Le commissaire Alain Remue, chef de la cellule "disparitions" témoigne: "Quand ça finit par la découverte d’un petit corps d’enfant, c’est l’horreur"
Rencontre avec Alain Remue, patron, depuis 28 ans, de l’Unité des personnes disparues. Julie et Mélissa, An et Eefje, Sabine et Laetitia, Liam Vande Branden, Loubna Benaïssa, Stacy et Nathalie, Amélia et Alison, Julie Van Espen… Le commissaire évoque, pour la DH, des découvertes d’enfants disparus, en majorité morts, qui l’ont profondément marqué…
- Publié le 09-09-2023 à 17h14
- Mis à jour le 09-09-2023 à 18h44
Il y a 28 ans, Alain Remue créait l’Unité des personnes disparues, dans une Belgique traumatisée par l’affaire Dutroux et les disparitions de Julie, Mélissa, An et Eefje. Unité qu’il dirige toujours aujourd’hui. Celui qui a débuté comme maréchal des logis à la gendarmerie avant de gravir les échelons jouit d’un prestige national en tant qu’expert. Le Gantois a été président de 2002 à 2010 du Groupe de spécialistes d’Interpol sur les crimes contre les enfants.

Alors enquêteur “stups” à la brigade de surveillance et de recherches de Gand, celui qui, aujourd’hui à 63 ans, est commissaire à la police fédérale, va vivre, lors de l’été 95, une saison charnière dans sa carrière.
” Il y avait eu en juin la double disparition des petites Julie et Mélissa. En août, An et Eefje, 17et 19 ans, disparaissent à leur tour. Elles ne sont pas retrouvées non plus. Il n’y avait pas de cellule des personnes disparues. Fin août, je suis devenu lieutenant. Je reçois un appel d’un ancien patron, un capitaine de Gand, devenu ensuite major. Il est à Bruxelles, au bureau central de recherche, et cherche un adjoint. Les doubles disparitions créaient pas mal de tension, de pression. Quatre jours après mon entrée en fonction, le ministre de la Justice Stefaan De Clercq écrit une lettre au général de la gendarmerie. Il faut un plan d’action. Cette lettre aboutit finalement à mon major. “Les disparitions d’enfants, ce n’est pas quelque chose pour toi, ça ? ” , me dit-il. “Fais un plan d’action”. C’est là qu’on décide de créer un service d’appui spécialisé, la cellule nationale des disparitions. Le 4 septembre, le ministre nous donnait déjà sa réponse “Feu vert. Start. Begin naar. ” On attendait de nous de mettre un menu de huit courses sur la table et on n’avait pas encore une cuisine. Janvier 96, je suis parti aux États-Unis, à Quantico, FBI Academy, pour obtenir un brevet. Retour en Belgique fin avril 1996.”
Et là directement, vous connaissez votre première affaire…
”Le 3 mai, un petit garçon de 2 ans, Liam Vanden Branden, disparaît à Malines à hauteur d’une écluse. C’est le plus jeune enfant à avoir jamais disparu en Belgique. On ne l’a jamais retrouvé. Notre examen d'entrée, on l’avait raté. Je crois toujours aujourd’hui qu’il est tombé dans l’écluse. Son papa Dirk pense toujours qu’il s’agit d’un kidnapping. Je comprends Dirk, avec qui je suis devenu copain. C’est la réaction de beaucoup de parents. Un kidnapping, c’est l’hypothèse qui permet de garder espoir.”
Le même mois, on apprend la disparition de Sabine Dardenne…
”Une affaire d’autant plus émotionnelle qu’elle était la fille d’un collègue gendarme. On fait des fouilles partout, dans l’Escaut, on emploie l’armée, il y a des enquêtes… On ne la retrouve pas non plus, ni elle ni sa bicyclette. Là, je me dis : “Nom de Dieu, il y a quelque chose qui ne va pas ici. ”. Il y a deux petites à Grâce-Hollogne, il y a deux grandes filles à la mer, il y a Liam à Malines (NDLR. Un cas qui, au final, n’aura rien à voir avec l’affaire Dutroux), et maintenant une fille de 12 ans à Kain. Mais on ne trouve aucun lien entre tous ces cas. Grosse frustration. Août 1996, nouvelle disparition, Lætitia Delhez à Bertrix. Encore une fille à bicyclette. Et là, pour la première fois, via l’enquête de voisinage, nous avons des éléments, des témoignages, des éléments concrets qui nous conduisent à un suspect qui est déjà dans la banque de données. Pour la première fois, le nom de Dutroux émerge, notamment comme quelqu’un qui avait eu le projet de construire une cave ou je ne sais pas quoi. Dutroux est arrêté. Ils vont faire une fouille dans la cave, sans rien trouver. Finalement, Dutroux dit “OK, je vais vous donner deux filles”. Il est amené sur place et il ouvre la cache. Lætitia, disparue depuis trois jours, et Sabine, depuis trois mois, étaient là.”
A ce moment là, on a avait l’impression que toute les disparitions en Belgique, c’était Dutroux. Dans la foulée, on a retrouvé Derochette et résolu l’affaire de Loubna Benaïssa. C’était la guerre. On avait une ligne de temps avec toute les disparitions irrésolues, les « cold case ». Et ça n’a plus arrêté.
Quelle a été votre sentiment après cette découverte ?
”C’était un moment d’euphorie pour tout le monde. C’était “Wow”. On se dit que ça ne peut arriver qu’une fois dans une vie de policier d’avoir la possibilité de libérer deux filles séquestrées par un monstre. Mais ça n’a pas duré longtemps. Deux jours après, c’était “gedaan, fini”. Dutroux dit, “Je vous en donne encore deux”, et c’était Julie et Melissa. Et là, on a dû creuser. L’affaire Dutroux commençait. On a ensuite retrouvé An et Eefje, mortes également. J’ai travaillé deux ans avec tout le monde sur ce dossier. À ce moment-là, on avait l’impression que toutes les disparitions en Belgique, c’était Dutroux. Dans la foulée, on a retrouvé Derochette et résolu l’affaire de Loubna Benaïssa. C’était la guerre. On avait une ligne de temps avec toutes les disparitions irrésolues, les “cold case”. Et ça n’a plus arrêté. Élisabeth Brichet à Namur (NdlR. Affaire Fourniret), Nathalie Geijsbregts… On a eu aussi le dépeceur de Mons, on a eu le tueur en série Andras Pandy, Ronald Janssen qui a tué notamment Annick Van Uytsel, 18 ans. On a eu Steve Bakelmans qui a tué Julie Van Espen. En 2006, c’était Abdallah Ait Oud à Liège, avec Stacy et Nathalie.”
Comment procédez-vous en cas de disparition ?
”Nous avons trois règles. Un, chaque affaire est différente, on commence chaque dossier de zéro. Deux : les premières vingt-quatre heures sont essentielles surtout s’il reste une possibilité de sauver une vie. Trois : ne jamais dire jamais. Notre travail se résume à ceci : “Donner des réponses a des familles qui n’en ont pas” Où est papa ? Où est ma grand-mère ? Où est ma fille ? Où est mon fils ?”
Humainement, les disparitions d’enfants vous atteignent-elles plus que celles d’adultes ?
”Oui, tout de même. Il y a toujours une autre dimension. Les enfants, c’est précieux, on doit en prendre soin. Quand l’affaire se finit par la découverte d’un petit corps, c’est l’horreur. Prenons Julie Van Espen, assassinée par Bakelmans puis jetée dans le canal à Anvers, elle avait 23 ans mais c’était encore une enfant. Elle avait toute la vie devant elle. Et elle était là sur le tarmac, sous une toile. Une superbe fille, grande. À ce moment-là, ma fille Eva avait aussi 23 ans, grande, belle et blonde comme Julie. Eva est toujours là, Julie n’est plus là. Et là, on se sent très proche de ce dossier. On se dit “fuck”, ça pouvait être ma fille. Julie Van Espen, ça pouvait être n’importe qui. Ce jour-là, Bakelmans voulait faire ce qu’il a fait à la première fille sur qui il est tombé. Là, je me suis énervé. Les gens disaient que Julie avait eu la malchance d’être à la mauvaise place au mauvais moment. Non, bon sang, elle avait tous les droits d’être là, c’est l’autre qui ne devait pas être là. Et faire ce qu’il a fait. Il ne faut pas retourner les choses.
”Je pense aussi au cas de sœurs Amélia et Alison Decloux, les deux petites sœurs qui tombent dans la Meuse en 2011, dossier dans lequel on a perdu Olivier, un de nos plongeurs et un ami. Je ne vais jamais oublier ça.
”Pour Stacy et Nathalie, pendant 18 jours on a travaillé en 2006 avec une équipe superbe de la PJ de Liège pour arrêter Abdallah Ait Oud. C’est aussi une affaire que je ne vais jamais oublier. Ce sont des dossiers qui restent dans la mémoire. Ça ne sort plus.”
Il y a des dossiers où je continue à me poser la question : « Mais, bon sang, est-ce qu’on a commis une erreur, raté quelque chose, quelque chose qu’on n’a pas vu ? ». Ces questions là restent. Par contre, je n’ai jamais rêvé d’enfants morts, heureusement.
Les cas de disparition où ça s’est mal terminé, ils vous pèsent ou vous hantent-ils encore aujourd’hui ou est-ce que vous arrivez à tourner le bouton ?
”J’ai heureusement la capacité, non pas d’effacer, mais de mettre dans un tiroir assez vite. Ce qui ne signifie pas que j’oublie. Il y a des dossiers où je continue à me poser la question : “Mais, bon sang, est-ce qu’on a commis une erreur, raté quelque chose, quelque chose qu’on n’a pas vu ? ”. Ces questions-là restent. Par contre, je n’ai jamais rêvé d’enfants morts, heureusement. Et pourtant, j’ai vu des centaines et des centaines de morts et je peux vous décrire chaque enfant mort que j’ai vu. Stacy et Nathalie par exemple, je me rappelle très bien les lieux et la vision des deux filles mortes dans le quartier Saint-Léonard, dans l’égout. Mais la vie continue. Demain, il y a un autre cas.”
32 000 dossiers de disparition en 28 ans : trois quarts des disparus retrouvés morts se sont suicidés
En 28 ans, l’Unité des personnes disparues a traité environ 32 000 dossiers, dont à peine 1 % ont été au final des affaires criminelles. “Nous avons pu renfermer 97 % des dossiers grâce au travail de mon équipe de tous nos partenaires, les hélicos, les maîtres-chiens, les plongeurs, Child Focus…”, insiste Alain Remue.
Environ 12 % des dossiers clôturés se terminent avec un décès de la personne, dont trois quarts sont des suicides, la majorité dans l’eau mais aussi des pendaisons, des armes à feu… “Ce qui me marque, c’est qu’il y a parmi ceux-ci beaucoup de jeunes et de plus en plus. Mon plus jeune cas dans la catégorie “suicides”, c’est un garçon de 10 ans, mort par pendaison après avoir rédigé une petite lettre d’adieu. Une situation problématique à la maison, un caractère un peu spécial… À côté de cela, nous constatons aussi qu’il y a plus de disparitions de personnes à risques atteintes par la démence, l’Alzheimer.”