Un juge dans le box des accusés à Bruxelles pour harcèlement et violences sur mineur : “J’ai reçu la bague de mon père dans l’oeil gauche”
Un juge en activité, ancien juge d'instruction, poursuivi à Bruxelles pour violences sur ses enfants
Publié le 21-03-2023 à 06h27 - Mis à jour le 21-03-2023 à 06h59
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La DH apprend qu'un juge va devoir comparaître devant la cour d'appel de Bruxelles. Le magistrat, un ancien juge d'instruction, toujours en activité, sera jugé, ainsi que sa femme, pour des faits présumés de harcèlement moral, d'abus de faiblesse et de violences envers mineurs, les leurs. La lutte contre les violences en milieu familial étant prioritaire en termes de politique criminelle, il est étonnant d'apprendre qu'en l'espèce, le parquet général avait d'abord choisi de classer le dossier. Si rien ne s'était ajouté, le juge P. aurait tout bonnement échappé au procès.
Addiction
Mais le parquet apprenait par la suite que le magistrat faisait l'objet d'un nouveau dossier. Il était suspecté, cette fois, d'avoir détourné de l'argent au préjudice de son frère, avec la circonstance que celui-ci était alors détenu au Maroc. C'est ce qui a décidé le procureur général en personne de 'ressortir' l'affaire des violences intrafamiliales que son office avait classée quelque temps plus tôt et dont tout porte à croire qu'elle serait sinon restée sans suite.
L'affaire est interpellante, et pas seulement parce qu'elle met en cause un magistrat en activité dans un contexte d'addiction à la boisson.
Bague dans l'oeil
Il ressort du dossier que c'est l'aîné qui est à l'origine de l'enquête judiciaire qui vaudra à son père de se retrouver très prochainement sur les bancs de la correctionnelle. Il n'est pas le seul à avoir témoigné. Tous les enfants ont été entendus. L'enquête s'appuie sur des déclarations circonstanciées, nombreuses et variées.
Celles-ci décrivent les "bagarres" - c'est le terme utilisé - qui avaient lieu à la maison. Elles relatent comment les deux parents, "mon père et ma mère", montaient à l'étage "frapper notre frère aîné dans sa chambre".
Le père distribuait les gifles.
L'une des filles affirme ainsi avoir reçu "la bague de mon père dans l'œil gauche".
Des scènes pénibles sont décrites. "Il n'est pas rare que mon père laisse ma sœur dehors lorsqu'il fait froid". Les enfants ont expliqué aux enquêteurs qu'ils attendaient alors que leur père se calme pour "oser" enfin aller ouvrir la porte à leur sœur, "bravant l'interdiction paternelle ".
"Comme un vrai bébé "
Des scènes de maltraitance sont rapportées. "Il a attrapé ma mère par le cou et l'a tapée sur le radiateur." Les enfants vivaient dans un climat de tensions et de crainte. L'un d'eux a dit : " Si je fais des bêtises, j'ai envie de vite partir, en courant, pour ne pas avoir de gifles ".
Ils pointent l'addiction de leur père à la boisson. "Quant à la consommation d'alcool, expliquent-ils, il ne marche pas droit quand il a bu, il louche, il s'endort partout et sent l'alcool ".
Ils ont décrit un week-end à la mer : "J'ai dû aider mon père à aller se coucher dans son lit car il était fort bourré. Il ne faisait aucun effort, il ne se contrôlait vraiment plus, il ressemblait à un vrai bébé ".
Les enfants ont apporté des certificats médicaux et fourni des photos. L'une d'elles montre un pare-brise brisé, et voici le commentaire : "Photos du pare-brise brisé suite aux conduites en état d'ivresse où mon père et ma mère conduisaient avec les enfants ".
D'autres photos légendées figurent dans le dossier : " Traces de strangulation sur le cou de ma (mère), après que mon père l'a étranglée, lors d'une dispute ".
Un enfant a également remis une selfie de lui, avec ce commentaire : "Rougeurs sur le visage, le cou et les épaule, suite aux coups reçus"
Classement vertical
Le 6 mai 2019, le parquet général de Bruxelles décidait de classer le dossier sans suite. Il justifiait la décision en estimant que les faits étaient d'une gravité "relative". Le parquet disait vouloir tenir compte aussi de "l'absence d'antécédents de l'intéressé" et de "l'évolution positive de la situation personnelle et familiale". Enfin le procureur général considérait que le magistrat se soumettait depuis quelque temps à un "suivi médical régulier" attestant une volonté de "soigner son assuétude à l'alcool ". Bref, affaire classée.
Sauf qu'un nouveau dossier était ouvert quelque temps plus tard. Le juge était suspecté d'avoir détourné des sommes d'argent, d'un montant modique, au préjudice de son frère emprisonné au Maroc. Et que le juge, se sachant dans le collimateur, avait écrit à son frère en prison au Maroc pour le convaincre de retirer sa plainte. Il lui écrivait ceci : "J'ai besoin que tu confirmes que je n'ai commis aucun détournement. Sans quoi je suis mort. Tu me dois bien ça".
Deux affaires
Le parquet général n'a visiblement pas apprécié. Cette fois, il décidait d'entamer des poursuites et de les mener jusqu'au bout.
Le juge sera donc jugé pour les deux affaires. D'une part, pour coups et blessures volontaires sur mineurs, harcèlement moral et abus de faiblesse sur mineurs avec la circonstance qu'il avait autorité sur eux. Ensuite, pour détournement au préjudice de son frère, avec la circonstance que celui-ci, emprisonné, se trouvait dans une situation de vulnérabilité. Les faits présumés de violences familiales s'étalent sur plusieurs années. Le plus jeune des enfants est né vers 2005. La période infractionnelle retenue s'achève en 2018. Le juge approche la soixantaine. Sa femme, de dix ans plus jeune, comparaîtra à ses côtés. Rappelons avec insistance que le couple est, à ce stade, présumé innocent.
Correctes ou toxiques
Lors des auditions, les enfants ont déclaré aux enquêteurs qu'ils avaient espéré voir leurs parents se séparer. "Parce que quand ils sont séparés, ce sont des personnes correctes, de bonnes personnes. Quand ils sont ensemble, ce sont des personnes mauvaises, toxiques".
Ils décrivent comment leur père prépare ses jugements. "Avant, disent-ils, il travaillait sur son PC pour les jugements. Maintenant nos parents sont tous les deux sur Facebook ou bien ils regardent des séries ".
Un enfant a également porté une appréciation qui interpelle. " Pour moi, mon papa est raciste envers les musulmans. Il me dit que c'est faux, qu'il les accueille tous, mais c'est le premier à dire qu'ils devraient dégager et tout ".
Rappelons qu'à la différence des justiciables ordinaires, les magistrats jouissent d'un 'privilège de juridiction', qui n'est pas forcément un avantage. Ce privilège de juridiction les soumet à une procédure particulière : ils sont jugés directement par la cour d'appel. Dans le cas présent, l'affaire sera traitée par la douzième chambre de la cour d'appel de Bruxelles.