Le match France-Belgique des systèmes de départ à la retraite passé à la loupe: "Dire que le Français travaille beaucoup moins est caricatural"
Entre les différences de régimes, les variations en termes de capitalisation, les écarts dans l’âge légal de départ ou même les niveaux de pension, les disparités d’un pays à l’autre sont telles qu’il en devient périlleux de comparer les systèmes de départs à la retraite au niveau européen. Mais on a souhaité se risquer à l’exercice, en tenant compte du maximum de critères objectifs possible.
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Publié le 21-03-2023 à 17h12 - Mis à jour le 21-03-2023 à 22h28
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Après des semaines de débats acharnés au sujet de la réforme des retraites extrêmement impopulaire d’Emmanuel Macron, le gouvernement français a décidé de passer en force avec le 49.3. Pour faire simple, et même si un vote sur le projet de réforme des retraites devait avoir lieu, le gouvernement a décidé de contourner l’Assemblée nationale.
Une décision qui ne manque pas de mettre le feu aux poudres de la révolte sociale. Concrètement, la réforme prévoit de décaler l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans en 2030 et d’accélérer l’allongement de la durée de cotisations à 43 ans dès 2027. Toutefois, personne ne devra travailler plus de 44 ans. Et l’âge de la fin de la décote demeurera à 67 ans.
C’est un fait : l’âge légal de départ en France est plus bas que chez la plupart des pays européens. Chez nous, il est fixé à 65 ans et il est prévu qu’il soit porté à 66 ans à partir du 1er février 2025 et 67 ans à partir du 1er février 2030. Fixée à 62 ans actuellement en France, la borne officielle d’ouverture des droits à la retraite est fixée à 65 ans et 10 mois en Allemagne (67 ans 2031), 66 ans et 4 mois en Espagne (67 ans en 2027) ou encore 67 ans en Italie.
"Au final, il y a peu de différence entre la France et la Belgique"
Si beaucoup d’observateurs se limitent à cette donnée pour placer le français moyen au rang de râleur aveuglé au vu de ses avantages, la comparaison des différents systèmes de retraite est bien plus complexe.

Entre les différences de régimes, les variations en termes de capitalisation, les écarts dans l’âge légal de départ, l’âge réel ou même les niveaux de pension : les disparités d’un pays à l’autre sont telles qu’il en devient périlleux de ne considérer qu’un élément pour comparer les pays.
Âge effectif des départs à la retraite : 62,3 ans pour la France contre 63,3 en Belgique
“Très concrètement, si vous prenez un français moyen de 60 ans actif et la même chose côté belge, ils n’auront pas les mêmes revenus et n’appartiendront pas nécessairement à la même catégorie socioprofessionnelle, ce qui complique toute comparaison, indique l’économiste Philippe Defeyt (Institut pour un Développement Durable). L’âge légal n’est pas un élément pertinent pour comparer l’âge moyen de départ à la retraite. D’un côté, on ne sait pas les recettes apportées statistiquement par les salaires ou les revenus indépendants, cela peut être aussi au niveau du chômage ou de l’invalidité, ce qui rapporte peu d’impôts. Ainsi, ce qui compte pour comparer le coût budgétaire des pensions, c’est l’âge effectif des départs à la retraite, c’est-à-dire à partir du moment où on active un droit. Et en prenant cette donnée, on se rend compte qu’il y a peu de différences entre la Belgique et la France. De manière générale, quand on regarde les différents paramètres, dire que le Français travaille beaucoup moins que les autres est assez caricatural”.
En effet, en consultant le rapport publié en 2022 par le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui s’est basé sur l’âge moyen de sortie du marché du travail qui correspond à l’âge auquel “les personnes cessent d’exercer, ou de chercher, une activité rémunérée, de manière définitive”, les contrastes sont moins évidents.
D’après les données récoltées auprès de la Commission européenne, cet âge effectif était de 62,3 ans pour les hommes en France en 2019 contre 63,3 ans en Belgique, 63,9 ans en Espagne, 64,7 ans en Allemagne, 65,2 ans en Italie et de 63,3 ans en moyenne dans l’Union européenne. Pour les femmes, l’âge de cessation d’activité en 2019 s’élevait à 62,2 ans en France, 63,5 ans en Belgique, 64,6 ans en Espagne, 64,5 ans en Allemagne et 65,8 ans en Italie et 62,4 ans en moyenne au sein de l’UE.

“Et il y a un autre élément qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’en France, il n’est pas permis (hormis quelques exceptions) de faire valoir ses droits avant l’âge légal de 62 ans contrairement à la Belgique, précise-t-il. Chez nous comme dans de nombreux autres pays européens, il est en effet possible de réaliser un départ anticipé, ce qui constitue une différence notable. On peut par exemple citer le régime particulier à la SNCB ou encore à la RTBF”.
Dans le dernier rapport du COR, on constate que l’âge effectif de départ à la retraite en France se situe aux alentours de 63 ans en 2021, soit un an de plus que l’âge légal de départ actuel. Un chiffre qui reste en dessous de la Belgique, mais qui reste dans la moyenne européenne. D’après des données de l’OCDE datant de 2020, avec 64,5 ans d’âge de départ moyen pour la France, contre une moyenne de 63,9 ans en Europe.
“Dès qu’on dépasse le salaire moyen, le taux de remplacement est assez faible en Belgique”
Dans son rapport sur le vieillissement, la Commission européenne a par ailleurs effectué une analyse en 2021 concernant l’âge des nouveaux retraités au moment de la liquidation de leurs droits à la retraite, dans les régimes publics de retraite obligatoire, soit l’âge auquel les salariés demandent à bénéficier de leur pension. “C’est un élément important car certaines personnes, qui sont notamment en lien avec les dispositifs de cumul emploi-retraite, perçoivent leur retraite alors qu’ils continuent de travailler quand d’autres stoppent leur job et passent par une période de chômage avant de pouvoir toucher leur pension”.
En France, cet âge était, du côté des hommes, de 62 ans pour les salariés du privé en 2019 contre 62,5 ans en Belgique, 63,1 ans en Italie, 63,7 ans en Espagne et 64 ans en Allemagne. Et pour les femmes, il s’élevait à 62,6 ans en France, 63,7 ans en Belgique, 63,3 ans en Italie, 64,3 ans en Espagne et 64,4 ans en Allemagne.
Concernant le taux de remplacement des pensions (soit la relation entre le dernier salaire et le montant de la pension), et en particulier le taux de remplacement agrégé en ce qui concerne les pensions (à l’exclusion d’autres transferts sociaux) par sexe s’élève pour l’année 2021 à 0,48 pour la Belgique contre 0,59 en France, sachant que la moyenne européenne est de 0,58.
“Dès qu’on dépasse le salaire moyen, le taux de remplacement est relativement faible chez nous, constate l’économiste. C’est une chose de savoir quand on part à la pension mais il en est une autre de savoir ce qu’on va gagner. Il y a les régimes plafonnés quand on parle de pension publique mais tous les régimes ne sont pas équivalents. Dans certaines situations, il faut soit travailler plus, soit trouver une autre source de revenus pour subvenir à ses besoins”.
En moyenne, les retraités français touchent une pension s’élevant à 54,4 % de leur dernier salaire, selon la Commission. Ils sont ainsi mieux lotis que la moyenne des retraités de l’UE, qui en perçoivent 46,2 %, ou que leurs homologues allemands, qui touchent en moyenne 39,8 % de leur ancien salaire.
Les années en bonne santé à la retraite augmentent en France
Et pour objectiver la comparaison des différentes logiques de départ à la retraite et ce qu’elles engendrent, il convient également de s’intéresser au taux d’emploi des seniors. “Les comparaisons sont complexes car il ne s’agit pas de regarder seulement l’âge officiel de la retraite, il y a toute une série de considérations, comme ce que font les gens avant de partir à la retraite”, souligne Philippe Defeyt.
En France, la proportion de personnes âgées de 55 à 64 ans ayant un emploi était de 56 % en 2021 contre 54,5 % chez nous. Au niveau européen, ce taux d’emploi des seniors est nettement inférieur à celui de l’Allemagne (71,8 %) et de la Suède (76,9 %). Pour la moyenne de l’Union européenne, il s’élève à 60,5 %. “De plus, il ne suffit pas d’aller à la retraite à 63 ans ou 66 ans pour être à la pension, il y a le statut que vous avez avant de partir à la pension qui est très important. Il faut savoir si les gens produisent ou pas, s’ils rapportent ou pas. Le fait d’avoir beaucoup de malades entre 55 et 65 ans est aussi un élément important”.
Un coup d’œil à la durée moyenne de la retraite, calculée sur la base de l’espérance de vie à l’âge effectif moyen de sortie du marché du travail, est également une donnée intéressante. Et comme le fait remarquer le COR dans son dernier rapport, les années en bonne santé à la retraite ont augmenté en France, pour les hommes comme pour les femmes (voir graphique ci-contre).

De plus en plus de Belges prennent d’ailleurs leur retraite à l’étranger. Et la France reste le pays numéro un. Pas moins de 61 556 Belges dépensent leur pension Outre-Quiévrain et le nombre de Belges retraités vivant en France a augmenté de 67 % au cours des dix dernières années.
“La France n’est pas pour autant un paradis fiscal mais elle reste plus avantageuse, résume-t-il. De plus, les retraités restent taxés en Belgique où qu’ils soient et il existe des conventions fiscales entre les pays. Il faut donc être prudent quand on évoque ces différences même s’il y a certains avantages en France”.