Dans l’enfer de la prostitution de mineurs à Los Angeles
Il y a le Los Angeles des cartes postales, des boutiques de luxe, des bolides flamboyants garés sur Rodeo Drive, des palmiers avec vue imprenable sur le Pacifique. Mais il y a aussi l’envers du décor sensiblement moins “glam”. Comme Figueroa Street. Reportage.
Publié le 05-02-2023 à 12h11
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Il y a le Los Angeles des cartes postales, des boutiques de luxe, des bolides flamboyants garés sur Rodeo Drive, des palmiers avec vue imprenable sur le Pacifique. Mais il y a aussi l’envers du décor sensiblement moins “glam”. Comme Figueroa Street, par exemple, une longue artère de la Cité des anges où des milliers de mineurs, en majorité des filles, vendent leur corps sous la contrainte de proxénètes. 60 % d’entre elles sont américaines. Un “business” juteux, puisque c’est le deuxième trafic le plus lucratif dans le pays après celui de la drogue. Une “cash machine” qui n’a surtout définitivement rien à avoir avec le gentil univers dépeint dans le film “Pretty Woman”. Déboulonnage du mythe…
Les traits tirés cachés derrière un maquillage outrancier et des faux cils qui lui dévorent les yeux, Stella piétine depuis maintenant cinq heures sous un soleil de plomb. Non, elle ne fait pas du sport et elle ne rentre pas non plus chez elle, durant un jour de grève. Tout simplement parce qu’elle ne prend pas le bus. Chaque matin, c’est son souteneur tatoué qui la dépose. Stella ne pointe pas sur son lieu de travail. Elle ne cotise pas non plus pour ses points retraite. Son job à elle, c’est la prostitution dans ce qu’elle de plus sordide.
Dans sa microjupe rose fluo et à l’aide d’une paire de jambes mise en valeur par des bas résille assortis, elle compte bien taper dans l’œil de ces clients lubriques désireux de s’offrir quelques-unes de ses spécialités sexuelles.
Sa zone d’activité ? Figueroa Street, une grande rue nord-sud du comté de Los Angeles, en Californie, qui s’étend du quartier de Wilmington jusqu’à Eagle Rock. Rien à voir avec les vitrines de la rue d’Aerschot à Bruxelles et ses filles confortablement lovées dans des canapés. Dans ce quartier coupe-gorge surnommé “The blade” (La lame, en français), les prostituées évoluent en plein air et à la merci des pervers et autres détraqués les plus dangereux de la ville.
Comme on dit dans le jargon américain, Vickie est une “whore”, une “hooker”, une “hustler”, une “streetwalker”, une “slut”. C’est surtout une jeune femme de 19 ans qui a plongé dans l’enfer de la prostitution à la suite d’événements aussi divers que regrettables. “Je ne suis pas devenue une pute par envie ou par plaisir, mais par pure nécessité”, déclare-t-elle en me toisant et en utilisant un langage on ne peut plus cru. “Je ne pense pas que sucer les bites de mecs que je ne connais pas, c’est le genre de trucs qui me fasse fantasmer. Cela me dégoûte, mais je n’ai pas trop le choix. J’ai un bébé et il me coûte une blinde. Ma famille m’a tourné le dos, ainsi que le père de mon enfant. Un junkie camé jusqu’à la moelle. Comme tout le monde, je dois payer des factures et comme tout le monde je dois remplir mon frigo. Vendre mon corps, c’était la seule chose que je pouvais faire dans la mesure où je ne suis pratiquement pas allée à l’école. Parfois, je rencontre des clients qui me demandent pourquoi je ne bosse pas chez McDonald. Je leur réponds que ce que je gagnerais en deux semaines à servir des frites et des cheeseburgers, je le gagne en une journée en bougeant mon cul. Et puis, je n’ai aucune intention de travailler pour quelqu’un. Je suis indépendante. Je ne suis pas sous la coupe d’un maquereau ou d’un mec qui exige que je tapine pour lui.”
“Le cyber-racolage explose”
À quelques blocs du “spot” de Vickie se trouve Michele, 18 ans. Juchée sur des chaussures à talons compensés, vêtue d’un simple maillot de bain à damier, elle aguiche des conducteurs qui, au volant de leur voiture, hésitent à lui demander le tarif de ses prestations. “Il y a beaucoup de curieux et de voyeurs dans ce quartier”, souligne-t-elle. La grande majorité n’ose pas franchir le pas, car ils savent que payer pour avoir du sexe, c’est illégal en Californie. Que ça peut foutre en l’air leur vie, leur carrière. Vous avez de tout : des pères de famille mariés et avec des gosses, des citoyens soi-disant respectueux des lois, des gens qui paient des impôts, des camionneurs, des ouvriers, des comptables… Même des avocats, des policiers, des juges et des politiciens qui ont des pulsions sexuelles qu'ils veulent assouvir.”
Originaire de Caroline du Nord et ancienne actrice porno devenue séropositive, cette grande femme au regard vide ne croit pas si bien dire. “Les flics sont partout, même dans le ciel ! Dans leurs hélicoptères, ils peuvent utiliser des caméras thermiques qui filment les plaques d’immatriculation. Dès qu’une prostituée monte dans une voiture, elle peut-être ‘filée’ jusqu’au motel ou jusque dans la contre-allée où les clients soulagent leur libido.”
Ce que confirme le policier Walker de la LAPD. “Très régulièrement les unités spéciales de lutte contre le trafic d’êtres humains de Los Angeles mettent en place des opérations coup de poing. L’objectif étant d’interpeller et d’arrêter le plus de consommateurs de sexe tarifés. Ces derniers encourent une amende de 1 000 dollars. Voire un an de prison s’il y a récidive. Et si la prostituée est mineure, c’est au minimum dix ans derrière les barreaux avec un traitement psychologique à la clé.” “Généralement, on place un ‘appât’, explique un autre policier. C’est une jeune employée de police qui se fait passer pour une prostituée. Sous ses vêtements, elle cache un micro. Nous sommes planqués dans une voiture et nous enregistrons toutes les conversations. Nous en avons besoin pour établir le crime et prendre les contrevenants en flagrant délit.”
Et le sergent Walker d’ajouter, un peu dépité : “Afin d’enrayer ce fléau, notre brigade coordonne soixante agences dans le seul comté de Los Angeles. Notre job ne se borne pas à arrêter des clients. Nous démantelons également les réseaux de proxénétisme, piégeons les délinquants sexuels et organisons aussi des opérations de sauvetage et de sensibilisation auprès de prostituées mineures. Ce sont généralement des jeunes filles de 14 à 17 ans qui vendent leurs charmes sur les réseaux sociaux. Ce cyber-racolage explose et nos équipes ont beaucoup mal à l’endiguer.” Son constat ? “La plupart des adolescents de la rue ont maintenant des téléphones portables et leurs proxénètes font de la publicité sur des sites Internet comme Craigslist (un site de petites annonces dédié aux emplois, aux services, à la vente d’objets et autres tickets de concert, NdlR).”
Kidnappings, drogues, viols
Aux États-Unis, toutes les deux minutes, un mineur est exploité dans l’industrie du sexe. On estime qu’ils seraient 300 000 à être victimes du trafic sexuel dans le pays et Los Angeles serait devenu la plaque tournante de la prostitution de ces jeunes proies. Dans les rues, dans des appartements, mais aussi dans les motels bon marché de la Cité des anges, une multitude de filles sont exploitées sous la menace de proxénètes, souvent membres d’un gang, qui n’hésitent pas à les kidnapper, les droguer, les violer avant de les obliger à vendre leur corps.
”Les gangs comme les Bloods et les Crips ont toujours contrôlé les opérations illicites dans ces quartiers défavorisés de Los Angeles, nous confie Walker. Pour arrondir leur fin de mois, ils vont ‘recruter’ les gamines les plus fragiles dans des foyers d’accueil ou des familles violentes. Au départ, pour les amadouer, ils leur font miroiter une vie meilleure. Ils les couvrent de cadeaux, les invitent au restaurant, leur sortent le grand jeu en somme. Et puis, petit à petit, le piège se referme. Elles deviennent dépendantes de ces hommes, se laissent contrôler et se transforment dès lors en esclave du sexe. Celles qui n’obtempèrent pas subissent les pires sévices.”

Ces souteneurs fonctionnent par “écurie”, comprenez trois ou quatre travailleuses du sexe contraintes à divers coins de rue, de jour comme de nuit, de rapporter un maximum d’argent. Tandis que les jeunes membres de gang surveillent l’arrivée éventuelle de la police, les “gagneuses” doivent atteindre au moins 500 dollars quotidiennement pour satisfaire leurs barbillets. Et malheur à celles qui n’affichent pas productivité et rendement. “Généralement, elles se font rouer de coups lorsque ce ne sont pas des bras tailladés par des lames de rasoir ou des brûlures de cigarette sur les seins.” Moins risqué que le trafic d’armes ou de drogue, ce triste “business” est très lucratif puisqu’une victime rapporterait, en moyenne aux souteneurs, entre 100 000 et 200 000 dollars par an…
Alors que les femmes noires représentent environ 9 % de la population féminine de Los Angeles, elles représentent près de 65 % des arrestations pour prostitution féminine du LAPD. “Les Latinas sont très vulnérables également et très exposées à l’abus de drogues, d’alcool et à la violence domestique. Ce qui complique sérieusement les efforts pour partir ou chercher de l’aide”, surenchérit Walker.
Daisy, 12 ans…
Avec des moyens limités, l’association Children of the Night, tente, depuis 1979, de porter secours à ces femmes en détresse. Comme Daisy, 16 ans : “Je me prostitue depuis l’âge de 12 ans. La première fois que je me suis enfuie de chez moi, c’était avec un type qui me disait qu’il m’aimait et qui voulait me sortir de mon trou dans l’Oklahoma. C’était mon héros. Il avait 17 ans et je lui ai dit que j’en avais 15. Comme j’étais déjà formée, il m’a cru. Un jour, il m’a dit : ‘Je vais te présenter des copains. Soit gentille avec eux et ils te récompenseront.’ Un homme, qui avait l’âge de mon grand-père, a retroussé ma jupe de façon un peu violente. On sentait bien qu’il voulait me dominer et m’humilier. Quand je lui ai dit que je n’avais que 12 ans, j’espérais un peu de pitié ou d’empathie. Il m’a alors répondu : ‘Ça m’excite encore plus. Je vais te donner un bonus.’ Puis, il a enfoncé une liasse de billets dans mon vagin en me traitant de tous les noms. Pendant deux ans, j’ai eu à faire à des mecs comme ça. Jusqu’au jour où mon corps à dit ‘stop’. Grâce à Children of the Night, j’ai été placée dans une famille d’accueil qui m’a ensuite adoptée. J’ai eu de la chance, ce qui n’est pas le cas de la plupart de mes ‘sœurs de la rue’.”
Daisy sait de quoi elle parle. Il y a quatre ans, elle a vu sa meilleure amie, âgée alors 13 ans, se faire tabasser par Raylonzo Roberts, un souteneur de 43 ans. L’homme, qui exploitait huit mineures sera condamné à 281 ans de prison. Selon les preuves présentées au procès, il lui était également reproché d’avoir agressé physiquement deux autres jeunes victimes. L’une parce qu’elle ne gagnait pas suffisamment d’argent, l’autre parce qu’elle l’avait quitté pour travailler pour un autre proxénète.
L’enquête avait été menée par l’unité de lutte contre la traite des êtres humains du bureau sud du département de police de Los Angeles et le département de police de Long Beach. Une parmi tant d’autres…