Mohammed Lubbad, la star de TikTok qui a quitté Gaza pour Molenbeek: "Tout ce que j’ai rêvé en 10 ans, j’ai réussi à le réaliser en un an en Belgique"
De Gaza à Molenbeek : voici le parcours inspirant d’un jeune Tiktokeur palestinien qui touche plus d’un milliard de personnes par ses photos artistiques évoquant le blocus du pays. Après avoir vécu trois ans dans un centre de réfugiés en Belgique, ce résident bruxellois devrait obtenir sa nationalité belge cette année.
Publié le 04-03-2023 à 11h00 - Mis à jour le 04-03-2023 à 11h23
"Je suis venu ici pour la liberté, confie d’emblée Mohammed Lubbad. J’étais à Gaza, en pleine guerre et sous les bombes quotidiennes… Je suis d’abord arrivé en Allemagne dans le cadre d’un projet de Parkour (art du déplacement et discipline sportive acrobatique qui consiste à franchir des obstacles urbains ou naturels, par des mouvements rapides, agiles et sans l’aide de matériel, ndlr.). Je gérais en fait un groupe de jeunes, Free Run Gaza, qui faisaient des Parkour, qui sautent, un peu comme les Yamakasis." Mais c’est aussi pour question de… facilités. "En termes de papiers, la Belgique était plus rapide que l’Allemagne pour l’obtention du permis de séjour, explique celui qui a obtenu sa régularisation après trois ans passés (années durant lesquelles il est passé d’entraîneur de Parkour à photographe professionnel) dans un centre de réfugiés de la Croix-Rouge à Sainte-Ode (province du Luxembourg). Et normalement, en 2023, je devrais obtenir ma nationalité belge après 5 ans sur votre territoire."
Pourquoi avez-vous fui Gaza : n’y avait-il vraiment aucune possibilité de rester là-bas ?
"Je n’ai pas fui Gaza… Je suis parti au Liban dans un premier temps pour participer à un programme télé qui s’appelle Arabs' Got Talent et un de mes talents a eu un record du monde au Guiness Book. Ce genre de programme n’existe pas à Gaza, c’est donc la raison pour laquelle je suis parti au Liban (il a d’ailleurs réalisé un court-métrage sur ce parcours jusqu’à Beyrouth, NdlR.). Suite à cela, j’ai reçu beaucoup d’invitations internationales mais à laquelle je ne pouvais pas participer parce que j’ai une identité palestinienne… Un Palestinien est interdit d’aller dans n’importe quel pays arabe. En 2015, j’ai même reçu une invitation pour un programme de la RTBF mais le visa avait été refusé. C’est aussi la raison pour laquelle je suis venu demander mes papiers ici."
Aucun regret d’avoir déposé vos valises en Belgique ?
"Non. Car tout ce que j’ai souhaité et rêvé en 10 ans à Gaza, j’ai réussi à les réaliser en un an ici."
Pourquoi vous êtes-vous installé à Molenbeek ?
"J’avais quelques connaissances, ma communauté TikTok était à 40 % belge et aussi surtout pour une question de budget. J’aurais aimé ouvrir dans le centre de Bruxelles mais c’était hors de prix."
Considérez-vous votre appareil photo comme une arme pour faire passer un message ?
”Plus que l’appareil, c’est mon œil que je considère comme une arme. 99 % de ce que j’ai imaginé est devenu un succès sur TikTok. Le message que je veux faire passer à travers mon art est la cause humaine. Mais aussi la découverte de talents dans des endroits où il n’y a pas moyen de les exprimer. Encore plus dans le domaine de l’immigration que moi-même j’ai traversé.”
En 2010, j’ai fait de la prison et été interdit de faire des spectacles. J’ai dû signer un document qui stipulait que je ne pouvais plus faire de fête ou d’événement à Gaza."
TikTok serait-il un passage obligé pour pouvoir partir de son pays en guerre ?
"C’est un des passages obligatoires car il aide beaucoup en visibilité. N’importe quel réseau social aide. Mais rien ne vaut aussi de travailler sur le terrain, on apprend beaucoup sur le terrain. Je ne partage d’ailleurs que 10 % de mon travail sur les réseaux sociaux. Mon but n’était pas forcément de venir Belgique au départ mais que le monde entier connaisse la situation dans notre pays à travers mon art."
Comment est la situation dans votre pays natal aujourd’hui ?
"C’est très difficile… Les gens survivent, ils ne vivent pas. Ils sont à cran. Ce qui renforce mon envie de faire passer un message à travers mon art : parler pour eux. J’ai participé à de nombreux projets éducatifs et sportifs au pays et les gens me contactent encore pour avoir mon soutien et aide. J’ai organisé un festival une fois à Gaza, un événement lancé via un événement Facebook, et qui a rassemblé 10.000 Palestiniens avec des groupes culturels, des garçons du Parkour, des danseurs et clowns."
Est-il encore possible de faire des événements à Gaza ?
"Je peux faire des festivals depuis Bruxelles oui. Mais cela reste très difficile car je reçois des menaces aussi. Pour les gens, comprendre ce qu’on faisait dans un pays qui est sous blocus et où il y a beaucoup de problèmes, c’est très difficile. On a eu des problèmes avec le gouvernement. Ils ne comprenaient pas que c’était du sport ou de la culture. Ils disaient : vous imitez l’Occident, c’est contre la religion, etc. En 2010, j’ai donc fait de la prison et été interdit de faire des spectacles, ça a été dur. Tu peux réaliser des choses magnifiques mais on ne t’autorise pas à les faire. J’ai dû signer un document qui stipulait que je ne pouvais plus faire de fête ou d’événement à Gaza. Donc à Gaza, je ne peux plus mais ici oui. Même si la situation politique s’est un peu améliorée dans le sens où, même quand on met en avant une culture étrangère, c’est un peu plus accepté à Gaza. On est même devenu une source d’inspiration pour les jeunes à Gaza. Il reste quand même encore beaucoup de pression à travers les réseaux sociaux mais ils aident aussi à dénoncer les traitements. Les consciences sont en train de changer."
Un Palestinien n’est donc pas obligé de fuir son pays pour exercer son métier aujourd’hui ?
"Ils ne sont pas obligés de sortir car ils essayent d’exprimer leur art et talent là-bas. Et la difficulté aide justement à la créativité. Mon expérience en tant qu’entraîneur de Parkour m’a aidé à être autodidacte. Quand on est intéressé par quelque chose, on peut le réaliser et l’atteindre. Quant à moi, je pourrais y retourner pour visiter la famille mais pas pour y travailler."

"C’est TikTok qui est venu me chercher"
"Le message derrière une caméra est un langage universel." Élu meilleur photographe de l’année en 2022 dans le monde arabe, Mohammed Lubbad a réussi à rassembler le plus de followers (3,7 millions sur TikTok) en peu de temps (en même pas deux ans) et brasse une communauté mondiale sur ses réseaux sociaux qui cumule des milliards de vues."
Comment expliquez-vous votre succès sur les réseaux sociaux ?
"La créativité. Je crée toujours de nouveaux messages sous des formes différentes. Je me sens aussi un peu différent des autres. Mon parcours est différent. Ce qui donne aussi un résultat atypique. Je suis aussi très observateur, j’ai étudié à l’université et je pense avoir une bonne capacité à travailler avec et gérer des enfants. Tout comme de découvrir de nouveaux talents. J’ai vécu des expériences bien plus difficiles que d’ouvrir un studio photo comme là où on se trouve. J’ai ouvert un restaurant en 2012 et trois clubs de Parkour. Et c’était bien plus difficile qu’un studio. Et j’ai pourtant toujours tout fait de mes propres mains."
TikTok ne paye pas, c’est moi qui paye TikTok ! Dans le sens où ça me coûte de faire de jolies vidéos"
Votre premier buzz était ce cliché avec des enfants accrochés à des ballons. Quel était votre message derrière ?
"Que les enfants souhaitent la liberté. Ce cliché a été réalisé au centre de réfugiés en Belgique, en 2020 en plein Covid, et il a fait 20 millions de vues. Au moment où j’ai pris la photo, je n’étais pas encore sur TikTok. Je l’avais d’abord partagée sur Facebook et j’ai été contacté par TikTok qui me disait que si je la postais sur TikTok, je recevrais le certificat bleu directement. On était au tout début de ce réseau social, qui a explosé au moment du Covid, mais ce sont donc eux qui sont venus me chercher. Je n’avais que 3 000 followers mais j’ai le certificat dans la foulée."
Et TikTok vous rémunère alors depuis ?
"Non, TikTok ne paye pas, c’est moi qui paye TikTok ! Dans le sens où tout ce que je fais pour réaliser des vidéos, c’est de ma poche. Ça me coûte de faire de jolies vidéos. TikTok aide juste à être visible mais il ramène aussi des clients. Même si j’étais paye, cela ne m’aurait pas aidé à ouvrir ce studio. Mais quand tu viens d’une terre de guerre, tu ne te reposes jamais. On image qu’avec la misère qu’on vit, rien n’est possible alors que si. Cela te donne de l’adrénaline, t’es toujours en alerte. Je ne pense pas que j’aurais été aussi créatif si j’étais issu d’un pays sans guerre."
Mohammed Lubbad va bientôt réaliser une exposition de ses meilleures photos où chacune porte un message et une cause. "Je n’ai jamais signé mes photos car je voulais que les gens sachent reconnaître ma patte sans mon nom."

Son studio photo à Molenbeek : “Ce n’est que le début d’un rêve”
Passionné de sport et de Parkour ("mon adrénaline mais avec laquelle j’ai failli mourir en 2012 en tombant de très haut"), Mohammed Lubbad poursuit toutefois dans cette voie sportive aussi en photos. Dernièrement, l’artiste de 33 ans vient de signer un partenariat avec une marque de voiture de sport (à voir sur son compte TikTok). Mais lui et sa société Lubbad Production (qui crée donc aujourd’hui des emplois) réalisent tous types de photographies : mariages, portraits, événements et on en passe. "Ce n’est que le début d’un rêve, assure cet autodidacte qui a appris tous les aspects de la photographie. J’ai commencé par un petit studio mais je rêve d’un grand espace avec plusieurs pièces pour y créer un studio son mais aussi réaliser des vidéoclips." Celui qui avait suivi des cours de piano plus jeune a développé un sens de l’observation aiguë. "Plein de gens savent chanter donc j’ai vraiment en vie de développer cette idée de découverte de talents et de leur donner l’opportunité d’enregistrer leur voix ici.” Et Mohammed Lubbad, grâce à des projets photos avec les ambassades ou autres vidéos clips, a décidé de mettre les moyens pour y parvenir. "En ce moment, j’ai plus de 10 caméras différentes dont un drone pour un budget avoisinant les 100.000 euros, conclut celui qui avait aussi travaillé dans une usine de vêtements et pour pouvoir investir dans ce matériel. Pour démarrer, j’ai aussi reçu le soutien d’un businessman palestinien, qui vit ici sur Bruxelles, qui a cru en moi et m’a offert ma première caméra."
