Le confinement, c’était il y a trois ans: "J'aurais préféré qu'on prenne des mesures beaucoup plus tôt mais moins fortes", note le Dr Philippe Devos
L’impact de la pandémie a été considérable sur nos hôpitaux. Trois ans après la première vague de Covid-19, la pénurie de personnel soignant reste criante et interpellante. Le Dr Philippe Devos, intensiviste au CHC Liège, appelle à plus de prévention en Belgique : “le seul moyen de parvenir à soigner la génération future, c’est de réformer tout notre modèle”.
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Publié le 16-03-2023 à 06h48
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Il y a trois ans, le raz-de-marée de patients covid allait déferler dans les hôpitaux. Aujourd’hui, la pénurie de soignants ne cesse d’augmenter. Dans quel état se trouve l’hôpital ?
“J’espère que tout le monde s’est rendu compte de l’importance du secteur non-marchand. À l’époque de la terminologie covid, notre secteur était considéré comme essentiel, ça veut bien dire quelque chose. Avant la pandémie, les soins de santé étaient déjà en souffrance, il avait subi d’énormes restrictions budgétaires sous la ministre Maggie De Block, qui avait mis le secteur à genoux. Par la suite, le ministre Vandenbroucke s’en est rendu compte et pris une série de mesures pour rendre le métier plus attractif”.
Il y a le fameux fond blouses blanches et divers budgets supplémentaires pour augmenter l’attractivité du métier. Est-ce que ces plans ont réellement eu des effets sur le terrain ?
“Malheureusement, ils sont mitigés. Ils ont probablement permis de réduire l’hémorragie mais l’hôpital n’est pas guéri, il est toujours malade. En 2023, le nombre de jeunes engagés dans le secteur est plus faible qu’avant le covid, il y a un déficit de main-d’œuvre qui se creuse malgré les différentes mesures. La crise a mis en lumière le côté essentiel des soignants mais elle a également montré la pénibilité du quotidien, aussi bien physique que morale. Finalement, il n’y a donc pas eu de hausse de l’attractivité du métier”.
"Le reproche que je ferais aux politiques, c’est d’avoir instrumentalisé les avis des scientifiques"
Sur le terrain, remarquez-vous un plus grand respect à l’égard des soignants ?
“J’ai eu cette discussion récemment avec le personnel soignant. Et ce qu’il en ressort, c’est que les patients qui avaient du respect pour nos métiers avant le covid en ont encore plus aujourd’hui. Et ceux qui n’en avaient pas avant n’en ont toujours pas, ils en ont même encore moins. Il y a même parfois une forme de défiance à l’égard des soignants, on voit sur le terrain que la société se dualise, se divise. D’ailleurs, je ne pense pas que nous soyons les seuls concernés”.
Face à la crise de l’énergie, et plus globalement de notre économie, comment appréhender l’hôpital du futur ?
“Avec l’aggravation de la dette, la solution ne viendra pas d’une hausse des moyens, on le sait. L’État n’en a plus. Le seul moyen de parvenir à soigner la génération future, c’est de réformer tout notre modèle. Il faut aller vers plus de prévention pour diminuer la charge des traitements en Belgique car le meilleur soin, c’est celui qu’on ne fait pas. Une meilleure prévention doit nous permettre d’éviter de nombreuses pathologies. Malheureusement, le budget accordé à la prévention est de 1,60 % sur le total du budget des soins de santé alors que la moyenne européenne et les recommandations sont fixées à 3 %. Si un tel virus refait surface, on ne serait pas prêt. La solution viendra donc d’une grande réforme et d’une nouvelle façon de faire dans les hôpitaux, on va vers moins de soins pour plus de prévention afin de continuer à pouvoir soigner tout le monde. Sinon on n’y arrivera pas”.
Vous êtes désormais un visage connu du grand public. Vous avez régulièrement critiqué le manque d’anticipation des responsables politiques.
“Lors du premier confinement, nous étions face à une épidémie dont le virus était inconnu et provoquait une croissance exponentielle. Ainsi, plus on tarde à prendre des mesures, plus l’effet est grand. Si on pouvait refaire l’histoire, je préférerais prendre des mesures beaucoup plus tôt mais moins fortes. D’ailleurs, la décision du premier confinement est probablement liée à un certain retard dans notre prise de décision. Au départ, rappelons que notre ministre traitait de drama queen tous ceux qui appelaient à des mesures plus fortes. L’alternative à des mesures moins fortes aurait eu comme effet une mortalité plus grande au sein de la population âgée, un choix que certains pays ont fait”.
Quelle remarque principale adressez-vous au gouvernement dans la gestion de cette crise ?
“Le reproche que je ferais aux politiques, c’est d’avoir instrumentalisé les avis des scientifiques pour justifier certains accords ou désaccords au sein du gouvernement. Mélanger la science et la politique n’est jamais une bonne chose. Très souvent, cela décrédibilise la science et permet aux politiques de ne pas assumer leurs décisions. Or, c’est ce qu’on attend d’eux. Le fait de mélanger les deux domaines n’est d’ailleurs bon pour aucune des deux parties”.
Et du côté des bonnes nouvelles, que peut-on retenir, notamment pour se protéger de potentielles futures épidémies ?
“La principale, c’est le plan de ventilation décidé par le gouvernement avec les normes de ventilation qui vont se mettre en place dès 2024. C’est une très bonne chose, cela permettra en période d’épidémie de réduire le nombre de malades et de conserver les activités sociales et culturelles. De plus, je pense que si on demande demain aux gens de porter le masque dans les transports ou ailleurs, ils comprendront l’intérêt. Avec ce virus, on a bien compris à quel point il était précieux, même si le consensus scientifique a mis du temps à arriver. Moi, je préfère ça aux contraintes plus drastiques”.