Arrêté pour une tentative d’assassinat, libéré après un couac de procédure: cet élément inattendu qui a tout changé pour Yassine
Il fallait compter quinze jours, et pas seize.
- Publié le 08-06-2023 à 12h03
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Un suspect d'une double tentative d'assassinat en 2022 a dû être remis en liberté, à Bruxelles, pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le fond de l'affaire et la gravité des faits. Yassine est sorti de prison... après un vice de procédure. Quand la loi dit 15, c'est 15. Et pas 16. Voici comment tout est arrivé.
Le 13 novembre 2022, un dimanche, une fusillade avait lieu place Lehon, à Schaerbeek. Deux hommes dans une voiture se faisaient tirer dessus par deux individus "vêtus de noir" qui, leur coup fait, prenaient la fuite à pied vers la place Liedts en empruntant la rue Vandermeersch où l'un d'eux laissait tomber une chaussette sur le trottoir, une chaussette contenant 17 munitions.
Le conducteur du véhicule, un certain Walid, était blessé dans la cuisse et à l'épaule gauche. Ali, son passager, était atteint au mollet. Il était 18 h 16 et l'enquête commençait : qui et pourquoi ?
L'avant-veille déjà, le vendredi 11, des coups de feu avaient été tirés place du Pavillon, dans la même commune de Schaerbeek, entre des jeunes de cette place du Pavillon et des jeunes de la place Lehon. Pour les enquêteurs, on était donc dans le contexte de règlements de comptes sur Schaerbeek entre des bandes rivales, avec probablement la drogue en toile de fond.
Les enquêteurs ne pouvaient compter que très modérément sur les victimes pour en apprendre davantage. "Nous étions à l'arrêt, en train de discuter avec des amis qui se tenaient près de la voiture, quand ces deux individus sont arrivés par l'arrière et nous ont tirés dessus", expliquaient-ils en substance.
Ali, qui avait pris une balle dans le mollet gauche, ne se connaissait pas d'ennemis, n'avait pas d'explication et ne reconnaissait personne dans le panel photographique qui lui était présenté.
Pour sa part, Walid évoquait des ventes de marijuana impliquant un certain 'Yassin' surnommé "Chichi ". Visiblement, tout cela restait assez confus. Walid ne cachait d'ailleurs pas qu''on' lui avait proposé 10 000 euros pour se taire, embrouiller les enquêteurs, fournir un faux témoignage et accuser "des Africains".
Alibi aux Pays-Bas
De là, les enquêteurs cherchant à identifier ce Yassine alias "Chichi" dont Walid leur parlait, ont porté les soupçons sur Yassine S., habitant à Schaerbeek - place Verboeckhoven, encore une autre place. Né à Al Hoceïna, Maroc, en 1998. En situation irrégulière en Belgique depuis trois ans. Connu de la police et de la justice depuis son jeune âge - pour armes et violences. Un coupable parfait ?
Sauf que Yassine niait.
D'abord, disait-il, on ne me surnomme pas "Chichi".
Ensuite, le soir de la première fusillade, celle de la place du Pavillon, on m'avait prévenu que l'air devenait malsain à Schaerbeek, de sorte que je suis parti aux Pays-Bas avec trois amis dont voici les noms. C'est mon alibi : à 18 h 16 le dimanche 13 novembre 2022, je n'étais pas à Bruxelles, j'étais aux Pays-Bas.
Rebondissement
La juge d'instruction s'appuyant sur d'autres éléments - fortement contestés par ses avocats Nathalie Gallant et Olivier Martins -, plaçait néanmoins Yassine S., 25 ans, sous mandat d'arrêt. L'arrestation était confirmée, à plusieurs reprises, par la chambre du conseil, et à chaque fois prolongée d'un ou deux mois.
Tandis que Yassine, incarcéré à Haren, se disait victime d'une erreur judiciaire.
Et c'est ici qu'intervient l'élément entièrement inattendu.
Fin avril, ses conseils déposaient un pourvoi devant la Cour de cassation, que celle-ci rejetait le 10 mai.
Puisque le pourvoi était rejeté, Yassine, bien sûr, restait en détention les jours suivants.
Il était toujours détenu le jeudi 25 mai, et encore le lendemain vendredi 26.
Sauf que ce vendredi-là, Nathalie Gallant et Olivier Martins bondissaient chez la juge d'instruction. Nous ne savons pas s'ils étaient tout sourire, mais ils avaient en mémoire l'article 31 alinéa 5 de la loi relative à la détention préventive qui, depuis 1990, prescrit que "si le pourvoi en cassation est rejeté - c'était le cas ici -, la chambre du conseil doit statuer dans les 15 jours de l'arrêt de la Cour de cassation, l'inculpé (devant être) mis en liberté si l'ordonnance de la chambre du conseil n'a pas été rendue dans ce délai."
En clair : on avait oublié de citer Yassine dans les 15 jours devant la chambre du conseil.
Le seizième jour, il était trop tard. Et Yassine était obligatoirement libéré grâce à (ou à cause de) ce vice de procédure qui n'avait pas échappé à ses conseils.
Le jeune homme reste inculpé. L'enquête se poursuit, mais il est libre comme l'air.
Me Olivier Martins a été contacté. "Notre client nie les faits mis à sa charge et nous estimons que les indices de culpabilité sont plus que légers. Ce sont donc des éléments textuels de procédure sur lesquels il n'y a pas à discuter, qui l'ont finalement fait quand même remettre en liberté".
Martins a encore ajouté : "J'ai rarement constaté des enquêteurs aussi malsains, pour toute une série de raisons, dans un dossier où l'on a semé les germes de l'erreur judiciaire ".