Drogue, durum, GSM, Viagra: les faveurs les plus folles réclamées à nos ténors du barreau
Quand les criminels tentent de corrompre leurs avocats. Dix stars du barreau confient à La DH les services les plus surprenants que leurs clients leur ont demandé.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/b32ad4f6-711c-478b-849a-62042b2f5521.png)
Publié le 27-04-2021 à 18h17 - Mis à jour le 28-04-2021 à 06h49
:focal(1275x660.5:1285x650.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7ZP6HT5AJVF5JOVU7SXJROVT64.jpg)
Fonctionnaires, policiers, politiques… Aucune profession ne fait reculer les criminels pour tenter de corrompre ceux qui pourraient satisfaire leurs intérêts. Les avocats ne sont évidemment pas épargnés. Blanchiment d’argent, introduction de drogue en prison, de GSM, de nourriture, etc. Les demandes vont parfois très loin. Même jusqu’à la fausse prise d’otage. Dix stars du barreau ont accepté de nous confier les faveurs les plus folles qu’on leur a demandées, et qu’ils ont bien sûr refusées. Comment dire non à des clients de plus en plus exigeants, qui n’hésitent pas à faire jouer la concurrence entre avocats, comment se faire respecter par le milieu criminel, comment ne pas céder à la tentation ? Ces dix pénalistes nous glissent dans les coulisses d’un métier dont l’image a aussi changé auprès des clients.
Sven Mary: "Du Viagra et des jeux"
"Quand j’étais jeune avocat, on me demandait des enveloppes avec du Viagra en prison. Si j’étais en cellule, j’aurais une autre préoccupation que ma virilité. On m’a aussi demandé des jeux Playstation. Le grand classique, c’est la drogue et les GSM. Il est important de former les jeunes avocats à la pratique parce que dans les cours théoriques, on ne vous explique pas que la tentation est grande et qu’il faut pouvoir y résister. D’où l’importance d’un maître de stage qui vous inculque cela. Certaines organisations criminelles considèrent l’avocat comme un des leurs, un complice. C’est là où il faut fixer la ligne rouge avec un grand trait !".
Jonathan De Taye: "Un durum et une clé USB avec des séries"
"Les suspects savent bien qui accepte et qui refuse les services et la plupart des avocats refusent, heureusement. Les demandes, c’est très marginal pour ma part. Je les compte sur les doigts d’une main. On m’a déjà demandé des clés USB avec des séries dessus et un durum. Je ne sais plus avec quelle sauce. Derrière la demande qui peut faire sourire, cela démontre à quel point la privation de liberté est violente et les conditions de détention difficiles. C’est vrai que la tentation de vouloir faire plaisir est grande, surtout face à l’importante concurrence entre les pénalistes mais s’il y a une ligne à ne pas dépasser, c’est bien celle-là !"
Olivier Martins: "Un mal nécessaire"
"L’avocat n’est plus considéré comme à l’époque. Mon premier client fut Basri Bajrami (ancien complice de Patrick Haemers, NdlR) et il n’a jamais changé de conseil. À l’heure actuelle, l’avocat est perçu comme un mal nécessaire. Un produit de consommation qu’on peut changer à tout moment, qu’on ne respecte plus comme avant. Les liens ne sont plus les mêmes qu’avec les gangsters de l’époque. Les vendeurs de stups ont tellement d’argent qu’ils ne savent plus quoi en faire et les clients attachants se font plus rares. Perso, j’ai toujours refusé les demandes de service et si j’ai un message à faire passer aux jeunes avocats, c’est celui de ne pas tomber dans des pièges et de garder les distances avec les clients. Ne jamais oublier que nous défendons des personnes qui n’ont pas les mêmes intérêts que nous."
Catherine Toussaint: "L’avocat, c’est Dieu"
"Les clients essaient toujours d’obtenir une faveur, aussi légère soit-elle. Un timbre, du chocolat… c’est parfois une façon de tester l’avocat. Quand vous êtes en prison, l’avocat c’est Dieu. Celui qui va vous sauver et qui va tout faire pour vous. Je leur explique que ça ne marche pas ainsi avec moi. J’estime que c’est à l’avocat de poser un cadre, pas le contraire, parce que dans leur position, on peut comprendre qu’ils le tentent. À nous de dire non. Ceux qui me proposent des cadeaux contre des services n’ont généralement pas le temps de finir leur phrase."
Henri Laquay: "Demande ça à ta sœur !"
"Je suis appelé par un trafiquant de drogue placé sous mandat d’arrêt. Je vais le voir au parloir et je me suis à peine assis devant lui qu’il me dit : ‘Vous devez dire à ma mère de réparer immédiatement la télé qui se trouve dans son salon et dire à mon frère de vendre immédiatement la voiture qui se trouve dans son garage. C’est très urgent !’ Je lui ai répondu : ‘Demande ça à ta sœur !'"
Sébastien Courtoy: "Je ne suis pas indicateur de police"
"J’ai pu constater que les gangsters ont le respect de leur avocat : ils ne m’ont dès lors jamais rien proposé d’illégal en 20 ans de carrière. La seule fois où c’est arrivé, c’est lorsqu’un mec est venu me trouver et m’a demandé : ‘qu’est-ce que je risque si je sabote les freins de la bagnole du mari de ma maîtresse ?’ Je lui réponds une peine à deux chiffres. Et il me dit ‘si je me fais attraper, accepteriez-vous de me défendre ?’ Il voulait le tuer. Je n’ai rien dit à personne. Je suis avocat, pas indicateur de police. J’ai par contre réussi à le convaincre qu’il irait en prison, le mari au cimetière et que la demoiselle partirait avec un troisième. Il n’est jamais passé à l’acte."
Fabian Lauvaux: "Une prise d’otage !"
"On m’a demandé de simuler une prise d’otage ! C’était un client qui comparaissait libre au moment du prononcé et il me demandait s’il risquait de faire l’objet d’une arrestation immédiate à l’audience. Il m’a dit que si c’était le cas, il souhaitait que je me laisse prendre en otage afin de pouvoir s’évader. Je l’en ai bien sûr dissuadé. Quand les clients demandent des services obscurs, je leur explique que je me dois d’être irréprochable devant le juge qui décidera de leur sort et qu’il en va donc de leur intérêt. Alors ils comprennent".
Dimitri de Béco: "Bouger une voiture pleine de drogue"
"Les demandes les plus fréquentes, ce sont celles des proches ou des complices qui veulent à tout prix savoir s’ils sont recherchés aussi. Ils veulent une copie du dossier, ce que je refuse systématiquement. En principe, tous les confrères refusent d’ailleurs. Un client m’a une fois demandé, alors qu’il venait d’être interpellé, de vider une voiture que la police n’avait pas encore trouvée. Une voiture pleine de drogue. Il m’a proposé une somme énorme contre ce service. J’ai évidemment refusé et la voiture n’a jamais été retrouvée. Il n’a pas changé d’avocat. Je refuse toujours aussi de donner des fausses promesses de résultats aux clients et beaucoup viennent chez moi pour cela aussi. Ils savent que je ne vais pas leur mentir pour leur faire plaisir."
Nathalie Gallant: “Un compte transit contre une énorme récompense”
"Un client bien connu du monde judiciaire m’a demandé, alors qu’il était détenu, d’ouvrir un compte pour faire transiter une somme phénoménale sur laquelle il me proposait un magnifique pourcentage. J’ai évidemment refusé. On m’a fatalement fait aussi le coup de faire entrer de la drogue, des téléphones, etc. Quand les clients tentent, je les regarde droit dans les yeux et je dis que je n’ai pas bien compris. Une fois sur deux, cela suffit et ils n’osent plus répéter. Ceux qui insistent, je leur demande des excuses et j’ajoute qu’ils peuvent changer d’avocat s’ils ne sont pas d’accord. J’ai par contre un jour offert des vêtements à une cliente qui sortait de prison et qui n’avait rien d’autre qu’une vieille jupe trouée. Vingt-cinq ans plus tard, elle m’a remercié par message pour le geste de l’époque. Cela m’a beaucoup touchée".
Fabrice Vinclaire: "Un paiement en nature”
“Les demandes de cartes Sim, GSM, etc. étaient régulières au début de ma carrière. Comme tout avocat digne de ce nom, ma réponse fut constante : ‘Faites le choix d’un autre avocat’. J’ai entendu que des tarifs étaient en vigueur. On parle de 500 ou 600 euros par téléphone. Je refuse depuis plusieurs années de déposer des sacs de vêtements aux détenus. On ne sait jamais. Des clientes travailleuses du sexe m’ont également proposé de payer mes honoraires en nature. J’ai toujours refusé. Il est fréquent aussi que les proches des suspects vous demandent des informations sur les instructions en cours. Ils ont du mal à comprendre qu’on ne peut violer le secret de l’instruction.”