Avec Jean-Yves et Nadine, le MR fait appel à des profils imaginaires sur les pensions et irrite la gauche

Après Deborah la caissière de Nieuwpoort, Walter le libraire de Wavre ou Emma l’infirmière du PTB, voici Jean-Yves et Nadine, respectivement chômeur et indépendant.

Georges Louis Bouchez a isolé des cas rares pour appuyer son discours sur les pensions.
Georges Louis Bouchez a isolé des cas rares pour appuyer son discours sur les pensions. ©© Bernard Demoulin

De nouveaux challengers ont rejoint la guerre des pensions qui secoue le gouvernement fédéral. Après l’introduction d’une pétition côté PS et côté MR, les libéraux francophones introduisent des personnages imaginaires pour faire pencher le débat public dans leur sens.

Mercredi, le président du MR Georges-Louis Bouchez a partagé un visuel comparant la situation de Stéphane, chômeur depuis ses 18 ans et Myriam, qui a travaillé de ses 23 à 65 ans. Outre le fait que les deux personnages n’existaient pas – leurs photos viennent de banques d’images – , il a été reproché aux libéraux de prendre des exemples irréels. Il n’est par exemple pas possible d’obtenir un droit au chômage à 18 ans puisqu’il faut d’abord avoir travaillé 312 jours au cours des 21 mois précédant la demande.

Qu’à cela ne tienne, le MR est revenu à la charge le lendemain avec de nouveaux exemples. Jean-Yves a travaillé 1 an et chômé 29 ans, ce qui lui permettra de toucher une pension minimum de 1091 euros bruts par mois. Nadine est indépendante. Elle a travaillé et cotisé pendant 29 ans, mais elle ne pourra percevoir qu’une pension de 865 euros bruts par mois.

À nouveau, une recherche inversée sur Google permet de retrouver sur des banques d’images (Adobe Stock et Envato Element) les profils employés par le MR.

”Nous avons fait ça pour que le public comprenne mieux ce dossier très complexe”, explique la porte-parole du parti. “Cela se fait souvent en publicité. On prend des cas de figure précis pour illustrer des notions très abstraites et théoriques. Cela permet de décomplexifier la discussion.”

Le dernier numéro de l'Observatoire annuel de la CBC nous apprend que près de 8 Belges sur 10 ne se trouvent pas suffisamment informés pour comprendre le mécanisme des pensions. Ainsi, seuls 61% d’entre eux comprendraient son fonctionnement, à savoir que leurs cotisations financent la pension des seniors d’aujourd’hui.

La thématique du financement de la vie après le travail étant extrêmement complexe, ce n’est pas la première fois que le débat public s’en empare au travers d’exemple bien précis. Sous le gouvernement Michel, la comparaison entre deux amies wallonnes, Virginie et Caroline, avait électrisé les médias. L’une avait travaillé quarante ans mais elle ne percevait que 920 euros de pension mensuelle. L’autre était au chômage depuis 33 ans, mais elle touchait 1 134 euros net par mois euros par mois.

Deborah, Jef, Joe et Walter

Plus récemment, Deborah la caissière de Nieuwpoort a fait les choux gras de la presse flamande après que Conner Rousseau, leader du Vooruit, a cité son exemple pour intervenir dans le débat sur les pensions. Le président de l’Open VLD Egbert Lachaert avait alors répliqué en sortant la carte “Jef”, un patron dans l’Horeca qui ne peut pas accorder d’augmentation à son personnel.

On se souviendra aussi de Barack Obama évoquant le cas, réel, de Joe le Plombier durant sa campagne. Ou encore Walter le libraire de Wavre alpagué par Charles Michel. Ce sont tous des noms très évocateurs qui portent l’imaginaire d’une classe sociale et qui permettent à l’électeur de s’identifier, de se glisser dans la peau du personnage, pour mieux en percevoir les enjeux.

Ici, le MR décide de s’affranchir de la condition du réel pour mieux coller à ses objectifs. Ce qui n’est pas sans rappeler la campagne lancée par le PTB sur les pensions. Le parti d’extrême-gauche avait créé un jeu gamifié qui plaçait l’utilisateur dans la peau d’Emma, une infirmière amenée à faire des choix déterminants pour l’obtention de sa pension.

Là où le MR prêche dans une direction déconcertante, c’est en allant chercher des exemples peu probables de se réaliser, comme n’ont pas manqué de le souligner de nombreuses personnalités de gauche sur les réseaux sociaux. La probabilité qu’un individu puisse toucher le chômage pendant 42 ans sans se faire exclure ni souffrir des dégressivités est quasi nulle. Selon le journal Le Soir, qui est pris comme référence dans l’exemple de Georges-Louis Bouchez, les chômeurs depuis plus de 30 ans ne représenteraient que 0,02 % de la population active, soit environ 1 000 personnes. Néanmoins, le geste a le mérite de soulever l’incongruité d’un mécanisme qui pourrait être revu.

Des exemples peu probables d’exister

Pour avoir le cœur net, nous avons interrogé un spécialiste de la question des pensions.

“C’est tout le problème des exemples qui sont parfois pris dans ce débat”, relève Patrick Wangneur, conseiller en Structurations Patrimoniales et Prévoyance pour la banque CBC. “En théorie, l’exemple d’un homme ayant chômé 29 ans et travaillé 1 an pour toucher 1 091 euros brut par mois est tout à fait correct. Mais dans la pratique, il est peu probable que cela se produise. Au-delà de ça, une indépendante qui aura travaillé pendant 29 ans, si elle est bien conseillée, aurait peut-être pu choisir de travailler un an de plus pour pouvoir bénéficier de la pension minimale. Mais il est vrai que de nombreuses personnes sont mal renseignées et ne savent pas que travailler 30 ans change tout par rapport à 29 ans.”

Le conseiller financier souligne autre chose. “Il est vrai que les années de chômage sont prises en compte dans le calcul de la pension puisqu’elles sont considérées comme des années assimilées qui sont prises en compte dans la carrière. En théorie, quelqu’un qui aurait chômé 45 ans aurait donc droit à une pension complète. Dans la pratique, cet exemple semble peu probable. Je pense qu’il n’y a pas une personne en Belgique qui peut penser qu’il est possible de retrouver du travail à 60 ans en ayant chômé pendant 42 ans. Toutefois, la campagne qui fait actuellement polémique a le mérite de mettre le doigt sur une réalité. Aujourd’hui, notre système de pension est basé sur une carrière qui n’est pas forcément une carrière travaillée. Cela peut être une carrière en partie chômée et cette partie peut être plus ou moins importante selon les cas.”

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