Virginie, présente dans le wagon où s'est fait exploser le kamikaze de Maelbeek, raconte son calvaire: "Mon cerveau a été happé par la survie"
Une femme qui se trouvait dans le 2e wagon du métro, où s'est fait exploser le kamikaze le 22 mars 2016 alors que le convoi quittait la station Maelbeek, est venue raconter lundi, devant la cour d'assises, comment elle avait survécu à cet attentat malgré ses très graves blessures.
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Publié le 20-03-2023 à 15h46 - Mis à jour le 20-03-2023 à 17h41
"Mon corps est passé en mode automatique, mon cerveau en mode survie. Il a été happé par la survie", se souvient Virginie Valentin, 45 ans, fonctionnaire dans l'administration publique.
Le 22 mars 2016, comme tous les jours, elle prend place dans le métro à la station Hermann-Debroux, la première sur sa ligne, ce qui lui donne le choix de pouvoir choisir où s'installer dans le convoi. Elle opte toujours pour le 2e wagon, avec une place sur la gauche, à côté de la fenêtre. "C'est là ma première erreur, si je puis m'exprimer ainsi". La seconde erreur, à ses yeux, elle la commet en étant un peu en avance pour se rendre au travail ce jour-là.
Le métro se met en branle, se remplit petit à petit jusqu'à arriver à la station Maelbeek. Quand il la quitte, c'est "1,2, boum!", raconte la témoin. "1, 2 pour le temps qu'il met à entrer dans le tunnel, puis boum! pour le bruit puissant de l'explosion."
La déflagration "me soulève, je flotte. Il n'y avait aucun bruit, aucun cri, aucun mouvement avant l'explosion", décrit Virginie Valentin. "Je me dis que je vais mourir. Je ne veux pas mourir. J'ai l'impression d'être hors de mon corps."
La victime retombe sur son siège et reprend conscience. A tour de rôle, elle vérifie que ses membres sont encore bien là. Le wagon est plein de fumée, la visibilité n'est pas bonne, se souvient-elle, évoquant également l'odeur, "une sale odeur qui va me coller aux cheveux et à la peau un certain temps".
Au sol, il y a plein de débris matériaux et humains, les gens sont hagards. La fonctionnaire établit le contact avec sa voisine et se décide à sortir du wagon avec elle. "A ma droite, c'est l'enfer, à ma gauche, il y a les rails en sens inverse." Toutes deux sortent par l'espace vide de la fenêtre et descendent sur les voies. L'adrénaline les aide à remonter sur le quai d'en face.
Virginie Valentin se trouve avec deux autres personnes à ce moment-là et tous cherchent à quitter la station. "Je me rends compte qu'ils sont à la traine, mais il est m'est impossible de faire demi-tour, mon corps est passé en mode automatique, mon cerveau mode survie. Il est happé par la survie."
La trentenaire à l'époque des faits finit par retrouver l'air libre, à l'extérieur de la station. "Je m'assieds devant la sortie et la douleur m'envahit. Je tiens ma nuque, mes oreilles bourdonnent."
Dans les minutes qui suivent, la victime n'aura de cesse de se plaindre de sa nuque. Le trajet en ambulance vers l'hôpital ne sera ensuite qu'un long calvaire durant lequel chaque secousse est un supplice. La fonctionnaire a en effet eu la colonne vertébrale fracturée en plusieurs endroits, mais la moelle épinière n'a pas été touchée.
Après avoir passé une semaine aux soins intensifs et une autre en neurologie, Virginie Valentin doit attendre que les fractures se consolident avant de pouvoir s'occuper de la reconstruction de ses tympans, qui intervient en janvier et avril 2017.
La victime, qui dit avoir mis des années à récupérer son corps, souffre toujours de douleurs régulières aux cervicales et au dos, dort mal et a encore très souvent des 'flashes'. Elle a également des acouphènes bilatéraux et permanents. "C'est le pire", fustige-t-elle, car cela l'isole de ses amis ou des endroits bruyants.
Virginie Valentin a aussi confié devant la cour avoir senti une forme de culpabilité d'avoir laissé des gens derrière elle dans la station de métro après l'explosion. Elle n'en revient pas non plus d'avoir survécu malgré sa proximité avec la bombe, le souffle de celle-ci et les images du wagon qu'elle a vues.
Désormais, la fonctionnaire, qui a repris le travail après deux ans, ne prend plus le métro, sauf si elle n'a vraiment pas le choix. "Quand le métro passe à Maelbeek, mon corps pleure", dit cette "survivante", qui ne veut pas de la pitié des autres.
Le 22 mars 2016 a par ailleurs commencé un autre "calvaire", celui de la reconnaissance, notamment vis-à-vis des assureurs, a-t-elle poursuivi. A ses yeux, par trois fois, l'Etat a échoué à la protéger: avant les attentats; le jour des faits en n'arrêtant pas le métro malgré la menace, et en laissant ensuite les victimes "en pâture" aux assureurs. La quadragénaire s'est sentie "humiliée, avec la complicité de l'Etat".
La seule colère qu'elle porte désormais, c'est envers l'Etat "qui a failli". "Les accusés, je suis presque désolée pour eux. C'est dommage de mettre tant d'énergie à détruire, quelle aurait été leur vie s'ils avaient mis autant d'énergie à construire?", leur a-t-elle lancé.
Lorsqu'elle prend encore le métro, Virginie Valentin a repris son habitude de s'asseoir au même endroit dans le train, dans le 2e wagon. "Mais je ne suis plus jamais à l'avance."

Rita, mère d'une victime: "Aujourd'hui, c'est la foi qui me permet de tenir debout"
"Sabrina est née avec le sourire, elle était sociable, elle aimait servir et rendre service depuis toute petite", a témoigné lundi sa mère au procès des attentats de Bruxelles, d'une voix douce mais brisée par le chagrin. La jeune fille, d'origine congolaise, a perdu la vie dans le métro de Maelbeek à l'âge de 24 ans, laissant dans son sillage un petit garçon, prénommé Eden. Le matin du 22 mars, Sabrina Esmael Fazal avait quitté son domicile de Wavre pour se rendre à Bruxelles, où elle suivait des cours à la Haute Ecole Galilée en soins infirmiers. "Il ne lui restait plus qu'un arrêt pour arriver à l'école" quand elle a été emportée par l'explosion du kamikaze, retrace sa mère Rita.
Cette dernière avait eu un pressentiment ce jour-là... "Je ne sais pas trop pourquoi, mais dès le réveil, j'ai été envahie par une drôle de sensation. Comme à mon habitude, j'ai allumé la télévision pour regarder les infos matinales et là, l'horreur, j'ai vu défiler les images des attentats...", se rappelle-t-elle. "Très vite, j'ai tenté de joindre Sabrina, mais elle ne m'a pas répondu, les lignes étaient coupées ou saturées. C'est alors que les heures se sont enchaînées, dans une terrible angoisse", poursuit-elle. Jusqu'à l'annonce du décès 5 jours plus tard. "Le choc, je ne voulais pas y croire".
Sept ans après, ces événements ont brisé le cercle familial dont l'existence est "à la dérive", malgré la foi qui l'anime.
"Je n'ai pas pu reprendre le rythme du travail", illustre la mère". Je suis tombée en dépression, j'ai perdu du poids et une partie de mes cheveux. La vie de mes enfants est à jamais marquée au fer rouge à cause de cette histoire".
Ainsi, Jérémy, le frère de la victime, ne veut plus parler des attentats. Introverti, il garde en lui toute sa douleur et sa colère. "Il va parfois se recueillir au cimetière, il se couche sur la tombe de sa soeur pour lui faire un câlin. Son seul refuge, c'est la pierre froide où repose Sabrina", évoque la mère dans un sanglot.
La sœur, Sarah, est elle aussi dévastée. "Elle avait une merveilleuse complicité avec Sabrina. Aujourd'hui, elle mène une vie à 300 à l'heure comme si elle vivait pour 2".
Quant au fils de l'étudiante en infirmerie, Eden, il était âgé d'un an et demi, au moment où son destin a basculé. "Du jour au lendemain, il n'a plus vu sa mère, il a subi un traumatisme. Parfois, je le vois embrasser des photos d'elle".
"Nos vies sont définitivement brisées, nous ne serons plus jamais les mêmes, mon mari a sombré dans une dépression dont il ne se remet pas", a encore ajouté la témoin, avant de terminer sur une notre plus souriante: "Sabrina adorait les boules de Berlin. Personnellement, j'ai toujours détesté ça, mais il m'arrive à présent d'en acheter et de croquer dans ces pâtisseries à la crème tout en me rappelant le plaisir qu'elle prenait à les manger. Ce sourire m'appartient et me liera à jamais à ma fille".
"Aujourd'hui, c'est la foi qui me permet de tenir debout", a-t-elle ponctué.

Le 22 mars, Léopold Hecht ne voulait pas céder à la peur, se souvient son père
Le 22 mars 2016, Léopold Hecht, étudiant en droit âgé de 20 ans, a refusé que sa mère le dépose en voiture à l'université Saint-Louis après qu'elle eut appris que deux bombes avaient explosé à l'aéroport de Zaventem. "Léopold a refusé disant qu'ils (les terroristes) auraient gagné si nous cédions à la peur", a raconté lundi son père Bernard Hecht devant la cour d'assises chargée de juger les attentats. Le jeune homme n'a pas changé ses habitudes et s'est retrouvé dans le métro au moment de l'explosion à Maelbeek. Grièvement blessé, il est mort à l'hôpital quelques heures plus tard. Dans les minutes et heures qui suivent les attaques, la famille de Léopold tente à maintes et maintes reprises de le contacter, sans succès. En fin d'après-midi, elle n'a toujours pas de nouvelles et l'étudiant n'est pas encore revenu à la maison.
Le frère de Léopold, Adrien, était scolarisé en Angleterre à l'époque. Via les réseaux sociaux, il apprend que quelqu'un correspondant à sa description pourrait se trouver à l'hôpital Erasme. Ce dernier finit par contacter les parents de la victime, leur demandant de venir sur place. Ils y sont conduits au chevet de leur fils, aux soins intensifs. Le jeune homme est inconscient, un drap recouvrant tout son corps, sauf sa tête, largement bandée. Il a été grièvement blessé dans l'explosion et a inhalé des vapeurs toxiques. Son pronostic vital est engagé. Très vite, les médecins informent la famille que Léopold ne passera pas la nuit.
"Nous nous sommes relayés à son chevet, nous avons pu lui parler. Nous sommes convaincus qu'il a reçu nos paroles", a raconté son père, aujourd'hui âgé de 57 ans. Adrien, lui, n'a pas pu rentrer d'Angleterre et a parlé avec son frère par téléphone.
"Quelque temps après minuit, on nous a dit que c'était fini. Nous avons alors répondu positivement et sans hésiter au don d'organes", a poursuivi Bernard Hecht.
A ses yeux, il était important de "garder un peu d'humanité dans les ténèbres qui nous entourent. Ils (les terroristes, NDLR) ne pouvaient pas gagner car les autres pouvaient continuer à vivre."
Sept années ont passé depuis le départ de Léopold et la douleur est toujours aussi vive pour sa famille, qui commence seulement à l'apprivoiser, a encore confié son père, dressant ensuite le portrait de son fils. La victime était une personne ouverte sur le monde, qui adorait les voyages, introvertie et dotée d'énormément d'humour
En fin de témoignage, le quinquagénaire s'est finalement adressé aux accusés. Certaines victimes leur ont dit leur haine et leur incapacité à pardonner, d'autres ont fait le choix inverse, a-t-il relevé. Bernard Hecht s'est lui aussi inscrit dans une démarche de pardon.
"Vous vous trouvez à un carrefour, où il faut faire un choix. Vous pouvez choisir de poursuivre sur le chemin de la haine ou bien chercher l'humanité au fond de vous. Si vous êtes courageux et que vous faites le choix de vous engager sur le chemin de la réconciliation, vous me trouverez sur votre chemin", a-t-il lancé aux accusés.
"La bombe a explosé chez nous, dans notre foyer", raconte la soeur d'une victime
La mère et la soeur de Loubna Lafquiri, une Belgo-Marocaine de 34 ans, mère de trois enfants et décédée dans l'explosion à la station de métro Maelbeek le 22 mars 2016, sont venues raconter lundi devant la cour d'assises à quel point ces attentats avaient détruit leur vie. Ce jour-là, "la bombe a explosé chez nous, dans notre maison, dans notre foyer", a ainsi regretté Amina Lafquiri, une informaticienne âgée aujourd'hui de 51 ans. Sa soeur Loubna se rendait à son travail le jour des attentats quand elle a été fauchée par l'explosion de la bombe à la station de métro Maelbeek. Elle se trouvait à quelques mètres à peine du kamikaze.
"Cela fait sept ans maintenant que cette tragédie a eu lieu. Comment vous dire l'impact et le choc que ça a été?", a-t-elle ouvert son témoignage, disant souffrir encore de graves séquelles. "Nos vies ont été éclatées en mille morceaux, comme le corps de Loubna dans le métro."
"Les murs et parois de Maelbeek sont couverts du sang de ma soeur à cause d'une cause qui nous dépasse. Je n'ai jamais entendu parler de cet islam-là, qui justifie que des hommes confectionnent des bombes et tuent des innocents, dont ma soeur", a-t-elle lancé aux accusés.
Amina et sa mère se trouvaient au Maroc au moment des attaques. Elles apprennent les informations au compte-gouttes, sans pouvoir déterminer si Loubna fait partie des victimes. "Il a fallu attendre pour que je réalise la catastrophe. Loubna était dans le métro. Depuis, l'enfer a commencé, le compte à rebours aussi."
Les heures et jours passant, "l'étau du désespoir se resserrait de plus en plus sur nous", se souvient-elle. "Nous avons vraiment espéré jusqu'à la dernière seconde, jusqu'à ce qu'une ministre lise la liste officielle des victimes." Son monde s'est alors écroulé, a expliqué Amina Lafquiri.
Mais il ne fallait pas tomber par terre et rester debout pour les trois enfants de la victime, alors âgés de 2, 6 et 9 ans, a-t-elle raconté. "Nous étions une famille pleine d'éclats de rire, de joie de vivre. Nous avions encore tellement de projets à réaliser Loubna et moi. Depuis, la dépression ne nous quitte plus. Nous étions tous ambitieux, tout s'est effondré."
La soeur de Loubna dit ne pas avoir la grandeur d'âme de pardonner aux accusés "cet acte de barbarie". "Moi, je suis en colère pour toutes ces vies qu'ils ont délibérément ôtées, en colère qu'ils aient pu briser nos vies", a-t-elle confié. Le temps ne l'a pas rendue plus forte mais l'a, au contraire, plongée dans un abîme dont il est difficile de sortir.
Evoquant les fouilles à nu avec génuflexions qu'ont dénoncées les accusés détenus, Amina Lafquiri s'est interrogée: "de quelle dignité parlent-ils? Que représentent ces fouilles par rapport aux meurtres qu'ils ont commis? Nous voulons réparation et que justice soit faite."
La mère de Loubna, âgée de 67 ans, a alors rebondi sur le témoignage de sa fille, souhaitant demander aux accusés s'ils arrivaient à dormir. "Moi, je ne dors plus. Quand on a commis un péché pareil, peut-on encore dormir normalement? Regrettent-ils leurs gestes?" Qualifiant ce qu'il s'est passé d'"inimaginable" et la perte de sa fille de gâchis, Ghita Berraho a prévenu: "moi, je ne pardonnerai pas".
Sept années ont passé depuis le 22 mars 2016 et le temps ne semble pas être réparateur pour le moment. "Je n'ai plus goût à rien, je ne vis plus. Ils ont foutu la vie de toute notre famille en l'air", a conclu la mère de la victime.