La série “1985” vue par une victime: “Je ne suis pas d’accord. Ils auraient pu me demander, c’est atroce de voir ça”
Rose Djuroski face à "1985', la série événement de la RTBF : son mari a été tué par les Tueurs du Brabant
Publié le 31-01-2023 à 14h46
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Les souvenirs enfouis se sont réveillés il y a dix jours, comme une tempête. Coup sur coup, Rose Djuroski, dont le mari a été tué au Delhaize de Braine-l'Alleud, apprenait l'arrestation en Thaïlande de Robert Beijer chez qui la juge et les enquêteurs allaient procéder à des perquisitions. Et l'après-midi déjà, comme par un fait qui ne devait rien au hasard, la RTBF proposait, sur Auvio, une série de podcasts en 8 épisodes sur les Tueurs du Brabant. Le dimanche ensuite, la même RTBF diffusait, à présent sur la 'Une', le premier épisode de "1985", sa série choc sur l'affaire des Tueries.
1985, l'année où la vie de Rose Djuroski a basculé.
"1985", nous confie-t-elle, la série co-produite par la VRT et la RTBF qu'elle aurait aimé faire interdire.
Hasard horrible
En septembre 1985, Rose et Bozidar Djuroski se connaissaient depuis près de vingt ans.
Dans son pays d'origine, l'ex-Yougoslavie, le prénom 'Bozidar' signifie 'cadeau de Dieu '.
"C'est ce que Bozidar était pour moi, un cadeau de Dieu. Il était généreux, gentil, courageux, toujours prêt à rendre service. Le genre d'homme que je souhaite à toutes les femmes de rencontrer. Nous avions un ménage formidable avec de beaux enfants, deux filles et deux garçons".
Le couple s'était rencontré à Charleroi, dans ce restaurant où Bozidar travaillait. Mariés, ils ouvraient un commerce d'antiquités, d'abord à Uccle, ensuite à Waterloo.
Le pire est qu'ils n'allaient jamais au Delhaize de Braine-l'Alleud.
Mais ce vendredi 27 septembre 1985, ils se rendaient à Tubize, avec Bernard, leur fils âgé de 15 ans, à l'anniversaire d'une amie avec qui Bozidar avait fait ses études en Macédoine.
A quoi tient le destin ! Il n'était pas question d'arriver les mains vides. Et ce Delhaize se trouvait sur le trajet. Bozidar a arrêté la camionnette sur le parking du supermarché, de manière à acheter une bouteille de slivovitz.
Rose est descendue avec Bernard, ce dernier l'attendant à l'entrée. Les alcools se trouvant près des caisses, sa mère en avait juste pour un instant. Et cet instant a suffi.
"Tout a été rapide. Je n'ai même pas eu le temps de choisir une bouteille. Il y a eu des tirs et des cris de panique. Bernard s'est écroulé. Je le voyais étalé sur le dos, à l'entrée, rempli de sang, je ne le reconnaissais pas. Les assassins avaient tiré aussi sur mon mari, qui attendait dans la camionnette. J'étais là. Perdue. C'était terrible, affreux. On m'a giflée, à un moment, pour me sortir de l'état dans lequel je me trouvais. Ils ne m'ont pas laissée monter dans l'ambulance."
Un particulier la déposait à la clinique de Braine-l'Alleud. Les équipes du Dr Wynen tentaient l'impossible. En vain, malheureusement, pour Bozidar. Le pauvre homme avait 41 ans.
Quant à son fils, les chirurgiens lui retiraient un poumon, une partie de la rate et quelques-uns des très nombreux projectiles. Pas tous. Certains sont encore là, dans son corps, depuis trente-sept ans.
Bernard, qu'on appelle aussi Bozidar, comme son père, n'a pas su tout de suite que son papa n'avait pas survécu. On le lui a caché. "Il n'était pas en état. Bozidar l'a appris plus tard quand un patient lui a dit par maladresse, "c'est quand même dommage pour ton père."
Rose a pu voir trois minutes la dépouille de son mari. "Je crois avoir fermé les yeux. C'était trop dur. Ça faisait tellement mal ".

Du grand vaudeville
En septembre 1985, Rose Djuroski se retrouvait donc seule avec peu de moyens et quatre enfants à charge. Si le CPAS l'a aidée dans les premiers temps, elle a dû tout rembourser. La Commission d'aide aux victimes a versé des indemnités : la sienne a servi à tout rembourser, dit-elle.
Elle a maintenant 81 ans. Elle habite une petite maison, à Waterloo, entourée de trois chiens et onze chats qu'elle a recueillis. Ses petits-enfants lui rendent visite, dont ceux de Bernard, Sacha et Nicolas.
Elle a longtemps espéré l'arrestation des auteurs. Ce fut, à chaque annonce d'une nouvelle piste, de nouvelles désillusions. L'enquête est pour elle un "grand vaudeville". Elle lui reproche, en particulier, d'avoir à chaque fois tout dû apprendre par la presse, ce qu'elle trouve très anormal et très choquant. Et cette série qui passe à la télé, '1985', ne trouve pas davantage grâce à ses yeux.
Rose Djuroski n'est tout simplement pas d'accord.
Griefs
Pour commencer, elle considère que les réalisateurs qui "ont pris du temps pour réaliser les huit épisodes, n'ont pas trouvé un instant pour nous prévenir et me demander mon avis. J'ai perdu mon mari, mon fils est handicapé à vie. Ils auraient pu nous contacter ", estime-t-elle.
Irritée par ce manque d'élégance et de prévenance dit-elle, la veuve de Bozidar Djuroski avait décidé de boycotter la série. "Si j'avais été en position de la faire interdire, je l'aurais fait", dit-elle en ajoutant : "Je suis une vieille dame et qui pense à nous." La veuve d'une victime veut qu'on sache que cette série télé "me fait mal"
La curiosité l'a finalement emporté. Rose a regardé le début du premier épisode. C'était insupportable pour elle. Elle a coupé à la séquence du vélo d'enfant couché sur le parking du Delhaize d'Overijse. Elle a repris plus tard et ce qu'elle a vu l'a, dit-elle, retournée. "C'est atroce de montrer ça. Je souffre d'avoir vu ça. Mon fils aussi n'est pas bien ".
Questions
Elle estime que '1985' "fait la part belle "aux flamands, on voit que c'est eux qui dirigeaient (la réalisation)".
Mme Djuroski se dit choquée par certaines scènes, particulièrement celles qui montrent "l'agressivité de la gendarmerie".
Elle s'interroge sur ce mélange de fiction et de réalité, qui n'est pas clair selon elle. "Quand commence l'un et où finit l'autre ? Les gendarmes sont-ils vraiment comme on les montre : voleurs, tricheurs, ratonneurs, magouilleurs. C'est une honte de voir ça".
A-t-elle vraiment eu lieu, demande-t-elle, cette scène dans une chapelle où des gendarmes, dont un qui a une croix gammée sur le torse, sont occupés à visionner la cassette des 'ballets roses' ".
Elle s'adresse, enfin, aux réalisateurs dont elle souhaite savoir "quels étaient les buts et les intérêts".
Enfin, elle est maintenant convaincue, grâce à '1985', que "gendarmes et Tueurs du Brabant ne font qu'un". C'est magnifique quand on sait que les enquêteurs, eux, sont toujours en train de chercher. Avec '1985', la vérité vient de la fiction.
Son courage
Elle attend de la justice et de la police que l'enquête continue.
"Bien sûr que je veux qu'on arrête les assassins. J'ai bientôt 82 ans. Je serais soulagée, avant de partir et de rejoindre mon étoile là-haut, d'apprendre qu'on les a arrêtés et qu'ils mourront en prison ".
L'entretien se termine. Rose nous parle des autres drames de sa vie. Elle pourrait bientôt devoir déménager. Elle cherche un nouveau logement. C'est compliqué, à son âge, avec sa petite pension et les chiens et les chats qu'elle ne veut pas quitter. Parce qu'elle les a recueillis, ces animaux dont personne ne voulait. Rose, dans les drames qui ne l'ont pas épargnée, se montre d'une extrême gentillesse, d'une grande douceur, d'une incroyable générosité.