Des armes belges utilisées par les forces ukrainiennes en Russie ? “Si Zelensky a rompu cette relation de confiance, il y aura des conséquences”
Le gouvernement belge a demandé aux services de renseignement d’analyser si des armes de fabrication belge ont été utilisées par des milices russes anti-Poutine sur le territoire russe, en provenance d’Ukraine, en dépit des règles “très strictes” imposées lors de livraisons d’armes à l’Ukraine. Si l’information est avérée, quelles seront les conséquences ? On fait le point avec Kris Quanten, professeur d’histoire militaire à l’ERM.
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- Publié le 06-06-2023 à 15h17
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Plusieurs photos et vidéos ont été publiées samedi par le journal américain Washington Post montrant des combattants de la légion “Liberté de la Russie” et du “Corps des volontaires russes” – deux milices opposées au régime du président russe Vladimir Poutine – armés de matériels occidentaux dont des fusils d’assaut Scar fabriqués par la FN Herstal lors d’un raid mené depuis l’Ukraine dans la région frontalière russe de Belgorod.
Suite à cette découverte, le gouvernement belge a demandé aux services de renseignement d’analyser si des armes de fabrication belge ont bien été utilisées par des milices anti-Poutine sur le territoire russe, en dépit des règles “très strictes” imposées lors de livraisons d’armes à l’Ukraine.
On est avec l’Ukraine, on les appuie mais on ne peut pas faire n’importe quoi avec les armes qu’on donne”
Dans ce dossier, trois questions majeures se posent d’après Kris Quanten, professeur d’histoire militaire à l’ERM. De quels types d’armes s’agit-il, proviennent-elles réellement de Belgique et comment sont-elles arrivées au sein de ces milices anti-Poutine?
“La Belgique a donné des armes très performantes mais ce n’est pas la seule à avoir fourni ce type de matériel, c'est le cas notamment les États-Unis où le fusil d’assaut FN Scar est l’arme de référence des forces spéciales américaines, précise-t-il. Pour le vérifier, il faudrait connaître les numéros de série qui se trouvent dessus, même s’il est possible que les armes aient simplement été capturées pendant le conflit. Néanmoins, il n’empêche que pour le gouvernement belge comme pour les pays occidentaux, il sera primordial de savoir si le gouvernement ukrainien a délibérément fourni ce matériel aux milices en question. Ces groupes armés lancent des attaques sur le territoire russe envers la population et bien entendu, la Belgique ne veut pas être associée à de telles opérations”.
Dans la foulée, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Ludivine Dedonder (PS) et Hadja Lahbib (MR), ont indiqué qu’elles contacteraient les autorités ukrainiennes dès que possible pour demander des clarifications. Une enquête est donc en cours.
Pour rappel, ces livraisons sont destinées aux forces armées ukrainiennes pour protéger leur territoire et leur population contre l’invasion russe et non à d’autres fins. C’est d’ailleurs expressément indiqué dans les documents accompagnant chaque livraison.
La nécessité de préserver une relation de confiance
“Il est logique de demander des comptes étant donné que ces armes ne peuvent être utilisées que sur le territoire ukrainien, indique l’expert. Si on les utilise, cela doit se faire dans le respect du droit humain. Normalement, ces milices ne devraient pas recevoir d’équipements de l’Occident. C’est un signal très clair vis-à-vis du gouvernement ukrainien : on est avec vous, on vous appuie mais on ne fait pas n’importe quoi avec les armes qu’on vous donne, les limites doivent être respectées et c’est la même chose du côté américain”.
Ce dossier illustre également toute la complexité du contrôle des exportations d’armes. Une fois les équipements livrés, le suivi est complexe et se base principalement sur une relation de confiance mutuelle.
Qui serait brisée en cas de non-respect des conditions de donation d’armes ? “On est dans une zone grise, juge Kris Quanten. C’est une situation de guerre où tous les pays occidentaux imposent des conditions lorsqu’ils donnent des armes et tout est une question de confiance. Est-ce que Zelensky a rompu cette confiance en fournissant des armes belges à ces milices ? Si c’est le cas, il y aura un impact sur le rapport entre les deux pays. Ce ne sera pas une rupture de confiance mais il y aura des conséquences. Cette confiance entre l’armée ukrainienne et les gouvernements occidentaux est cruciale, c’est ce qui permet de maintenir l’effort de guerre, notamment via les armes fournies. Elle doit donc se maintenir mais c’est très délicat car maintenant, le gouvernement ukrainien va devoir fournir des éléments concrets dans le cadre de cette affaire”.
Depuis des années, de nombreuses ONG critiquent l’opacité récurrente qui entoure le commerce des armes produites en Wallonie. Et dans cette situation de guerre, il faut aussi rappeler que la propagande joue un rôle très important. “C’est pour cela qu’une enquête est nécessaire et c’est ce qu’a demandé la Belgique. On ne peut pas être impliqué dans une opération où des milices font la même chose que des Russes, c’est-à-dire créer le chaos et attaquer des civils, ce n’est pas parce que la Russie le fait que nous donnons l’autorisation de le faire avec les armes que nous donnons”.