Les ophtalmologues alertent sur un autre impact de la pandémie: "On va faire face à une vague d’aveugles"
Le manque de dépistage face au glaucome, première cause de la cécité, inquiète grandement les ophtalmologues.
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Publié le 11-03-2022 à 14h41 - Mis à jour le 11-03-2022 à 15h38
Grâce à un dépistage effectué en 2014, Francis a évité de peu la perte progressive de sa vue. Souffrant d’un glaucome sans le savoir, il a pu être testé suffisamment tôt pour que sa prise en charge soit efficace, et ce même avant l’apparition des premiers symptômes. C’est grâce à une journée de sensibilisation organisée par les cliniques Saint-Luc que cet ancien employé du laboratoire de toxicologie s’en est rendu compte.
"Pourtant, j'avais une très bonne vue et je n'avais aucun symptôme. On m'a conseillé d'aller passer le test et je l'ai fait alors que je ne voyais presque pas l'intérêt", se remémore celui qui est aujourd'hui préretraité. Ce trouble caractérisé habituellement par une hypertension oculaire, une détérioration du nerf optique causée par cette hypertension et un rétrécissement du champ visuel aux deux yeux, Francis De Smet le connaît bien. Sa sœur de trois ans son aînée en souffre également, mais elle n'a pas eu sa chance.
"Quand la maladie se manifeste, c’est déjà trop tard"
"Aujourd'hui, elle m'aperçoit à peine quand je vais lui rendre visite, elle a perdu la vue en trois ans, c'est allé très vite et elle n'a pas eu la chance d'être informée de l'importance du dépistage, comme j'ai pu l'être", raconte ce néerlandophone âgé de 62 ans. L'invisibilité des symptômes, c'est justement la problématique majeure posée par cette maladie, qui est la première cause de cécité dans le monde, d'où l'importance du dépistage.
Détectée à temps, cette maladie peut être traitée, mais la plupart des patients ignorent qu’ils en sont atteints. Et une fois que les symptômes apparaissent, il est malheureusement trop tard et les pertes sont irréversibles.
"Malheureusement, elle ne se manifeste pas et, quand c'est le cas, il est déjà trop tard, indique le Dr Sayeh Pourjavan, responsable de la clinique du glaucome aux cliniques universitaires Saint-Luc. Quand la maladie débute, elle provoque la perte du champ visuel, il n'y a en fait pas de vision autour de l'œil. C'est une maladie chronique qui fait perdre la vue et, quand elle est présente, on ne sait plus rien faire pour ça ." Dans le cadre de la Semaine mondiale du glaucome, une maladie qui touche plus de 4 % de la population après 40 ans, les cliniques universitaires Saint-Luc participent justement à la sensibilisation à cette pathologie et surtout à son dépistage.
Un dépistage tous les deux ans dès 40 ans
"On essaye de sensibiliser les gens à se faire contrôler car au plus tôt on se fait contrôler, au mieux on peut la traiter. On demande aux patients de plus de 40 ans de le faire une fois tous les deux ans, et encore plus si des gens de votre famille ont souffert du glaucome (on recommande alors un contrôle par an). Et pour les patients d'origine africaine ou sud-américaine, on conseille un dépistage plus tôt, dès 30 ans. Le dépistage consiste à faire mesurer la tension, on regarde le nerf optique et, si elle est anormalement élevée, on fait des examens pour voir si ce n'est pas un glaucome", détaille le docteur. La crise sanitaire et son lot de confinements passés par là, les dépistages et les traitements ont été boudés par les patients, ce qui inquiète fortement les ophtalmologues.
Le Dr Sayeh Pourjavan a ainsi vu le nombre de ses interventions monter en flèche ces dernières semaines. D'un demi-jour par semaine avant le Covid consacré aux opérations, la spécialiste est passée à trois jours. "J'opère beaucoup plus qu'avant, reconnaît-elle. La semaine passée, j'en ai opéré 21 alors que normalement j'en opère 5 ou 6 par semaine. On s'attend donc à voir une vague de patients malades et d'aveugles dans les mois à venir, beaucoup ont postposé leur rendez-vous par peur de s'y rendre ou même arrêté leur traitement, on craint que d'autres arrivent trop tard, je viens d'ailleurs de me retrouver avec trois patients totalement aveugles."