L'inquiétant boom des images d’abus sexuels sur enfants : “Des images bien plus explicites, avec des enfants de plus en plus jeunes, des bébés même”
En 2022, la cellule "Child Abuse" a reçu 4 325 000 photos et 94 041 vidéos. Plus 22 000 rapports des réseaux sociaux. Le commissaire de la police fédérale Yves Goethals traque les auteurs de maltraitances sur enfants depuis 23 ans. Il témoigne...
- Publié le 18-09-2023 à 06h44
Le commissaire de la police fédérale Yves Goethals traque les auteurs de maltraitances sur enfants depuis 23 ans. Il est le chef de la cellule “Child Abuse”, composée de cinq enquêteurs. En 2022, la cellule a reçu pour analyse 4 325 000 photos et 94 041 clips vidéo allant de 5 secondes à 5 heures. Il s’agit d’images qui ont été saisies quelque part en Belgique. Ces chiffres ne comprennent donc pas les signalements que la cellule reçoit des médias sociaux. Via ce canal, la cellule a reçu 22 000 rapports concernant des Belges. Après analyse, il s’avérait que, dans 40 % des cas, il y avait illégalité.
L’enquête sur Sven Pichal, le célèbre présentateur radio de la VRT arrêté et incarcéré dans le cadre d’une affaire de pédopornographie, n’est pas menée par sa cellule, mais c’est lui et son équipe qui traquent et analysent chaque jour les images de maltraitance sur enfants. “Depuis 23 ans que j’y travaille, le problème n’a fait que s’aggraver. Le plus jeune suspect que j’ai eu avait 18 ans, le plus âgé 92 ans. Les auteurs viennent de toutes les classes sociales. “
Tout le monde est choqué qu’un célèbre présentateur de télévision, très populaire, soit soupçonné de possession et de diffusion d’images d’abus sexuel de mineurs. Comprenez-vous qu’encore aujourd’hui, les gens semblent tomber des nues ?
Je comprends difficilement cette onde de choc. Des cas pareils, il y en a chaque jour. Je me demande pourquoi les gens pensent que c’est pire quand il s’agit d’une personne célèbre qui avait un capital confiance. Mais pour l’enfant ça ne change rien que l’auteur soit célèbre ou pas ou que ce soit son père ou son oncle. Disons que lorsqu’un cas est médiatisé, on se dit qu’on va peut-être pouvoir rouvrir un débat et obtenir encore plus de moyens légaux pour faire notre travail et qu’il y aura encore plus de messages de prévention à l’attention des parents.
. Aujourd’hui, c’est encore plus jeune. Il y a même des bébés. Vous pouvez désormais également trouver tous les fantasmes sexuels possibles dans le monde de la maltraitance des enfants. Il y a des images plus “trashs” que d’autres, celle où on fait usage de chaînes ou appel à des animaux par exemple.
Êtes-vous encore choqué par les images que vous voyez, ou les années vous ont-elles endurci ?
Oui, cela reste choquant. Mais nous ne pouvons pas nous laisser submerger. Je dirais que la motivation à identifier l’enfant et, dans la foulée, aider à retrouver l’auteur surpasse l’émotion. Par contre, quand on aboutit à un résultat, là, c’est émouvant. On se dit “Yes, on en a sauvé un” “. Quoi qu’il en soit, nous recevons un soutien psychologique de notre équipe antistress.
Voyez-vous des images horribles chaque jour ?
On voit que les images deviennent de plus en plus explicites, et que les victimes sont plus jeunes. Quand j’ai commencé, on était à un âge moyen de 10-11 ans. Aujourd’hui, c’est encore plus jeune. Il y a même des bébés. Vous pouvez désormais également trouver tous les fantasmes sexuels possibles dans le monde de la maltraitance des enfants. Il y a des images plus “trashs” que d’autres, celle où on fait usage de chaînes ou appel à des animaux par exemple. Mais mon équipe et moi ne nous focalisons pas sur les abus en eux-mêmes, nous regardons avec un œil professionnel tous les éléments de l’image ou de la vidéo. J’écoute la langue parlée et je cherche des indices en arrière-plan. Pouvons-nous identifier quelque chose dans l’image ? Un journal sur le coin d’une table, par exemple, peut être un indice. L’objectif prioritaire est d’identifier l’enfant. Ensuite, on sait que 95 pour cent des agresseurs sont des personnes du cercle social de l’enfant. Membres de la famille, éducateurs, entraîneurs de sport…
Comment traquez-vous les images et les auteurs ? Par exemple, appâtez-vous des auteurs avec de faux profils ?
Non, l’incitation au délit ou crime est autorisée dans d’autres pays mais pas en Belgique. Et, personnellement, je n’y suis pas favorable. Cela nous demanderait trop de temps passé sur un seul cas alors que nous recevons tant de matériel. Beaucoup de choses viennent des citoyens qui font des signalements à Child Focus. Nous recevons également des informations via les réseaux sociaux eux-mêmes, ils ont une obligation de reporting. Des enquêteurs peuvent également trouver des images de maltraitance d’enfants lors d’une perquisition à domicile pour une affaire de drogue par exemple. Aussi, des images nous arrivent quotidiennement via nos contacts internationaux à Interpol. La coopération internationale est très importante. Par exemple, lors d’une perquisition en France, des éléments incriminants avaient été trouvés. Ils semblaient aux enquêteurs que la victime parlait français mais avec un accent belge. Nous avons été appelés.
Comment les images de maltraitance d’enfants sont-elles partagées entre les auteurs ?
Il existe deux types de réseaux. Des réseaux très structurés, souvent sur le dark web, avec un administrateur et des membres. Mais il existe également de nombreux réseaux informels. Ce sont des groupes de discussion dont les membres ne se connaissent que par leur pseudo. C’est ce qu’on appelle le peer-to-peer, les fichiers sont échangés directement entre ordinateurs. Dans le groupe, il peut y avoir un échange entre un “Blanche-Neige” et un “Pinocchio”. Ils se connaissent peut-être dans la vraie vie, mais ils ignorent qu’ils font tous les deux partie de ce groupe. Pour eux, c’est facile. Il suffit de taper “Je veux voir une fille nue de neuf ans” et, vous recevrez ces images de manière anonyme via des pairs qui ont également un abonnement. Nous savons que l’année dernière, 19 millions d’images criminelles ont été échangées chaque jour via peer-to-peer, mais dans les faits, nous pouvons probablement ajouter quelque 100 millions.
Y a-t-il un nouveau phénomène émergent ?
Oui. Les enfants filment de plus en plus leurs propres images d’abus. L’année dernière, l’IWF a découvert environ 199 000 sites Web présentant des images d’enfants réalisées par eux-mêmes. Pour ces enfants, c’est souvent un jeu. Il pourrait s’agir de sœurs filmant des frères en train de faire des mouvements sexuels et de les publier ensuite en ligne pour obtenir des likes. Le problème survient lorsque des adultes tombent sur ces images et en font un mauvais usage. Ils peuvent les utiliser pour inciter d’autres enfants à faire de même, parce que ce serait censé être normal.
Tout comme le trafic de drogue, la diffusion d’images d’abus sexuels sur enfant, restera toujours un problème irrésolu. Est-ce frustrant de lutter contre un fléau voué à persister ?
Non, car il y a aura toujours des enquêtes qui aboutiront à une sanction appropriée. Un enfant sauvé, c’est un enfant sauvé. Comparaison n’est raison, mais ce n’est pas parce qu’on ne pourra jamais arrêter tous les chauffeurs qui roulent trop vite qu’il faut stopper le combat, ne plus agir et ne plus sensibiliser l’opinion.
Y a-t-il un marché des images d'abus sexuels ?
Oui, il peut y avoir des transactions financières lors d’un échange. Mais il y a, encore plus souvent, une question de “prestige” dans l’escalade. “Voilà ce que tu as, voilà ce qui circule. Eh bien, moi, j’ai beaucoup mieux.”
Faut-il investir davantage dans la lutte contre la maltraitance des enfants ?
Nous devons avant tout veiller à ce que nous, en tant que police, puissions utiliser les mêmes ressources que le monde criminel qui, on le sait, quel que soit le domaine, aura toujours une petite longueur technologique d’avance sur nous à combler. La nouvelle législation européenne doit inclure un cadre qui nous permette de travailler avec l’intelligence artificielle, par exemple.