Incroyable rebondissement, dix policiers acquittés : “Ils nous ont pourtant frappés dessus sans s’arrêter !”
L'incroyable rebondissement : dix policiers de PolBru acquittés !
- Publié le 31-05-2023 à 08h57
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Dix ans après, dix policiers de PolBru, la zone de police Bruxelles Capitale Ixelles, se retrouvaient devant la cour d'appel de Bruxelles, poursuivis, dans l'affaire de l'avenue Louise, pour violences illégitimes, traitement inhumain et séquestration arbitraire.
Présentée comme une bavure policière, une affaire qui avait fait du bruit à l'été 2013. La nuit du 31 juillet, un mercredi, deux clients du Blue Moon, une boîte de nuit du quartier Louise, les accusaient de les avoir passés à tabac.
Cette nuit-là, les policiers étaient appelés pour une bagarre générale impliquant une trentaine de personnes sur le parking central de l'avenue. Ils étaient accusés, lors de l'intervention, d'avoir roué de coups deux clients éméchés du Blue Moon qui regagnaient simplement leur voiture.
Les clients étaient soutenus dans leur version par les portiers de la discothèque. Selon ceux-ci, les patrouilles étaient arrivées comme les carabiniers d'Offenbach, alors que la situation était redevenue calme, que les bagarreurs s'étaient dispersés et que les clients avaient en effet rejoint leur voiture, une Peugeot 207. Selon leurs dires encore, les clients avaient un peu bu, mais pas exagérément au point de chercher les problèmes.
Les policiers leur ont demandé de sortir du véhicule. Devant leur refus, ils avaient décidé de les extraire de force. L'un des policiers avait coincé "malencontreusement" un doigt dans la portière. Ses collègues s'étaient alors "déchaînés". "Les coups", disaient-ils,"ont immédiatement fusé de la part des policiers".
Le passager a été jeté sur le trottoir et "roué de coups". Le conducteur, pareillement extrait du véhicule, s'est entendu dire que "cela allait mal se passer".
De fait, durant leur transfert, ils auraient continué d'être malmenés, "battus" et "roués de coups". Les violences se sont poursuivies au commissariat où ils ont été "privés arbitrairement plusieurs heures de leur liberté" et "frappés alors qu'ils se trouvaient dans les cellules". Ils ont reçu des coups "sans arrêt" jusqu'à leur transfert vers le bâtiment Portalis, rue des Quatre Bras, au parquet de Bruxelles.
Un plaignant affirmait avoir reçu aussi des coups de matraque et avoir été plaqué solidement contre un véhicule de police, la tête maintenue avec force "contre la vitre" de celui-ci. Enfin, alors qu'il se trouvait à terre, un policier avait encore écrasé sa tête "avec la semelle de sa bottine".
Constats de lésions
Le médecin légiste fournissait des constats de lésions très éloquents. Pour l'un : œdème à la cuisse droite ; contusions multiples à la cuisse gauche, aux poignets et sur les épaules ; traces de coups au niveau du crâne ; fracture de la cloison nasale ; perforation tympanique ; hématome pariéto- occipital périorbitaire ; nombreuses lésions ecchymotiques et tuméfactions à la tête et sur l'ensemble du visage ; enfin "ensemble dermabrasif au niveau du vertex" pouvant correspondre, en effet, à "la semelle d'une chaussure".
Quant à l'autre plaignant : "très nombreuses lésions et tuméfactions au niveau du massif facial" ; hématome important de la région orbitaire droite ; multiples hématomes sur les bras ainsi que des hématomes "mutilant les cuisses", etc.
"On se faisait massacrer", répétaient les plaignants, soutenus en cela par les témoignages "accablants" des portiers.
Condamnations requises
Alors que l'affaire remontait au 31 juillet 2013, les policiers étaient jugés presque dix ans après, à l'extrême limite de la prescription. Dans deux mois, c'était trop tard.
Le parquet concédait que s'il était impossible, vu le nombre de policiers intervenus, d'établir lequel avait fait exactement quoi, il était manifeste que des "violences disproportionnées" avaient été exercées et que deux policiers identifiés avaient "indéniablement dépassé les violences nécessaires et légitimes dont les fonctionnaires de police peuvent faire usage".
L'avocate générale, Estelle Arpigny, sans s'opposer au sursis, réclamait, comme en première instance, que ces deux-là soient déclarés coupables et condamnés à trois mois d'emprisonnement.
Le doigt qui craque
La 12e chambre de la cour d'appel de Bruxelles a tout repris de zéro, minutieusement, au départ de la bagarre initiale provoquée apparemment par le vol du GSM d'une cliente du Blue Moon.
D'emblée, la cour d'appel prend des distances par rapport aux témoignages des deux portiers. Elle considère que ceux-ci connaissant les plaignants, "de bons clients", ont pu être enclins à témoigner dans leur sens et accuser faussement les policiers. C'était la thèse des avocats des policiers, en particulier de Me Bernard Tieleman qui défendait seul la plupart.
Ensuite, la cour d'appel met à mal la version des deux clients du Blue Moon. La cour commence par rétablir que le policier n'a pas cassé son doigt "malencontreusement". En réalité, rectifie la cour, "un des particuliers qui se trouvait dans la voiture a, tout d'un coup, attrapé la main de l'inspecteur Bruno et l'a tordue. Tout le monde a entendu distinctement un énorme crac !", poursuit-elle : "le craquement du doigt".
La cour relève d'ailleurs qu'un autre policier a quant à lui été mordu au bras, à sang. Et qu'un troisième s'est retrouvé à l'hosto pour "entorse à la cheville", avec, pour résultat, dix jours d'incapacité de travail.
Whisky-Coca et vodka-Red Bull
La cour d'appel retient les insultes. Les policiers furent traités de "Flics de merde", de "Sales flics, je vous emmerde", d'"On ne paie pas nos impôts pour être traités comme cela" et de "Fils de pute, vous faites les malins, je connais des gens haut placés".
Elle relève que les plaignants, qui refusaient d'obtempérer à l'ordre qui était donné de sortir du véhicule, avaient bu, l'un, une demi-bouteille de whisky-Coca ; le second, quatre vodka-Red Bull.
Les juges d'appel, enfin, n'écartent pas que des blessures relevées sur les constats de lésions, aient en réalité été occasionnées lors de la bagarre avec la trentaine d'individus, qui avait précédé l'arrivée de la police.
C'était la thèse également des avocats Bernard Tieleman et Thierry Hallet : il était plus facile de faire porter le chapeau à des policiers que se retourner contre des inconnus qui avaient disparu avant l'arrivée de la police. Me Tieleman ajoutait : "plus facile et dans l'air du temps."
Virus du soupçon
Dix policiers de PolBru, dont une femme policière, ont vécu dix ans avec une épée de Damoclès sur la tête, et le virus du soupçon. Tous sont acquittés, et c'est définitif.
La cour d'appel est claire. Elle considère qu'ils "n'ont pas fait usage d'une force déraisonnable afin de maîtriser les plaignants (qui) ne voulaient pas se soumettre à un contrôle d'identité."
Quant aux coups de matraque : "il n'est pas démontré qu'ils ont été portés avec une violence disproportionnée et non légitime alors qu'il n'est pas contesté que les plaignants avaient refusé d'obtempérer aux injonctions".
Enfin : "Si certaines blessures ont pu être le résultat d'une interpellation 'musclée', il n'est pas davantage démontré que les policiers ont fait usage d'une violence disproportionnée afin de maîtriser les plaignants, vu leur état d'agressivité".
Certains étaient en début de carrière, d'autres des policiers expérimentés. Ils ont aujourd'hui entre 32 et 52 ans. Tant dans la vie privée que professionnelle et leurs carrières, ils ont vécu depuis 2013 dans le doute et la suspicion.
L'affaire avait fait du bruit. Les acquittements en feront moins.