Au moins un demi-million de Belges ont une IPTV illégale: "C’est la folie, j’en installe tous les jours..."
Toutes les chaînes du monde en HD, tous les matches en live, toutes les séries de Netflix, Prime Video, Disney+ et un catalogue VOD à n’en plus finir pour quelques euros par mois : voilà ce que permet l’IPTV illégale, ou la télé pirate. Tentante, mais parfaitement illégale. Et dangereuse pour l’écosystème…
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Publié le 04-03-2023 à 07h02 - Mis à jour le 04-03-2023 à 10h24
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Le chiffre est colossal. D’autant plus qu’il est forcément estimatif : impossible de chiffrer très précisément l’impact d’une activité illicite. D’après une étude, publiée fin 2022, par l’Alliance audiovisuelle contre la piraterie, au moins 457.000 Belges étaient utilisateurs d’une solution d’IPTV illégale, soit 5,4% de la population. C’est moins que les champions européens en la matière (les Pays-Bas, où la percée de l'IPTV dépasse les 8%), mais plus que la moyenne des 27 Etats membres ainsi que du Royaume-Uni.
Un phénomène saute aux yeux, à la lecture de la carte européenne des pays le splus accros à l’IPTV illicite : c’est souvent dans les pays où la télévision digitale est la plus chère que les consommateurs se laissent le plus tenter.
Une offre sans concurrence
De fait, sur papier, la chose est alléchante : l’IPTV illégale, c’est la promesse d’obtenir, sur votre télé (via un petit boîtier STB animé par Android et vendu en moyenne une centaine d’euros, où directement depuis une application qui tourne sur un téléviseur Smart TV), à peu près toutes les chaînes télé du monde, une bibliothèque de VOD dingue, et toutes les séries que Netflix, Disney+, Hulu, Prime Video et compagnie diffusent. Le tout en HD voire en 4K, et pour, en moyenne, c’est l’AAPA toujours qui le dit, 5,22 € par mois déboursés par les Européens...
Pour y avoir accès, il suffit d’une (bonne) connexion Internet, et de passer, sous le manteau, par le concours d’un fournisseur/installateur. Que vous ne rencontrez parfois jamais physiquement : tout est possible à distance, de l’envoi d’une box préparamétrée à la simple activation du service.
"La crise du pouvoir d'achat rend l'IPTV pirate encore plus attirante. Les gens rognent partout et hésitent de moins en moins. Surtout après que leurs amis ou collègues leur vantent le truc en expliquant qu'ils ont accès à beaucoup plus de choses qu'avant tout en gagnant des centaines d'euros par an..."
Jonathan, prénom d’emprunt, qui veut forcément se faire discret, est de ceux qui contribuent à brancher les foyers belges à la télé pirate. Il veut bien entendu rester discret : si les poursuites sont rarissimes, au Royaume-Uni, un fournisseur de boîtiers s’est fait pincer : Michaël Hornung a été condamné à une amende de confiscation de quelque 300.000 euros ainsi qu’à une peine de prison de plus de 4 ans… "De mon côté, je suis précautionneux, glisse Jonathan (prénom d'emprunt), via une app de messagerie cryptée. Beaucoup vont carrément jusqu’à offrir leurs services via les réseaux sociaux, moi pas. Je ne fonctionne qu’avec le bouche-à-oreille, d’installations en installations, d’abord de proches, puis de connaissances, puis de connaissances de ces connaissances."
Et les demandes ne désemplissent pas : "En ce moment, c’est la folie. J'en suis à deux trois boîtiers par jour. J’ai commencé à faire ça durant la pandémie et le confinement, où il y a déjà eu un vrai pic. Mais cela se poursuit : avec la crise économique, les gens rognent partout. Et comme avoir une bonne IPTV, stable, permet de te passer de ce que tu payes à ton opérateur pour la télé digitale ainsi qu’à des plateformes de streaming comme Netflix, les consommateurs hésitent de moins en moins. Surtout après que leurs amis ou collègues leur vantent le truc en expliquant qu'ils ont accès à beaucoup plus de choses qu'avant tout en gagnant des centaines d'euros par an..."
"Je sais que c'est illégal, mais je ne me considère pas comme un bandit pour autant"
Jonathan tient à rester vague sur les revenus qu’il tire de cette activité sous-marine : "Ce n’est pas ma source de revenus principale, mais cela me permet d’être un peu plus confortable." Et côté éthique ? "Je ne me considère pas comme un bandit. Et certainement pas comme un chevalier blanc… Je ne suis pas hypocrite : je sais que ce que je fais est illégal, que sur le fond ce n'est pas bien. Mais les gens chez qui j’installe ça en ont juste marre de payer si cher. Ont-ils vraiment tort, sur le fond ?"
De gros risques à la clé, mais le petit utilisateur final est rarement inquiété
La réponse légaliste est très claire : oui, à 100%. Être un simple utilisateur d’IPTV (illégale, attention que le procédé technique en tant que tel ne l’est pas : Pickx de Proximus, c’est de l’IPTV, soit de la télévision par Internet, mais parfaitement légale) vous expose en théorie à de grosses sanctions, qui peuvent aller de l’amende très salée à l’emprisonnement.
Touche pas à mes contenus
Il faut bien mesurer, aussi, l’impact de cette pratique sur tout le processus de création de contenus audiovisuels. En 2021, ce sont ainsi 3,2 milliards qui ont échappé aux ayant-droits, sur le dos de l’IPTV illégale, qui avait alors tenté 17 millions d’Européens. "Ces agrégateurs de contenus illégaux ne se contentent pas de reprendre nos flux vidéo sans autorisation. Ils s'enrichissent dessus en les revendant. On touche ici au core-business d'une chaîne ou de créateurs de contenus. Si l'IPTV venait à être utilisé par tout le monde, c'est tout le processus créatif audiovisuel qui passerait à la trappe !", alerte cet insider, actif au sein d’une chaîne de télévision belge…

IPTV : Ce que vous risquez vraiment
Le rappel semble évident mais il convient d’être martelé : l’IPTV, telle que décrite ici, est illicite. Et donc, si le consommateur se laisse tenter par l’offre alléchante, gargantuesque et bon marché de cette solution, il s’expose à des sanctions.
Même en tant que simple utilisateur final, vous faites partie d’une chaîne de contrefaçon que vous contribuez à entretenir. Les ayants droit, premiers lésés par l’essor de cette techno pirate, pourraient donc, dans la théorie, vous attaquer et vous réclamer gros, rien qu’en dommage set intérêts. La condamnation encourue est également, toujours sur papier, extrêmement lourde : jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et des amendes pouvant courir entre 500 et… des centaines de milliers d’euros. Pour autant, ce type de condamnation n’a jamais eu lieu à ce stade chez nous, les producteurs lésés et les autorités financières et policières se concentrant davantage sur les têtes de réseau à démanteler, plutôt que les utilisateurs.
Si la menace de l’amende (salée) voire de la peine d’emprisonnement n’est pas réellement la menace n°1 pour le petit consommateur, le principal risque est plutôt fonctionnel : le service (illégal) que vous avez payé peut, à tout moment, être coupé par les autorités. Elle s’y affairent avec de plus en plus d’intensité et de coordnination. Ces derniers mois, de nombreux et vastes réseaux sont ainsi tombés.
L’Alliance for Creativity and Entertainment (ACE), dédiée à la protection des contenus créatifs, créée en 2017, n’est plus seule dans son combat : en Amérique du Sud, le Global Anti-Piracy Pact, une nouvelle alliance mondiale qui regroupe des entreprises du divertissement, des régulateurs et des représentants gouvernementaux, a récemment vu le jour. Même objectif : en finir avec l’IP TV. L’objectif est ambitieux : un réseau démantelé peut être remonté dans la foulée, et les hackeurs qui détournent les flux des broadcasters ayant-droits pullulent…