Les psychologues, débordés, tirent la sonnette d’alarme: "Il y a une perte de confiance à l’égard du monde politique et scientifique"
Les psychologues ne parviennent plus à absorber la demande sans cesse croissante de consultations, surtout pour des troubles anxiodépressifs liés à la crise.
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Publié le 31-12-2021 à 06h54 - Mis à jour le 31-12-2021 à 07h41
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Depuis le début de la crise sanitaire, le nombre de consultations psychologiques des Belges a explosé, au point que les psychologues ne peuvent plus répondre à la demande sans cesse croissante. Résultat : certains patients doivent être refusés et réorientés vers des services d'écoute. " Nous sommes depuis presque deux ans en crise sanitaire et la santé mentale des Belges n'était déjà pas au beau fixe ", explique Quentin Vassart, président de l'Union professionnelle des psychologues cliniciens francophones (UPPCF).
"Personne n'a été épargné mais ce sont surtout les jeunes qui sont les plus concernés, ainsi que certaines catégories de personnes plus à risque qui avaient déjà des vulnérabilités au préalable. On pense aux personnes qui ont des soucis dans leur vie sociale ou professionnelle, qui présentaient déjà une pathologie psychiatrique, un contexte familial compliqué. Des professions comme enseignant ou infirmier aussi ont été mises à rude épreuve. Les confinements successifs, le climat anxiogène et l'incertitude par rapport aux mesures qui empêchent de pouvoir se projeter dans l'avenir constituent un cocktail explosif pour favoriser le mal-être de la population", explique-t-il.
La perte de sens est pointée du doigt par ce psychologue pour justifier la hausse des consultations. "Au départ, on a tous des ressources pour faire face au stress. Mais la crise perdure et les ressources dont les gens disposent s'amenuisent. À un moment donné, les gens craquent, il y a une perte de confiance et de repères à l'égard du monde politique et scientifique, une hypermédiatisation sans toujours beaucoup de recul, une polarisation croissante entre les jeunes et les personnes âgées, les vaccinés et non-vaccinés. Cela conduit à de nombreux conflits dans différentes sphères au niveau intrafamilial, social ou professionnel", précise Quentin Vassart.
Les objets des consultations sont divers mais la majorité des personnes consultent suite à des troubles anxiodépressifs. "Les principales problématiques sont l'épuisement professionnel, la généralisation du télétravail qui amène des tensions intrafamiliales, les questions liées à la maladie, à la mort, la consommation problématique d'alcool, des mauvaises habitudes qui ont vu le jour lors des confinements, etc.", détaille Quentin Vassart.
Un manque de cohérence dans les mesures prises par le politique
Il souligne également le manque de cohérence des mesures prises par le politique. "Pendant le premier confinement, les psychologues ont dû arrêter leurs activités, ce qui a résulté sur une absence de soins et davantage de problématiques se sont dès lors chronifiées. Dans ce genre de situation, certaines personnes vont pouvoir s'adapter mais d'autres n'y parviendront pas. Cela demande une prise en charge intense et multidisciplinaire ; les états dépressifs majeurs sont plus fréquents et cela nécessite de la psychothérapie et la prise d'antidépresseurs, qui sont d'ailleurs toujours plus consommés en Belgique", conclut-il.
"Il faut implémenter un baromètre de santé mentale"
Plusieurs mesures ont été édictées afin de davantage prendre en compte la santé mentale de la population dans les décisions prises par le politique. "Le seul point positif de cette crise, c'est que l'on observe une déstigmatisation de la santé mentale. Les gens qui ne se sentent pas bien vont davantage oser en parler à leurs proches. Plusieurs mesures ont vu le jour. Il y a une prise de conscience au niveau politique pour débloquer des moyens supplémentaires. On observe un renfort dans les services de santé mentale, un dispositif spécifique pour soutenir les indépendants, les consultations psychologiques peuvent depuis le 1er septembre être remboursées et chacun pourra bénéficier d'un remboursement à hauteur de 11 euros par consultation, et ce jusqu'à 20 séances par an", détaille Quentin Vassart.
Des mesures qui vont, selon lui, dans le bon sens, mais qui demeurent insuffisantes. "On commence à dégager des moyens, mais c'est totalement insuffisant. Le secteur de la santé mentale était déjà sous-financé auparavant et cela ne fait que s'amplifier. En moyenne, 40 % des Belges vont vivre un trouble psychologique au cours de leur vie, mais seuls 2 % des soins de santé sont alloués à la santé mentale. Cela illustre bien le manque de considération", déplore Quentin Vassart.
Parmi les mesures préconisées : la mise en place d'un baromètre de santé mentale. "L'Union professionnelle des psychologues cliniciens francophones fait partie d'un groupe d'experts qui conseille le Gems depuis le début de la crise. Nous avons toujours plaidé pour l'instauration d'un baromètre de santé mentale en fonction de différents indicateurs, mais nous n'avons pas été écoutés. Le gros problème, c'est qu'on est toujours dans une stratégie de gestion de crise alors qu'on devrait évoluer vers une gestion du risque. Nous allons vivre un bon bout de temps avec le Covid et, à un moment donné, il faut amener une série d'éléments pour que les gens puissent mieux prédire ce qui va se passer. Le dernier Codeco illustre bien que les choix du politique ne passent plus. Le fait de priver les gens de culture n'avait aucun sens. Il faut penser un plan plus global et arrêter de toujours agir dans l'urgence", conclut Quentin Vassart.