Sexo: "Le Freudporn, c’est lassant"
Le philosophe Alexandre Lacroix donne sa méthode du coup parfait, pour aller vers le vrai partage.
- Publié le 21-05-2022 à 15h19
- Mis à jour le 23-05-2022 à 15h39
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/5A4O6O2I5JHDDKYA7JDXPTUUJ4.jpg)
Lire un essai pour apprendre à mieux faire l’amour ? Vraiment ? C’est la proposition audacieuse d’un écrivain français dont le livre commence à faire parler tant le sujet concerne tout le monde depuis les origines du monde : la sexualité ! “Je suis toujours parti, pour écrire des livres de ce qui comptait pour moi, de mon expérience. Et faire l’amour fait partie de ma vie ! j’avais envie de confronter la sexualité actuelle avec ce qu’on pouvait en lire dans les écrits des philosophes. Je me suis aussi rendu compte qu’il n’y avait pas de livres entier consacré à ça, que le savoir était parcellaire”, explique celui qui est aussi rédacteur en chef de Philosophie Magazine.
Alors durant des mois, il a travaillé par courts chapitres (Sur le rire et le sourire; sur les détails du corps; sur la caresse et la saisie, sur les commentaires après, ...) à tracer ce qu’est selon lui un “coup parfait” dans “une vie sexuelle normale”. Suivant la méthode des philosophes de l’Antiquité qui cherchaient la définition de “la vie bonne”, il veut comprendre ce que serait la bonne relation sexuelle.
Mais d’emblée, il prévient : cet essai est vu sous l’angle du vécu d’un homme hétérosexuel quarantenaire, en parlant pour deux adultes qui se désirent mutuellement “dont le but est de prendre du plaisir et d’en donner et qui n’y parviennent pas toujours”. Une sexualité “pot-au-feu”, s’amuse-t-il pour laquelle on peut cependant avoir un appétit insatiable dès lors que l’on prend le temps de réfléchir plus à nos gestes et à nos habitudes, pour donner à ces moments davantage d’intensité et des rythmes différents. C'est à un nouvel art érotique que conclut ce livre pour un tremplin vers plus de jeux : des "intermèdes plutôt que des préliminaires", souligne-t-il. Et plus d'attention sur ces orgasmes qui sont loin d'être monochromes, "selon le moment, l'humeur, ...". Et aussi que cet orgasme n'est pas une finalité, ni un devoir d'un côté comme de l'autre. Ni la pénétration la finalité !
Vous dites que l’on vit actuellement dans une sexualité freudporn, c’est-à-dire ?
Mon hypothèse est que, dans les sociétés occidentales, le script sexuel le plus courant provient d’une conception de la relation sexuelle héritée de Freud, conception reprise et amplifiée par le porno mainstream. La “relation sexuelle saine” de Freud c’est : des préliminaires qui servent à provoquer l’excitation, puis il y a pénétration de la femme par l’homme deplus en plus rapide jusqu’à éjaculation de l’homme à l'intérieur de la cavité vaginale, dixit Sigmund Freud. Le plaisir féminin, on n’y pense même pas ! Ce schéma a eu une immense influence sur les recherches actuelles en sexologie et n’a jamais été fondamentalement remis en cause. Aujourd’hui, c’est toujours comme ça que cela se passe, avec un rapport de domination masculine sur le féminin.
Que proposez-vous alors, à l’aune de tous les constats philosophiques que vous avez pu lire ?
Pour sortir de l’autoroute Freudporn qui devient vite lassante et stressante avec son obligation de résultat, je suggère de considérer l’activité sexuelle comme un art vivant, un art érotique qui baguenauderait comme des improvisations en danse ou en jazz ! Et je pense particulièrement au swing et ses envolées, avec ses variations d’intensités.
Et la répartition des rôles figées qui se perpétue, comment pourrait-on s’en écarter ?
C’est une question délicate. Parce que si on essaye d’effacer les millénaires de patriarcat culturel, social et religieux dans le sexe, on tombe vite dans l’égalitarisme sexuel où l’on va être très vigilant à ne pas rabaisser la femme, à ne pas faire de gestes ou des paroles qui pourraient heurter et pour la femme attention à ne pas mimer des postures de soumission qui la rendent complice finalement de la domination masculine que l’on veut supprimer. Mais là, on tombera vite dans de l’eau tiède, on va s’embêter parce que on va vite ne plus rien oser. Pour moi, ce ne sont pas les actes forts, les postures dominantes, les gestes brutaux qui posent problème mais c’est le fait que les rôles soient toujours les mêmes : la femme est dans la soumission, la passivité et l’homme toujours dans la force et l’expression de son pouvoir. Ce que je propose c’est la circulation du pouvoir avec des phases de domination alternée. L’homme doit juste encourager la femme à mener et puis certainement lui laisser le temps de prendre cette place, cela se construit. En acceptant une certaine passivité chez l’homme et une domination chez la femme, ils auront tout à gagner : la découverte de nouveaux plaisirs forts.