Le long combat d’Alfio et Nathalie pour honorer la mémoire de leur fils : “Il faut priver les chauffards de leur permis jusqu’au jugement”
Les deux Louviérois ont perdu leur fils Matthieu dans un accident de voiture, dont le conducteur était sous influence de la boisson. C'était en 2021 et il n'a toujours pas été jugé.
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Publié le 23-02-2023 à 06h23 - Mis à jour le 23-02-2023 à 07h43
L’intérieur de leur modeste maison de rangée de la rue Léopold Dupuis, à La Louvière, regorge de photos, dessins au fusain et autres représentations de leur fils. Sur la table, une boîte avec des dizaines de plumes tombées ces derniers mois dans le jardin. “Des plumes d’ange, confie avec émotion Nathalie, les larmes aux yeux. Je suis persuadée que ce sont des signes que Matthieu nous envoie.”
Le 10 juin 2021, la vie d’Alfio et Nathalie a basculé lorsque les policiers sont venus frapper à leur porte en soirée. Avec une annonce qu’aucun parent ne devrait entendre. Matthieu, leur fils de 19 ans, gilles de La Louvière et membre de l’équipe U19 de la Raal, est tragiquement décédé dans un accident de voiture en rentrant de soirée. Quelques heures auparavant, le jeune louviérois avait entrepris de sortir avec des amies dans une bar du côté de Mons. Tout était prévu : un Bob avait été désigné pour que tout le monde puisse rentrer en sécurité. “À 21h30, on a été pris d’un pressentiment, confie Alfio Sardo. Nous lui avons envoyé un message et il nous a répondu de ne pas nous inquiéter, qu’ils allaient bientôt partir, qu’il y avait un Bob et qu’il dormirait chez sa copine.”
Mais au moment de partir, après s’être installé dans la voiture qui devait le ramener, Matthieu en est descendu. “Il s’inquiétait pour une connaissance et voulait être sûr qu’elle rentrerait saine et sauve. Il est donc monté à bord de sa voiture, côté passager, sans forcément savoir que ce copain avait bu de l’alcool. Mais durant le trajet, le conducteur a perdu le contrôle de sa voiture qui est partie en tonneaux.”

Matthieu est mort sur le coup. Le conducteur, lui, s’en est sorti indemne. “Notre vie n’a pas basculé ce jour-là : elle s’est tout simplement arrêtée, confie Alfio. Quelques semaines après, ma compagne, qui était infirmière à domicile, a été licenciée car sa patronne la trouvait... instable.”
Nathalie a depuis écrit un livre sous forme d’exutoire ('Matthieu journal d’une mère en apnée', aux éditions Luc Pire), pour mettre des mots sur le drame et tenter de comprendre l’incompréhensible. Alfio, lui, a souffert d’un début d’infarctus, prend encore aujourd'hui des antidépresseurs, des somnifères pour dormir et des anxiolytiques. “Je n’ai rien fait pendant huit mois, à part quitter mon fauteuil pour aller trois fois par jour au cimetière, explique-t-il. Ma vie n’avait plus de sens et j’avais beaucoup de difficultés à me lever. On m’a ensuite diagnostiqué le syndrome de la jambe sans repos généré par le stress consécutif à l’accident. Et je suis encore suivi par un psy. On n’ose plus prendre la voiture et le moindre gyrophare nous crispe. Tout cela m’empêche de reprendre mon boulot de chauffeur de bus.”
Près de 19 mois après le terrible accident, le conducteur responsable de la mort de Matthieu n’a toujours pas été jugé. Il le sera vendredi. Mais entre-temps, il a pu reprendre le volant. “Alors qu’on a pris perpétuité, il a repris sa vie presque normalement. On sait déjà qu'il n'aura que du sursis. Quinze jours seulement après l’accident, il pouvait tranquillement récupérer son permis et rouler à nouveau confortablement, comme si rien ne s’était passé. Dans cette histoire, les seuls punis, c’est notre fils et nous. Matthieu n’aura plus jamais la chance de se marier, d’avoir un boulot, des enfants… J’enrage qu'il ne soit plus là tout en sachant que celui qui est responsable de sa mort puisse vivre une vie confortable.”
Comble du malheur, la famille Sardo était victime d’un nouveau drame, huit mois après le décès de Matthieu. Alfio perdait deux amis, Fred Cicero et Salvatore Imperiale, dans le drame de Strépy-Bracquegnies, qui faisait quatre autres victimes et de nombreux blessés.

Un nouveau drame qui les a poussés à se lancer dans un long combat pour faire changer les choses. Avec une loi baptisée MattBracq, pour Matthieu-Bracquegnies, qu'ils espèrent voir un jour être adoptée. “Je devais faire quelque chose pour honorer la mémoire de mon fils, confie Alfio. Trop de gens, jeunes et moins jeunes, sont tués chaque année par un conducteur sous influence de la boisson ou de stupéfiants. Qui, en plus, roulent généralement trop vite. Mais la loi est trop laxiste envers ces criminels de la route.”
Pour Alfio, les sanctions envers les personnes sous influence sont trop clémentes. “Et ne sont pas de nature à les empêcher de prendre le volant, ivres ou sous emprise de stupéfiants. Au pire auront-elles une amende et un sursis si elles tuent quelqu’un. Il faut les punir plus sévèrement.”
À commencer par un retrait de permis prolongé jusqu’au prononcé du jugement. “Aujourd’hui, comme ça a été le cas pour mon fils, le conducteur qui tue quelqu’un est privé de son permis pour 15 jours, puis peut le récupérer et vivre une vie quasi normale jusqu’au jugement. Cela ne va pas : il faut empêcher ces chauffards de la route de reprendre le volant tant qu’ils n’ont pas été jugés pour leurs actes. Nous réclamons que ce retrait soit automatisé si le conducteur a provoqué le décès d’une personne.”
Alfio a donc multiplié les contacts politiques, étant auditionné au Parlement wallon puis au fédéral. “J’ai été reçu par des députés de tous bords pour que cela reste un combat citoyen et que cela ne devienne pas un combat politique. Car les victimes de la route n’ont pas de couleur politique.”

Alfio et Nathalie plaident aussi pour que les faits, en cas de décès, ne dépendent plus de la juridiction de police, mais soient correctionnalisés. “Quand on prend le volant en ayant bu ou pris des stupéfiants, on sait qu’on augmente les risques de tuer quelqu’un sur la route. Il faut que ce soit reconsidéré comme un homicide et non plus comme un banal accident de la route. Si les risques encourus sont amplifiés, cela pourrait conscientiser ceux qui continuent à prendre le volant après avoir bu ou ingéré des stupéfiants.”
Aujourd’hui, Alfio et Nathalie disent “dépenser le peu d’énergie qu’il leur reste” pour faire bouger les choses. Nathalie se rend d’ailleurs régulièrement dans des écoles pour y témoigner. Et tenter de conscientiser les futurs conducteurs de l’importance de rouler sobre.
Benoît Godart : "Leur demande est compréhensible"
Porte-parole de l’Institut Vias, Benoît Godart juge “compréhensible” la demande des parents de Matthieu Sardo. “Il est souvent inaudible pour les parents d’enfants victimes de la route que les responsables puissent reprendre le volant après seulement 15 jours, en attendant le jugement. Ce n’est pas normal et cette demande peut être soutenue. Cela mérite d’être étudié.”
Mais, estime Benoît Godart, cette problématique illustre surtout les lenteurs de la justice. “Les condamnations devant le tribunal de police ont régulièrement lieu plusieurs mois après les faits. Même si cela sort de mon domaine de compétence, ce délai est trop long.”
L’an dernier, pas moins de 4.224 accidents avec blessés ou tués ont impliqué un conducteur sous influence de la boisson. Soit 11 % du total des accidents avec lésions corporelles. Par le passé, Vias avait estimé que 115 vies pourraient être épargnées chaque année si plus personne ne conduisait en ayant bu. “Durcir les sanctions c’est bien, mais les études ont prouvé que le risque de se faire contrôler avait plus d’impact que l’ampleur de la sanction. Il faut donc augmenter les contrôles pour lutter contre les influences au volant.”