“Ma cliente n’a plus d’orgasme depuis sa chute à moto, en 2002”: elle va toucher 250.000 euros d’indemnités !
La Région wallonne devra verser 250 000 euros à une motarde pour un accident survenu il y a vingt ans
- Publié le 07-06-2023 à 06h46
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Il lui a fallu s'armer de patience mais elle a fini, après plus de vingt ans, par obtenir gain de cause, la motarde qui, en 2002, a chuté dans un chantier mal signalé qui avait lieu sur la route nationale entre Sombreffe et Villers-la-Ville. Déclarés responsables à part égale, la Région wallonne et l'ancienne société de signalisation Alusign assurée par Allianz Belgium, devront lui verser plus de 250 000 euros, en ce compris les intérêts cumulés depuis vingt-et-un ans.
Le jugement a été prononcé par le tribunal de 1ère instance francophone de Bruxelles.
La motarde, qui avait 42 ans à l'époque, déclarait un préjudice assez particulier. Depuis la chute, elle ne peut plus atteindre l'orgasme. Comment chiffrer un tel préjudice ? La justice a dû se prononcer.
Coup de raquette

Elle n'oubliera jamais ce 2 juin 2002, un dimanche. Il était 20 h 40 et la Bruxelloise circulait à moto, en direction de Nivelles, sur la Nationale 93, appelée rue Philippebourg à Fleurus.
Une longue droite sur laquelle un chantier était en cours, à hauteur du village de Brye. Le chantier était réglé par des feux de signalisation mobiles. La vitesse dans le chantier était limitée à 50, puis 30 km/h.
Il y avait, à un endroit, une dénivellation allant en s'approfondissant vers la droite.
La dénivellation résultait d'un affaissement de conduite qui s'était produit sous la chaussée.
Or le Code de la route prescrit que l'usager se tienne le plus près possible du bord droit de la chaussée. La motarde tenait si bien sa droite qu'à hauteur de la dénivellation, la moto a été emportée dans celle-ci.
La jeune femme a perdu le contrôle et s'est pris ce qu'on appelle un 'coup de raquette'. La moto a réagi comme un cheval qui fait une ruade pour éjecter son cavalier : la dame a valsé et s'est affalée sur la chaussée.
Victime d'une commotion cérébrale, elle était transportée aux Urgences du Centre régional du Val de Sambre. Elle a pu quitter après trois jours, et reprendre le travail au bout d'un mois. Mais l'accident laissait des séquelles qui allaient changer inexorablement le cours de son existence.
Il avait occasionné une plaie profonde dans la région inguinale droite. Cette plaie nécessita l'apposition de 47 points de suture.
Il en est résulté que les nerfs sensitifs du creux inguinal ont été sectionnés. En clair : ayant perdu le plaisir, touchée au plus profond de sa féminité, sa vie intime était bouleversée. Le reste a suivi. Son compagnon la quittait, la maison était vendue, etc.
La motarde prenait un avocat.
Son choix s'est porté sur Me Jean-Paul Tieleman.
Détails
La suite se résume à quelques dates.
3 mars 2004 : dépôt de la citation devant le tribunal de police de Bruxelles.
7 décembre 2009 : désignation des experts judiciaires.
Le 4 juin 2012 enfin, le tribunal déclarait la Région wallonne et la firme chargée de la signalisation du chantier de la N93, la SA Alusign - et dès lors son assureur SA Allianz Benelux - responsables à part égale.
Alusign était reconnue responsable d'"avoir mis en place un balisage dangereux pour les motocyclettes". Et la Région Wallonne l'était, elle, pour "n'avoir pas veillé à la signalisation adéquate de l'obstacle que constituait le trou dans lequel (la motarde) est tombée".
La Région wallonne et SA Alusign "ayant contribué dans la même mesure" à causer le dommage, étaient condamnées à supporter chacune 50 pour cent de l'indemnisation à verser. Il fallait alors fixer les montants. Et c'est là-dessus, avec l'intervention des experts, que cela a pris beaucoup de temps, depuis 2012 !
Préjudice sexuel
L'une des discussions portait sur le préjudice sexuel, qu'on appelle le 'préjudice voluptatis', résultant de "l'atteinte irrémédiable, par le fait de la chute à moto, du nerf génito-fémoral".
On ne peut nier qu'à 42 ans, la jeune femme était dans la pleine force de l'âge. Or elle avait perdu la sensibilité, au niveau sexuel, l'empêchant de parvenir à l'orgasme. Comment chiffrer ce préjudice voluptatis ?
L'assureur, Allianz, que l'on imagine intéressé à payer le moins possible, proposait... 3 000 euros.
La Région wallonne, défendue par le cabinet d'avocats Marc Uyttendaele, proposait... 10 000 euros.
Et Me Tieleman, pour sa cliente, postulait 25 000 euros.
La 75ème chambre du tribunal de 1ère instance francophone de Bruxelles a tranché pour 12 500 euros.
Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Chacun jugera.
A cela s'ajoutent les divers autres préjudices - tels que les frais médicaux, les incapacités (personnelle, ménagère et économique), le préjudice esthétique, les dommages occasionnés à la moto, le dommage vestimentaire, etc. -, de sorte que la Région wallonne et Allianz sont condamnées à verser au total 197 783,96 euros.
Ce montant est, de plus, à majorer des intérêts compensatoires depuis la date de l'accident en 2002. De sorte que le total avoisinera 250 000 euros. Et la décision est à présent devenue définitive.
La faillite de la société rochefortoise Alusign a entre-temps été prononcée en 2011. Fondée en 1989, l'entreprise avait pourtant été l'un des leaders wallons du secteur des panneaux routiers. A l'époque, elle employait une quarantaine de collaborateurs.
Droits sexuels
La motarde avait 42 ans lorsqu'elle a fait cette chute. Elle vient d'en avoir 63. C'est peu dire que la procédure lui a paru interminable. Elle a même failli baisser les bras et renoncer, en cours de route.
Elle écrivait à son avocat qu'elle se sentait "outrée" par "la tournure que prenait le procès" et "l'idée qu'on cherchait à minimiser les séquelles qu'elle subissait dans sa vie de femme."
Elle déplorait qu'"aucune femme n'intervient dans cette affaire" pour comprendre "mon état d'esprit et ma diminution physique".
Les droits sexuels, rappelait-elle, "font partie des droits humains" et sont "essentiels pour l'épanouissement des femmes, comme des hommes".
Elle écrivait cela en 2015.
A-t-elle été entendue entre-temps ? Dans la décision que nous avons sous les yeux, nous constatons que deux des trois juges de la 75ème civile de Bruxelles qui ont prononcé le jugement et chiffré la perte du plaisir intime à 12 500 euros, sont des femmes, comme elle l'avait souhaité.