Efficacité, effets secondaires, risques: le vrai du faux de la vaccination contre le Covid pour en finir avec les idées reçues
Pour démêler le vrai du faux, nous avons interrogé Sophie Lucas, professeure en immunothérapie à l’UC Louvain et immunologiste et Leïla Belkhir, infectiologue aux cliniques universitaires Saint-Luc.
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Publié le 20-11-2020 à 15h40 - Mis à jour le 24-11-2020 à 11h28
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La vaccination est considérée comme l'un des plus grands progrès de la médecine. Pourtant, 36% des Belges sont prêts à se faire vacciner "le plus vite possible" contre le covid et 17% se disent totalement hostiles à toute vaccination, selon un sondage commandé par le quotidien flamand Het Nieuwsblad et révélé cette semaine. Et ils sont de plus en plus nombreux - notamment des parents de jeunes enfants - à s'interroger sur leur réelle efficacité, voire à y renoncer tout à fait. Alors que la course au vaccin bat son plein dans le monde de la recherche, les annonces successives des sociétés pharmaceutiques comme Pfizer et Moderna sont venues donner la perspective de l’arrivée d’un vaccin. Mais pour que le vaccin puisse être une véritable arme contre le Covid, les experts en santé publique avancent qu'il faudrait alors vacciner largement la population.
Pour démêler le vrai du faux, nous avons interrogé Sophie Lucas, professeure en immunothérapie à l’UC Louvain et immunologiste et Leïla Belkhir, infectiologue aux cliniques universitaires Saint-Luc.
Tout d’abord, un vaccin, c'est quoi ?
Sophie Lucas: “ “On les utilise couramment pour protéger les individus contre une maladie infectieuse. C’est une approche de médecine préventive. Chaque vaccin stimule le système immunitaire de la personne à laquelle il est administré de manière à obtenir une réponse spécifique contre un microbe donné, qui peut être un virus, ou une bactérie,… en fonction du vaccin. Les vaccins contiennent des molécules qui correspondent à une petite partie du microbe contre lequel on veut vacciner, ou parfois le microbe lui-même mais très atténué ou complètement inactivé (tué). Les vaccins sont donc des imitations d'un microbe, mais contrairement aux microbes, les vaccins sont complètement inoffensifs : ils sont incapables de provoquer la maladie infectieuse que le microbe peut causer. Les vaccins stimulent le système immunitaire, et le préparent à réagir très rapidement et très efficacement contre le microbe naturel si on le rencontre un jour. Ils n’ont aucun effet protecteur (ni aggravant) sur des maladies provoquées par d’autres microbes (comme des rhumes,…) De quelles maladies la vaccination a-t-elle triomphé ? Est-ce toujours un gage de sécurité, dans l’optique d’atteindre l’immunité collective ?
S.L: “L’exemple historique le plus merveilleux reste celui du vaccin contre la variole, développé au XVIII et XIXème siècle. Ce vaccin a permis d’éradiquer la variole de la surface du globe au XXème siècle ! La variole était causée par un virus qui infectait et tuait un enfant sur cinq enfants infectés ! Il provoquait des épidémies effroyables. Aujourd’hui, on ne vaccine plus contre la variole, parce que la maladie a complètement disparu, et cela, grâce à la vaccination! Beaucoup d’autres maladies contre lesquelles on peut vacciner aujourd’hui ont fortement diminué, sans disparaître encore complètement malheureusement. On remarque même le retour de certaines maladies, comme la rougeole ou la coqueluche, à cause de la montée des opinions anti-vaccins. Y compris chez nous. C’est très triste !". Dans le cadre de la lutte contre le Covid, l’immunité collective pourrait être atteinte sans vaccin. Vrai, mais ce calcul aurait de lourdes conséquences.
S.L: “L’immunité collective veut dire que la proportion de la population qui est protégée (on dit « immunisée ») contre une maladie infectieuse est suffisante pour arrêter ou ralentir considérablement la transmission du microbe d’une personne à une autre dans cette communauté. Une personne immunisée ne fera pas, ou plus, la maladie infectieuse, et ne transmettra donc pas le microbe. La protection existe grâce aux réponses immunitaires qui se sont mises en places chez les individus de cette communauté. L’immunité collective ne peut s’atteindre que de deux manières : soit parce que le microbe a infecté une grande partie de la population, soit parce qu’un vaccin a été administré à une grande partie de la population. Si le microbe dont on parle cause souvent la mort des personnes qu’il infecte, comme c’est le cas du virus du COVID-19, on ne peut pas laisser l’immunité collective s’établir par l’infection naturelle d’une grande partie de la population : en faisant cela, on cause la mort de beaucoup trop de personnes ! Par contre, on peut atteindre l’immunité collective par la vaccination, qui ne cause pas de maladie. La vaccination est le seul moyen d’arrêter la chaine de transmission du virus sans causer de morts ou de maladies graves. C’est la seule option éthiquement acceptable pour atteindre l’immunité collective. En laissant circuler le virus, on l’atteindra aussi, mais cela coûtera énormément en terme de vies. C'est très dangereux. Aucun pays n’a opté pour cette méthode « naturelle » dans le cadre du COVID-19. Même la Suède a changé son fusil d’épaule”. 70% de la population doit être vaccinée pour atteindre l’immunité collective Vrai.
Leila Belkhir: “Cette notion dépend de l’efficacité du vaccin et de l’effet sur le portage et la circulation du virus. Cette immunité dépend aussi du R0 (dit "R Zéro"), c’est le nombre de reproduction de base de la maladie, c’est toute une équation qui permet de dire combien de personnes doivent être immunisées pour stopper une épidémie, c’est multifactoriel. Toutefois, on estime que si on a plus ou moins 70% de la population vaccinée, cela devrait être suffisant pour ralentir et empêcher la progression de la maladie". L’autre reproche adressé par les opposants aux vaccins, c’est qu’ils ne seraient pas réellement efficaces. Or, existe-t-il un vaccin protégeant à 100% contre un virus ? Faux.
L.B: “Il n’y a pas un vaccin qui n’est pas infaillible. Le vaccin actuellement jugé comme le plus efficace est celui contre la rougeole, dont on estime l'efficacité à environ 97%, en deux doses. Pour la grippe, on est à 60% et cela varie d’une année à l'autre, cela dépend de la souche et de comment circule le virus". S.L: “Quiconque prétend qu’un médicament ou un vaccin, quel qu’il soit, est efficace à 100% se trompe. D’ailleurs, personne dans la communauté médicale ne prétend que les vaccins sont 100% efficaces. L'efficacité des vaccins se mesure objectivement, et cette efficacité est variable en fonction du vaccin. La bonne nouvelle c’est que pour le COVID, on sait déjà qu’il ne faut pas nécessairement atteindre 95% d’efficacité pour diminuer la gravité des conséquences de l’épidémie. On parle plutôt d’un seuil minimum de 50 à 70% d’efficacité pour avoir des effets importants. Ce n’est pas nouveau : les vaccins contre la grippe, par exemple, permettent déjà de diminuer la morbidité et les conséquences graves pour la population avec des efficacités autour de 50%."
Il est impossible de produire un vaccin fiable en si peu de temps. Faux.
L.B: “Selon les premiers résultats, l’efficacité est de plus de 90%, même si on ne sait pas encore combien de temps elle va durer. Mais les résultats actuels sont hyper encourageants, l’OMS disait au début qu’il fallait atteindre le seuil d’efficacité d’au minimum 50%, ici ce chiffre est dépassé et c’est plutôt bien. On attend encore des résultats pour la fin d’année, le suivi sera long et continuera d’ailleurs après sa commercialisation, les études ne vont pas s’arrêter quand le vaccin sera mis sur le marché". Un vaccin aussi précoce implique-t-il qu’il y ait plus de risques au niveau des effets secondaires ? Vrai et faux.
S.L: “En gros, on distingue deux types d’effets secondaires à tous les vaccins, y compris celui contre le COVID. D’une part, des effets secondaires assez fréquents, peu sévères et qui surviennent tôt (dans les quelques heures, jours ou semaines) après la vaccination. Ces effets secondaires, comme des maux de tête, de la fièvre, de la fatigue,… restent très très mineurs par rapport à ceux observés dans les formes graves de la maladie. Ce type d’effets là, on a déjà pu les observer avec les vaccins contre le COVID qui sont testés pour l’instant. On a le recul (quelques semaines ou mois) et le nombre de patients vaccinés nécessaires. D’autre part, il pourrait y avoir des effets secondaires extrêmement rares, parfois plus graves, à plus long terme. Ces types d’effets sont tellement rares et tardifs qu’il est souvent très difficile d’établir un lien de causalité certaine avec la vaccination. Et surtout, il faut attendre d’avoir vacciné plusieurs centaines de milliers, voire des millions de personnes pour pouvoir les observer, tant ils sont rares. Il faudra être vigilant, bien sûr. Mais c’est seulement à propos de ces effets secondaires là que nous n’avons pas encore le recul nécessaire (en temps et en nombre de personnes vaccinées) avec les vaccins contre le COVID. Contrairement à ce que disent les anti-vaccins, la fréquence de survenue de potentiels effets secondaires graves après la vaccination est généralement tellement faible par rapport au risque associé à la maladie infectieuse elle-même que la balance penche clairement et sans conteste en faveur des bénéfices liés au vaccin". L.B: “Ici, les vaccins ont été testés sur des dizaines de milliers de personnes alors que la plupart du temps, les études portent sur un groupe plus petit de personnes. Pfzier a eu recours à 40.000 personnes, 30.000 pour Moderna, ce qui est énorme. Même si les effets secondaires plus forts restent très rares, il faudra être vigilant lorsque des centaines de millions de personnes seront vaccinées. On a aussi ça avec les médicaments, le fait d’étudier les effets secondaires après leur mise en circulation”.
Le vaccin contre le Covid va modifier notre ADN. Faux.
S.L: “La réponse est claire : c’est non. Les vaccins de Pfizer et de Moderna dont on parle pour l’instant sont faits à base d’ARN (un acide nucléique présent chez pratiquement tous les êtres vivants, et aussi chez certains virus) et pas du tout à base d’ADN. Ce vaccin, comme les autres, n’a donc aucun risque de modifier notre ADN. La crainte de la modification de notre ADN existe dans le cadre de la thérapie génique, par exemple, mais ici, ce n’est pas le cas”. Comment expliquer qu’il y ait autant de craintes autour de ce vaccin ?
S.L: “C’est un grand mystère pour moi, c’est quelque chose que je ne comprends pas. Je pense que c’est probablement lié au fait que les gens ne comprennent pas exactement comment fonctionne un vaccin. Cela crée de la peur et de la méfiance. La méconnaissance et l’incompréhension sont souvent la cause de peurs irraisonnées, qui peuvent être paralysantes, angoissantes, voire même dangereuses... Il n’y a pas de raison d’avoir peur du vaccin contre le covid pour l’instant, compte tenu de la manière dont il est développé dans nos pays. Pour comprendre comment fonctionne un vaccin, il faut chercher l’information au bon endroit, chez les bonnes personnes, et se méfier des informations fausses qui circulent. »