat, des avions de chasse envoyés à l’Ukraine ? “On se rapproche de plus en plus de la ligne rouge vis-à-vis de la Russie"
Alors que la livraison de chars lourds à l’Ukraine vient d’être validée, l’hypothèse de l’envoi d’avions de chasse serait sur la table d’un certain nombre de responsables ukrainiens, américains et européens. Pour quelles conséquences ? On fait le point avec Wally Struys, professeur émérite à l’École royale militaire et économiste spécialisé dans la Défense.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/9a65cfe0-1da5-4444-a30b-1af2ed95b52f.png)
Publié le 30-01-2023 à 13h04 - Mis à jour le 30-01-2023 à 15h47
:focal(545x371.5:555x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/ZUOGJ5HNDRGDJJ5HIUZ4NHTSKU.jpg)
Les avions de chasse seront-ils la prochaine arme dans la lutte contre la Russie ? Le vice-ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andriy Melnyk, a en tout cas appelé à la création d’une “coalition d’avions de chasse” pour fournir à l’Ukraine des F-16 et des F-35 américains, des Eurofighters, des Tornados, des Rafale français et des Gripen suédois. En clair, tout ce que l’Union Européenne et l’OTAN pourraient avoir de disponible.
Alors que le feu vert vient à peine d’être donné, après des semaines de tergiversations, concernant l’envoi de chars Leopard 2 en Ukraine, Olaf Scholz a redoublé de prudence pour justifier sa décision. “Nous faisons ce qui est nécessaire et possible pour soutenir l’Ukraine, mais nous empêchons en même temps une escalade de la guerre, vers une guerre entre la Russie et l’OTAN”, affirmait dans la foulée le chancelier allemand devant le Bundestag, la semaine passée. La double inquiétude du chancelier et de toute l’UE est claire : apporter un soutien notable à l’Ukraine tout en évitant un conflit direct avec la Russie.
Convaincre les États-Unis
C’est d’ailleurs la ligne directrice que les Occidentaux tentent de suivre depuis le début de l’invasion russe, voici bientôt un an. En matière de défense aérienne, plusieurs responsables américains et européens ont quant à eux assuré que la porte n’était plus fermée à l’envoi d’avions de type F-16. Les Pays-Bas et la Slovaquie ont par exemple pris parti en faveur de cette hypothèse. Mais elle est loin de faire consensus.
“C’est un élément qui risque d’augmenter l’escalade de la guerre vis-à-vis de Moscou, pointe du doigt Wally Struys, professeur émérite à l’École royale militaire et économiste spécialisé dans la Défense. Il y a quelques mois, on avait déjà parlé d’une ligne rouge à ne pas dépasser avec la livraison de chars lourds et pourtant, ils sont en train d’être livrés. On voit que la ligne rouge recule de plus en plus mais à un moment donné, elle cessera de reculer mais sera franchie. Quand on parle de ligne rouge, on parle bien évidemment du fait de considérer que la Russie est attaquée par l’OTAN, et il faut être prudent avec un dirigeant comme Poutine car on ne sait jamais ce qu’il peut avoir en tête”.
Dans le viseur de Kiev, les F-16 sont ciblés. Pourquoi ? Pour leur polyvalence et leur coût, relativement intéressant. Considéré comme ultra-modernes et sans cesse modernisé, il est également plus performant que le vieux MiG-29 soviétique de leur armée. “Il peut en effet réaliser n’importe quelle mission et ce à moindre coût, indique l’expert. Mais avec des avions de combat, il est plus facile pour l’armée ukrainienne d’aller attaquer des rassemblements de troupes ou des centres logistiques sur le territoire russe”.
”Nous ne pouvons plus donner ce que nous n’avons plus”
Mais avant de pouvoir les envoyer, il faudrait un accord des États-Unis, son fabricant. “Pour qu’il y ait cet accord, il doit aussi y avoir des promesses autour des conditions d’utilisation, qui permettront ou pas de les fournir, poursuit-il. Et une de ces conditions pourrait être de ne pas franchir la frontière russe. Mais quand un conflit est aérien, rien n’est impossible et ils pourraient évidemment le faire. A mon avis, si des responsables politiques et militaires en parlent publiquement, c’est qu’il y a déjà eu un certain nombre de discussions en interne, via des préaccords notamment”.
La composante air de l’armée belge, qui a commandé trente-quatre F-35 (dont les premiers appareils sont attendus d'ici 2025), dispose de 54 F-16 comme avion de chasse principal.
Toutefois, d’après Wally Struys, nos besoins en termes de défense aérienne sont tels par rapport à nos capacités, qu’on ne pourrait pas se départir d’un nombre important de nos avions de combat. “Il faut déjà préciser qu’ils ne sont pas tous opérationnels d’après les dernières informations données par le commandant de l’état major de la force aérienne. De plus, pour assurer notre sécurité aérienne, que nous menons avec les Pays-Bas, il nous en faut une cinquantaine. Si les Pays-Bas évoquent le fait d’en envoyer en Ukraine, c’est qu’ils en disposent plus et qu’ils n’ont pas subi comme nous un désinvestissement au sein de leur armée comme nous depuis 1983. Le plan de redressement de notre armée n’a commencé qu’en 2019 avec le Plan STAR, et ce n’est qu’un plan de rattrapage. Au niveau de notre aide apportée à Kiev, on a déjà donné beaucoup plus que ce qu’on avait avancé il y a six mois, on doit aussi penser à nos stocks et nous ne pouvons pas donner ce que nous n’avons plus. En tout cas, ce qui est important aujourd’hui avec cette réflexion aérienne, c’est qu’il faut éviter que des pays avancent en cavalier seul comme le font certains pays de l’Europe de l’est, on doit avancer de manière groupée et unie pour ne pas provoquer une escalade du conflit”.