Nos entreprises mises en danger par les banques: leurs comptes clôturés sans justification
Plusieurs entrepreneurs et indépendants témoignent, sous couvert d’anonymat, de ruptures de contrat imposées sans explication. Une situation qui menace la survie de leur activité.
- Publié le 08-06-2023 à 06h43
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Avoir un compte en banque est obligatoire et indispensable pour une entreprise belge. Pourtant, de nombreux indépendants, patrons de PME et gérants d’ASBL ont été privés de cet outil de façon arbitraire ces derniers mois. Leurs témoignages sont édifiants.
Maria (nom d’emprunt) travaille dans l’horeca. Elle vend des plats préparés et livre des lunchs en entreprise. Après 20 années chez ING dont 7 avec un compte professionnel, la banque lui envoie un courrier l’informant de sa décision de clôturer leur relation bancaire. Commence alors le calvaire et les inquiétudes.
Maria a 90 jours pour trouver une nouvelle banque chez qui elle pourra recevoir les factures de ses clients, se verser son salaire, payer les factures d’électricité de sa cuisine, rembourser ses fournisseurs… Mais les banques qu’elles contactent refusent de lui ouvrir un compte. Téléphones, mails, applications… les différentes méthodes d’approche restent infructueuses.
”Je me suis rendue sur place, mais la plupart des banques ne reçoivent les clients qu’une matinée par semaine. Il faut faire la file sans être certain d’être reçue. Un jour, j’ai éclaté en larme devant le banquier tellement j’étais désespérée. Les banques acceptaient de me créer un compte seulement si je prenais des options supplémentaires, comme une nouvelle assurance. Pendant ce temps, les paiements de mes clients arrivaient sur mon ancien compte, mais je ne pouvais pas toucher cet argent. Pour l’obtenir, je devais remplir des formulaires. C’était l’enfer”, se souvient Maria.
Risque de faillite
Adam (nom d’emprunt) dit ne plus dormir de la nuit depuis 4 mois. Adam travaille dans le bâtiment, avec des clients comme Thomas&Piron. Ses chantiers concernent parfois des tours de plusieurs centaines d’appartements. Il emploie, selon les missions, 3 à 15 collaborateurs. Après 10 ans chez Fortis, celle-ci lui annonce qu’elle clôture leur relation commerciale. Sans justification. Adam tente d’obtenir des explications, mais il n’obtient aucune réponse, que ce soit par mail, par téléphone ou en agence.
L’entrepreneur a trois mois pour ouvrir un compte dans un nouvel établissement financier. Mais tous refusent. “Belfius, ING, Argenta, CBC, Axa, Beobank, bpost… Elles me disaient qu’elles n’ouvraient plus de comptes pour les entreprises de construction et pour l’Horeca à cause des suspicions de blanchiment d’argent. Pendant ce temps, je ne pouvais pas récupérer l’argent que devaient me verser mes clients”, désespère Adam. On parle ici de montants de plusieurs dizaines d’euros par chantier qui servent à payer les employés, le carburant et le matériel. “J’ai dû emprunter de l’argent à des amis pour sauver mon entreprise. J’étais à deux doigts de déclarer faillite.”
Service bancaire de base
Fin 2022, il est créé une chambre du service bancaire de base dans un contexte de lutte contre les blanchiments de capitaux. Ce service vise à empêcher l’exclusion bancaire des entreprises. Pour en bénéficier, une entreprise doit prouver qu’elle a essuyé trois refus de la part d’organismes bancaires.
Dans la pratique, obtenir la preuve de ces refus est particulièrement ardue car les mails et les refus par téléphone ou de visu n’ont pas valeur de preuve. Il faut un document officiel.
Ce phénomène d’exclusion bancaire touche des secteurs bien spécifiques, tels que l’horeca, le bâtiment, les diamantaires, la prostitution, l’entrepreneuriat de seconde chance, mais également les associations de propriétaires, les copropriétés d’immeubles ou encore les ASBL.
Tendance observé dans les ASBL
”C’est une tendance que l’on observe dans les ASBL”, témoigne un travailleur du Refuge, une association qui propose un hébergement de transit aux jeunes LGBTQI + en situation de rupture familiale. “Lorsque l’on demande des explications, c’est le flou total ? Est-ce parce que nous ne sommes pas assez rentables, que l’on n’a pas assez d’argent sur notre compte ?”
”Cette situation constitue un réel frein au développement économique. Cette pratique met en jeu la survie de ces secteurs, car sans compte bancaire, on ne peut pas payer ses employés, ni exercer une activité professionnelle de façon effective”, dénonce Felicia Postaru, avocate. “Sur le terrain, on constate que les banques se permettent de décider de ce qui est à risque ou sans risque pour elles en matière d’activités économiques. Elles se permettent également de se substituer à l’État pour déterminer qui a droit ou qui n’a pas droit à un service bancaire. Cependant, il n’est pas du ressort des institutions financières de procéder à un tel jugement discrétionnaire.”