Un policier et sa femme victimes d’un attentat: “Deux bombes piégées avec des billes de plomb, c’était pour blesser ou tuer”
Victimes d'un attentat contre leur maison, un policier enquêteur et sa femme racontent leur descente en enfer
Publié le 01-02-2023 à 13h39
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Frédéric et Karima ont pensé, en juillet, avoir vécu le plus douloureux. Ils se trompaient. Car après l'attentat vint la suspicion.
Frédéric est premier inspecteur à la zone de police BruNo, qui couvre Schaerbeek, Evere et Saint-Josse. Celle de Thomas Montjoie, son collègue tué rue d'Aerschot.
Un soir de l'été dernier, alors qu'il se trouvait chez lui avec sa femme et leurs deux enfants, Frédéric a été victime d'un attentat qui le visait parce qu'il est policier enquêteur. Deux engins ont explosé sur la façade, occasionnant des dégâts importants. Leur voiture est détruite. Ils ont le sentiment d'avoir échappé au pire.
Mais alors qu'il attendait du soutien, l'inspecteur de 45 ans faisait face aux soupçons. De victime, il devenait suspect. Le couple était interrogé, rudement, par un service spécialisé de la police fédérale.Démolis, Frédéric et sa femme Karima ont choisi la DH pour raconter leur descente en enfer. "On ne se remet ni de l'attentat qu'on a subi ni de la manière dont nous avons été traités".
Après vingt ans de police, l'inspecteur judiciaire se croyait apte à tout affronter. Il est effondré. Son couple part à la dérive. Sept mois après, Frédéric n'a toujours pas repris le travail.

Pour tuer
Nous sommes au soir du lundi 25 juillet. Les enfants âgés de 14 et 16 ans sont au lit. Leur mère Karima, monte à son tour à l'étage, son mari s'installant au salon, devant la télévision. "Il devait être 22 h 30 quand les deux explosions ont eu lieu à intervalle, aussi puissantes l'une que l'autre. La première, contre la fenêtre dont le volet était baissé; la seconde, sur le pas de la porte d'entrée. Dans l'instant, le volet était en feu, des flammes montaient plus haut que la corniche. Le double vitrage explosait et les rideaux prenaient feu dans le living".
Ils décrivent la suite. Les enfants hurlent. Leur mère se précipite dans leur chambre et les fait sortir en enjambant un mur sur le toit, de manière à les évacuer par l'arrière. Au rez-de chaussée, Frédéric s'emparait d'un tuyau d'arrosage qu'il tirait depuis le jardin pour éteindre les flammes à l'avant. "Ça sentait l'essence partout. La fumée envahissait la maison, également les caves. On n'y voyait plus rien."
Quand enfin Frédéric sortait de l'immeuble, inspectait les alentours et constatait les dégâts à la façade et à la Volvo, il trouvait des dizaines de billes de plomb disséminées sur la chaussée et le trottoir, ainsi que les restes fondus de deux bidons plastique.
"On avait piégé les cocktails molotov à l'aide des billes pour faire office de projectiles. C'était puissant. Des billes se sont incrustées dans les châssis et certaines dans le béton. C'était pour tuer, et machiavélique. La première explosion devait nous amener à ouvrir la porte de rue au moment où le deuxième engin devait exploser dans les jambes ou dans la figure".

Qui !?
L'inspecteur judiciaire appartient au service BTA (special assistance unit) de la zone BruNo. Or le matin, il avait pris part à des perquisitions dans le milieu criminel albanais. Une piste en or s'ouvrait. L'enquête allait pourtant prendre une autre direction.Dans l'immédiat, le couple et les enfants étaient placés sous protection. Plus question, pendant plusieurs semaines, de rentrer chez eux. Ils étaient pris en charge et hébergés dans une 'safe place' comme le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne et sa famille l'ont été récemment.
Sauf qu'un 'beau' matin, Frédéric et Karima étaient convoqués pour audition dans le service en charge de leur protection.Le ton avait brusquement changé.
De victime, le policier était devenu suspect. "Pour mes collègues, il était manifeste que je dissimulais des éléments. Ils m'accusaient. Pour eux, l'attentat correspondait à un acte de représailles, comme ceux qui se commettent à Anvers dans les milieux criminels de la drogue. En clair, j'étais un ripou ".
Les enquêteurs interrogeaient Karima à part. Une rude épreuve dont elle ne se remet pas. "Ils allaient partout dans notre vie de couple, nos finances et notre vie privée ". La jeune femme sortira de l'épreuve anéantie et dévastée. "Ils avaient distillé du venin. Frédéric et moi sommes ensemble depuis vingt ans. Ils sont parvenus à me faire douter de mon mari. J'ai même envisagé de le quitter ".
Le milieu mafieux albanais n'y était pour rien. A l'heure où nous écrivons ces lignes, la piste la plus prometteuse est celle d'un individu que Frédéric avait interpellé l'avant-veille dans une enquête pour vol de voiture. L'homme serait bien connu de la police et de la justice pour vols, agressions et - hasard curieux - incendie volontaire.
Pour le couple, aucun doute que c'est lui qui a fabriqué les deux engins et les a déposés contre la façade. Il connaissait leur adresse via les réseaux sociaux.L'individu a été interpellé, et Karima enrage d'avoir appris qu'il aurait été relaxé le jour-même.Depuis, le policier et son épouse n'entendent plus rien de l'affaire. "Nous sommes outrés, réagit Karima, d'être tenus dans l'ignorance. Ils ont traité mon mari de tous les noms. Frédéric est en incapacité depuis 7 mois. Il est suivi par un psy pour syndrome post-traumatique. Nos enfants sont dans l'angoisse. Les mesures de sécurité pour assurer notre protection ont été levées. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Notre couple bat de l'aile. Je n'ai vu personne de l'aide aux victimes. Aucune assistance psychologique n'a été prévue pour les enfants. C'est le silence total du côté des assurances. Notre vie est un enfer. Nous avons dû prendre un avocat et sans lui, sans Me Bernard Tieleman, pour nous soutenir, nous serions dans un total abandon, tandis que le suspect, lui, vit sa belle vie".
On parle ici d'un premier inspecteur de police avec qualité d'OPJ (officier de police judiciaire), désigné pour la recherche et donc particulièrement exposé, entré à la police en 2001.