Franchiser les 128 magasins Delhaize, "c'est du dumping social !"
Les craintes sont vives au sein du personnel, même si Delhaize assure que l’emploi sera maintenu.
Publié le 07-03-2023 à 16h05 - Mis à jour le 07-03-2023 à 19h11
Moins de dix ans après un plan de restructuration qui avait coûté quelque 1 800 emplois (2 500 avaient été évoqués lors de l’annonce par la direction) et vu 14 magasins fermer, Delhaize procède à nouveau aux grandes manœuvres. Les craintes se sont transformées en annonce par la direction lors d’un Conseil d’Entreprise extraordinaire qui n’augurait rien de bon. C’est désormais acté : Delhaize va se séparer de ses 128 magasins intégrés pour les faire passer aux mains de franchisés. Les 829 magasins du groupe seront donc tous exploités par des indépendants.
Une annonce qui a immédiatement entraîné un mouvement de grève dans la majorité des magasins intégrés. “Pour pouvoir continuer à investir dans l’avenir de Delhaize, nous devons adapter notre modèle”, justifiait le CEO du groupe, Xavier Piesvaux. “Je comprends parfaitement que cette annonce puisse susciter de l’émotion, mais je suis convaincu que ce plan de croissance est la seule solution pour garantir un avenir durable pour notre entreprise, nos magasins, nos partenaires et nos collaborateurs.”
L’opération se fera sans aucune suppression d’emploi dans les supermarchés, ajoute l’entreprise dans son communiqué. “Tous les collaborateurs des supermarchés concernés gardent leur emploi et prendront part à cette transition. Ils conservent également leurs conditions salariales et leurs conditions de travail. La transition progressive des supermarchés en gestion propre, en magasins affiliés entraînera une réduction graduelle du nombre de fonctions au sein du siège.”
Les syndicats très inquiets : "On va clairement se diriger vers une précarisation de l'emploi"
Du côté des syndicats, c’est bien évidemment la douche froide. La garantie de l’emploi et des conditions sont balayées d’un revers de la main. “Delhaize ne peut absolument pas apporter ces garanties, selon Myriam Delmée, présidente du SETCa. On est dans le même scénario que chez Mestdagh. Comme il n’y aura plus de représentation syndicale auprès des franchisés, il n’y aura plus de négociation possible. Des licenciements ne sont donc pas impossibles. Dans les faits, les franchisés ne vont pas procéder à des licenciements secs, car cela coûte trop cher, mais il est classique de voir des licenciements avec prestation de préavis durant lequel une pression telle ou du harcèlement sont exercés pour pousser l’employé à partir. On va clairement se diriger vers une précarisation de l’emploi.”

Myriam Delmée dénonce aussi la lâcheté de Delhaize. “Plutôt que d’enclencher un plan de restructuration et d’assumer le passif social, le groupe préfère refiler la patate chaude aux franchisés. Ici, l’entreprise ne veut pas assumer le passif social et il n’y a pas de possibilités de départ. Cela s’appelle du dumping social ! Cela ne va rien coûter à Delhaize.”
Voir Delhaize trouver repreneur pour ses 128 magasins n’est pas garanti non plus. “Des fermetures ne sont donc pas exclues non plus. On pourrait se retrouver dans une situation où les magasins les moins rentables soient en faillite ou en PRJ. Une situation que Delhaize ne voudra pas voir se réaliser puisque le groupe n’est constitué que d’une société (SA) pour les dépôts, les services de la centrale et les magasins. Ils ne voudront donc pas mener un magasin à la faillite ou à la PRJ et pourraient alors opter pour des fermetures.”
Au travers de ce passage des 128 magasins en franchise, Delhaize n’aurait d’autre but que d’augmenter ses marges, selon la patronne du SETCa. “La force de Delhaize, au travers de 128 magasins exploités en propre, c’est d’être présent partout, même si les magasins n’ont pas tous la même rentabilité. On voit cependant que les magasins intégrés ont de plus en plus de difficultés à afficher une croissance alors que les franchisés ont, eux, connu une croissance de 3,5 % l’an dernier. Mais ce que Delhaize ne dit pas, derrière ces chiffres, c’est si cette croissance se traduit par de la rentabilité. Les franchisés ont certes vendu plus, mais ont-ils gagné de l’argent pour autant. Rien n’est moins sûr car les opérations 1+1 gratuit ou les Petits Lions compliquent la vie des franchisés. Ils doivent subir la politique promotionnelle agressive de Delhaize, quitte à ne pas dégager de marge. Dans certains cas, ils s’approvisionnent même à la centrale à un prix supérieur au prix de vente. Cela porte aussi un nom : c’est de la vente à perte et c’est interdit.”
Faute de rentabilité, certains franchisés risquent de connaître, à moyen terme, des difficultés qui pourraient les mener à la faillite. Le risque de voir le réseau de Delhaize perdre des enseignes n’est donc pas écarté. “On a l’impression qu’on est dans une stratégie de l’immédiat. Seul le résultat compte il n’y a plus une stratégie de commerçant, mais de distributeur de marque. Il faut distribuer les produits, occuper le terrain, mais sans vision à moyen ou long terme. Il n’est donc pas exclu que Delhaize rencontre rapidement des difficultés à maintenir son réseau si les franchisés n’ont pas les reins assez solides.”
Avant de voir les magasins intégrés passer sous pavillon indépendant, il faudra encore attendre 6 mois au minimum. “La convention collective de travail stipulait qu’aucun magasin ne pouvait être franchisé avant fin 2024. Elle a été dénoncée récemment, mais il y a malgré tout un préavis de 6 mois à respecter.”