Une lettre ignorée de Patrick Haemers la veille de son suicide refait surface
" Il s’est passé beaucoup de choses. Je n’ai pas la force de te l’expliquer. "
- Publié le 18-01-2019 à 10h00
- Mis à jour le 18-01-2019 à 10h01
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" Il s’est passé beaucoup de choses. Je n’ai pas la force de te l’expliquer. " Cette lettre est un document. Elle est signée : "Patrick."
Patrick Haemers. Célèbre criminel belge mort en mai 1993, meneur d’un gang appelé "La bande à Haemers ", auteur de nombreux méfaits, essentiellement des braquages mais aussi de l’enlèvement, il y a juste 30 ans, d’un ancien Premier ministre, Haemers fut rapidement considéré comme l’ennemi public numéro 1, le Mesrine belge. On l’appelait aussi "le Grand blond".
La lettre est datée du 12 mai 1993. La nuit du 13 au 14, Haemers sera retrouvé mort, pendu dans sa cellule. Pour Érika à qui Haemers écrit, la lettre est peut-être sa dernière. En tout cas l’une des toutes dernières. Et elle soulève des interrogations.
Depuis deux mois, Haemers et Érika correspondent. Habituellement, Patrick Haemers remplit plusieurs pages. Le 12 mai, c’est étonnamment bref. À peine six lignes : "J’ai récupéré mes affaires hier soir."
Nos explications : après l’évasion neuf jours plus tôt des coïnculpés Philippe L., Bajrami et Murat K., la cellule 1006 de Patrick Haemers fut fouillée et les enquêteurs saisirent tout, notamment son carnet d’adresses.
L’ayant récupéré "hier soir" (donc, le mardi 11), Haemers pouvait à nouveau écrire à Érika.
"Mais depuis samedi passé (8/5), il s’est passé beaucoup de choses. Je n’ai pas la force de t’expliquer."
Que s’est-il passé en prison entre le samedi 8 mai et le mercredi 12, en quatre jours, que Patrick Haemers écrit à Érika n’avoir pas la force d’expliquer. Deux : est-ce en lien avec sa mort le lendemain ? C’est évidemment la question.
"Mais je suis mal en point."
Explication : pour avoir nous-mêmes été en contact avec Haemers, nous croyons pouvoir authentifier l’écriture. La veille de son suicide, Patrick Haemers écrit : "Je suis mal en point."
"Je n’écrirai certainement plus avant un mois."
Interprétation : pense-t-on au suicide quand on parle de l’avenir ? À moins d’avoir voulu donner le change aux gardiens dont Haemers savait qu’ils liraient le courrier et espéré ainsi relâcher la surveillance ?
"Mais je pense à toi et je n’oublie pas ma promesse."
Érika se souvient que dans un courrier précédent, Haemers, voulant la remercier du soutien qu’elle lui apportait, lui avait promis "une surprise". Quelle surprise ? "C’était une surprise, je n’ai jamais su." Mais de nouveau, Haemers, la veille de son suicide, évoque l’avenir.
"Amicalement, Patrick." Et des petits points.
Dans l’enveloppe qu’Érika a finalement reçue après le décès se trouvait une lettre datée du jeudi 6 mai 1993, trois jours après l’évasion du lundi 3. Passionnante. Haemers y exprime "sa joie" d’avoir appris que deux de ses complices directs avaient pu s’échapper de Saint-Gilles, "la prison d’où personne n’avait encore réussi à FAIRE LA BELLE (lettres capitales). Le propre de l’homme, c’est le rire. Le propre des prisonniers, c’est de s’évader. À chaque fois qu’un type s’évade, peu importe de quelle façon et qu’on le connaisse ou non, pour tous les autres, c’est une grande joie."
"Mais la joie, poursuit le ‘Grand blond’, est de courte durée. Et si cela s’est passé dans la prison où tu te trouves et si ce sont tes coïnculpés, comme dans mon cas, ça devient carrément la galère."
Haemers décrit la perquisition qui a suivi dans sa cellule "pour trouver si possible toute information pouvant donner une piste. […] Les flics sont partis avec toute ma correspondance (dont la tienne, Érika), mon carnet d’adresses, photos et autres babioles. Attends-toi à une descente en force chez toi. C’est très désagréable et c’est un euphémisme, crois-moi". 25 ans après, ÉriKa confirme : "Ils ont tout retourné."
Haemers espérait son procès. Mais celui-ci avait été remis à une date ultérieure. Patrick Haemers écrit : "Je suis certain que s’il y avait eu le procès comme prévu, il n’y aurait pas eu cette évasion. (Ce procès), poursuit-il , a été délibérément saboté par le président."
Dans cette lettre transparaît l’inquiétude. "Je ne sais pas ce qui arrivera demain. Je verrai bien et je ne connais pas encore ma réaction si cela doit se passer comme je le redoute."
C’est très mystérieux. Comment faut-il comprendre ?
Haemers poursuit : "Comme je le disais lundi (3 mai) au directeur de prison (M. Petit), à force de traiter les gens comme des bêtes, il ne faut pas s’étonner qu’ils mordent."
C’est donc écrit le 6 mai. Le 12, Haemers ajoute qu’"il s’est passé beaucoup de choses depuis le samedi 9 […] qu’il n’a pas la force d (’) expliquer".
Quoi ? C’est évidemment la toute grande question que pose le document. La nuit suivante, l’ennemi public n°1 est retrouvé pendu dans sa cellule.

Comment cette lettre fait-elle surface ?
Erika, qui la conservait depuis tout ce temps, a réagi à l’interview de l’ancien avocat Delhuvenne publiée samedi passé.
Comment cette lettre ignorée depuis 1993, l’une des toutes dernières sinon la dernière de Patrick Haemers, fait-elle subitement surface 25 ans après la mort du grand criminel ?
Erika, qui la conservait depuis tout ce temps, a réagi à l’interview de l’ancien avocat Delhuvenne publiée samedi passé - à l’occasion des 30 ans de l’enlèvement de l’ex Premier ministre Paul Vanden Boeynants.
Si le suicide ne fait bien sûr pour elle aucun doute, Erika se pose la même question : que s’est-il passé les derniers jours dans la cellule 1035 où Haemers (venant de la 1006) avait été transféré après l’évasion de ses complices ?
Que sont ces "beaucoup de choses qui se sont passées depuis samedi" dont Haemers dit le mercredi suivant qu’il n’"a pas la force de les expliquer" avant de se suicider deux nuits plus tard ? C’est quoi, ce mystère ?
Erika, qui avait 31 ans, ne cache pas que c’est la photo du Grand blond, "un beau mec", qui l’a incitée à lui écrire en prison. À sa surprise, Haemers a répondu. Et l’échange de lettres s’est ainsi engagé jusqu’à la date fatale du suicide du Grand blond, "le jour de l’anniversaire de son fils".
"Attirée par la psychologie criminelle", Erika dit avoir correspondu avec d’autres détenus célèbres, dont Thierry Muselle, le tueur de Marc et Corine, à qui elle a rendu plus de 500 visites jusqu’à sa mort en prison en 2015. Quant à Dutroux, dit Erika : "Il ne faudra jamais le libérer, celui-là."
Agée maintenant de 57 ans, Erika admet avoir "gardé un souvenir affectueux de Patrick Haemers […] qui avait de l’humour".
"Quand je lui ai donné mon année de naissance, il m’a répondu : ‘Très bon cru !’"

