Sarah Schlitz veut punir la possession non consentie d’images à caractère sexuel : “Concrètement, ce sera difficile”
La secrétaire d’État à l’Égalité des genres a présenté sa proposition de loi au conseil des ministres. Le projet est loin de faire l’unanimité.
Publié le 22-02-2023 à 06h42
La possession d’images à caractère sexuel sans le consentement de la personne représentée pourrait être punissable par la loi. C’est ce que souhaite Sarah Schlitz (Ecolo). La secrétaire d’État à l’Égalité des chances a récemment amené le projet à la table du conseil des ministres qui s’est accordé pour en étudier la question.
Actuellement, la personne qui envoie une photo d’elle nue à une autre et qui, après coup, souhaite que le récepteur la supprime ne dispose d’aucuns moyens légaux pour le faire. L’élue Ecolo souhaite rendre cela possible en ajoutant dans le Code pénal un article sur la possession d’images à caractère sexuel non consentie.
Cette nouvelle législation pourrait s’appliquer aux couples séparés. Un ancien partenaire pourrait vouloir réclamer à l’autre de supprimer les photos intimes encore conservées sur ses appareils numériques (téléphones, tablettes, PC…).
Le concept d’image intime apparaît déjà dans le Code pénal qui définit l’infraction de voyeurisme comme le fait de faire des photos ou des vidéos de quelqu’un à son insu, alors que cette personne croyait être à l’abri des regards. Sans son consentement, donc. Le voyeurisme est puni d’un emprisonnement de six mois à cinq ans. Est également puni par la loi le “revenge porn”, soit le fait de diffuser des images de quelqu’un nu sans son consentement, ou encore le deep fake, qui consiste à intégrer la tête d’une personne dans une production pornographique.
Sarah Schlitz souhaite donc aller plus loin dans l’encadrement de la notion de consentement par la loi en y intégrant la possession de photos intimes non consentie ou plus consentie. Cette disposition pourrait s’établir si la personne a, un temps, accepté de partager ces photos mais qu’elle s’est ensuite rétractée. Au sein du gouvernement, le projet est encore loin de faire l’unanimité car plusieurs ministres doutent de sa faisabilité et jugent la question délicate à traiter.
Difficultés techniques
Interrogé par nos soins, le professeur à la Faculté de droit et de criminologie de l’UCLouvain Thierry Moreau répond avoir quelques doutes sur la mise en pratique de cette loi. “Coucher sur papier une pareille interdiction n’est pas difficile. Pour suivre ça concrètement, par contre, cela sera très difficile. Car se pose le problème de la preuve. Cela va nécessiter des compétences techniques.”
Sans preuve, les autorités ne peuvent pas exiger de contrôler le téléphone ou l’ordinateur d’un particulier. “Comment prouver que la personne a conservé les images”, s’interroge le spécialiste du droit pénal. “Si l’image est présente sur un appareil, qui nous dit qu’une copie n’existe pas sur un autre appareil ?”
Le caractère ubiquitaire des hébergeurs de photos sur le cloud, comme Google Images ou iCloud, fait qu’il sera complexe de contrôler la possession d’images. “Quand vous prenez une photo sur votre iPhone, un duplicata apparaît sur votre Mac ou votre iPad. Comment prouver que la possession de cette photo ne sera pas le fait d’un oubli ?”, ajoute Thierry Moreau qui voit dans le projet de loi comme une volonté de donner un signal social. “Il y a beaucoup de disposition dans le droit pénal dont on sait que l’on n’arrivera pas à les faire respecter. Mais cela donne le signal de ce qui doit être respecté.”
Le projet de loi de Sarah Schlitz s’appuie sur une étude commandée à l’Université d’Anvers en collaboration avec l’IEFH. Ce travail, effectué sur un échantillon de 1819 jeunes de 15 à 25 ans, révèle que 21 % des jeunes hommes et seulement 9 % des jeunes femmes déclarent connaître quelqu’un qui est en possession d’images d’eux nus. “Mais il semblerait que ce chiffre soit largement sous-évalué. En effet, beaucoup de jeunes ne sont pas au courant du fait que quelqu’un détient des images d’eux de ce type, notamment parce qu’ils n’y ont pas consenti”, complète le cabinet Schlitz. “Ainsi 7 % des garçons et 4 % des filles déclarent ne pas savoir si quelqu’un possède des photos d’eux à caractère sexuel. Il semblerait également que les filles aient tendance à sous-déclarer ce phénomène lors de l’enquête, à cause de la pression sociale.”