Dans la tête des pervers narcissiques : “Ils n’ont qu’un seul plaisir, vous faire mal”
Survivante, comme elle se décrit, Marie-Laure Holtgen décortique le processus hautement destructeur et vicieux de ces personnages.
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- Publié le 03-12-2021 à 16h35
- Mis à jour le 03-12-2021 à 19h13
Marie-Laure Holtgen a réussi sa désintoxication. Après plusieurs années d’une relation avec un pervers narcissique (l’abréviation PN pour désigner ce type d’individus destructeurs et sociopathes remonte à 1986), elle vit, elle revit. Après une thérapie, elle a retrouvé l’amour. Le vrai.
Aujourd'hui, elle témoigne (PN, va te faire… aux éditions Le Lys bleu) sans concession. Car le PN peut se cacher sous des costumes bien différents. Du P-DG flamboyant à l'insignifiant manutentionnaire dans une grande surface. Du physique de play-boy à la silhouette disgracieuse et sans relief d'un nobody aux oreilles décollées.
Plutôt que le statut de victime, elle revendique celui de survivante. Nous avons volontairement choisi de féminiser la situation car plus de femmes osent parler, osent exprimer ce qu’elles ont vécu. Plongée dans un monde où le mal et le vice s’invitent en permanence. Pour que tout le monde sache mais aussi pour en sortir. Parce qu’il y a un après-PN à tout âge.
Avec le recul de votre expérience, n’existe-il pas un moyen de repérer le PN ?
"J’avais l’impression d’être dans la connexion, mais mes amis ne me reconnaissaient plus. Je ne savais plus qui j’étais, ce que j’aimais réellement. J’avais tellement mis cette personne au centre de ma vie que je n’avais plus de goûts, ni de hobbys. Tout tournait autour de lui. Le processus de manipulation est subtil, mais il faut déjà une certaine proximité pour le comprendre. Et c’est trop tard. Ce sont des prédateurs. Il y a néanmoins des indications. Comme la violence psychologique et verbale qui arrive assez rapidement. Voire sexuelle avec le recours au chantage affectif. En société, il peut être soit charismatique et ouvert, soit renfermé et éteint."
1. Le PN et la séduction
"C’est le moment où il attrape sa proie. Il joue sur la connexion, les âmes sœurs, les flammes jumelles. Vous avez envie d’y croire même si c’est trop beau pour être vrai. Il part dans des déclarations d’amour fracassantes, mais, entre les paroles et les actes, c’est le néant. Il pratique l’effet miroir. Il vous fait beaucoup parler et projette sur vous ce que vous lui dites."
2. Le PN et l’amour
"C’est un véritable escroc de l’amour. Il est totalement incapable de ressentir des sentiments amoureux comme nous. Il n’aime pas et c’est compliqué à accepter. Il n’a aucun sens des rapports humains normaux. Il a besoin de gens utiles autour de lui. Qui s’occupent de son ménage, de gérer les affaires administratives et de flatter sans cesse son ego. Lors de la rupture, il faut d’abord digérer et non chercher à comprendre. Nous voulons qu’il y ait une logique alors qu’il n’y en a pas. Avec trois sentiments qui prédominent autour de la question : pourquoi me suis-je laissé faire ? Il y a de la colère, de l’injustice et la culpabilité parce qu’on a fait du mal autour de soi. Mais la survivante n’est pas elle-même pendant l’emprise. Le PN procède par vagues afin de vous conserver, de faire croire que le prince charmant n’a pas disparu. Une forme de manipulation qui peut durer."
3. Le PN et l’entourage
"Il va éliminer peu à peu toutes celles et tous ceux qui vont cibler ses incohérences, ses comportements. Il a une peur bleue soit d’être démasqué, soit que l’extérieur vous ouvre les yeux. Il invente des histoires et vous les gobez. Il parvient parfois à casser la relation avec les parents. C’est la raison pour laquelle certains perçoivent un malaise mais préfèrent se taire."
4. Le PN et la violence
"Il pratique ce que j’appelle le cannibalisme psychologique. Le plaisir du PN, c’est de vous faire mal. La zéro empathie et donc zéro remords. Ce sont des personnages qui ne peuvent pas se remettre en question. C’est eux contre le monde entier. Vous êtes avec lui ou contre lui. C’est une question de pouvoir. S’il tombe dans la violence physique, c’est qu’il sent sa proie lui échapper. Il aime la violence verbale et psychologique mais aussi sexuelle. Ce que vous voulez, il ne va volontairement pas vous le prodiguer."
5. Le PN et les enfants
"Il n’aime pas son enfant. C’est dur à entendre, mais c’est la vérité. Son éducation ne l’intéresse pas. Lors de la rupture, la mère a tendance à culpabiliser : comment ai-je pu lui donner un père pareil ? Il ne faut pas montrer à votre enfant que vous avez des craintes quand il va chez le PN. Mais il ne faut pas lui cacher la vérité et rappeler les principes. Soit l’enfant va voir son père comme un dieu et il tombera de haut. Soit l’enfant a compris qui il était et il s’en accommodera. Néanmoins, à l’adolescence, la relation risque d’éclater et l’enfant sera déçu de ce parent inutile et si peu impliqué. Quand l’enfant revient d’un séjour chez le PN, il présente souvent des comportements difficiles. Il a besoin de se décharger, de parler, de s’exprimer. Là-bas, il n’a rien à dire et on ne l’écoute pas."
6. Le PN et les mensonges
"Il ne vit que sur le mensonge, de manière permanente. Il invente des histoires soit amplifiées, soit carrément inexistantes. Sans oublier les promesses qu’il ne tient jamais. À chaque relation, il se crée un personnage différent. La survivante va avoir tendance à vouloir prévenir celle qui lui succède. Le fameux syndrome du sauveur. Il ne faut surtout pas car le PN a déjà prévu le scénario. Vous êtes une folle. De toute façon, l’emprise a déjà fait son effet et elle n’a plus son libre-arbitre. Ça risque même de vous retomber dessus…"
"Dans ses mensonges, le PN se croit intelligent ou veut faire croire qu’il l’est. Il se prétend parfois HP (haut potentiel), ce qui est totalement incompatible. Les HP sont hypersensibles et très empathiques. Le PN peut avoir des mots très durs et violents sur les amis, la famille, même la leur, ses collègues. Cela lui paraît totalement normal. Il vous regarde droit dans les yeux et ne cesse de vous faire douter de votre avis et même de vos croyances."
7. Le PN et l’argent
"C’est une obsession pour lui. Comme il ne nourrit aucun sentiment, l’argent représente quelque chose de sûr. Le matériel au-dessus du sentimental. Il aime posséder, mais, sauf si cela le concerne, il éprouve les pires difficultés à dépenser de l’argent. Ce sont ce qu’on appelle des radins, mais en pire. Il aime aussi laisser sa victime sans le moindre sou. Comme une forme de sanction."
Après ce décor infernal dans lequel la Belle au bois dormant s’est réveillée, il y a un processus de reconstruction. Une vie d’après. Forcément une vie meilleure.
"Dans votre vie, le meilleur est à venir"

Il faut passer par une vraie cure de désintoxication pour se reprendre en main.
Un an ou quatorze ans. L’important est de tourner la page, de (re) vivre pour soi-même. "Je me suis enfuie", avoue l’inspectrice du travail qui est aussi coach de vie. Le PN décide de partir souvent sans un mot ? Il sent qu’il est au bout du processus, que sa victime lui échappe, qu’elle n’est plus aussi manipulable ou qu’elle va mieux.
Vous parlez carrément d’une désintoxication.
"Notre corps a tellement eu l’habitude de vivre dans le stress permanent qu’il est en manque. On est drogué au PN. Nous avions l’habitude d’être dans le combat, dans la tension permanente. On sombre vite dans la pensée obsessionnelle. On cherche une logique à ce qui se passe. Il doit y avoir une explication et on cherche. Il faut accepter qu’il n’y en ait pas et que ces gens peuvent être Docteur Jekyll et Mister Hyde dans la même journée. Non, ils ne sont pas schizophrènes ou bipolaires, ils sont PN. Point."
Pourquoi appréhende-t-on la solitude ?
"La peur de se retrouver face à soi-même. Pour ne pas ressasser sans cesse l’histoire, les petites phrases, les mots durs. Le PN est un fantôme envahissant. Il ne faut pas rester seul, mieux vaut renouer avec l’entourage, parler et consulter. Pour tenter de comprendre pourquoi nous sommes tombés dans le panneau. C’est une prise de conscience, une convalescence qui peut être longue mais qui débouche sur une renaissance."
Le PN peut-il aller jusqu’à pousser sa victime au suicide ?
"Évidemment. Cela arrive souvent. C’est même le graal suprême pour lui car il s’érige en victime à vie. Il n’a rien pu faire pour vous sauver malgré tous ses efforts… C’est vous qui étiez le problème et pas lui. Je ne pouvais pas régler ses problèmes. Il va jouir de l’horrible satisfaction d’avoir amené quelqu’un à passer à l’acte. Ce sont des sociopathes."
Pour quelles raisons la victime ne parle-t-elle pas quand elle est sous emprise ?
"La honte. On se rend bien compte qu’on est coincé. Il nous reste la fierté et on n’a pas envie de se justifier, d’affronter le regard des autres. Parfois, on fait passer des messages mais sans aller plus loin. Pour la victime, les moments passés entre amis ou en famille sont autant de bouffées d’oxygène en dehors de la prison. Le PN ne va pas péter un plomb devant un public mais il va vous faire payer ce bon moment. Dès que vous êtes sur le chemin du retour, il recommence son travail pervers."
Le PN s’attaque-t-il à des personnes faibles ?
"Au contraire. Sa cible : des gens qui ont tendance à beaucoup réfléchir car il peut instiller le doute permanent. La première fois que mon psy m’a dit que j’étais sous emprise, je lui ai ri au nez. Le PN utilise les mêmes techniques que les sectes. Je ne pouvais pas être embrigadée. Quand un pro de la santé met le doigt dessus, tout ce à quoi vous vous raccrochiez dans la relation s’effondre comme un château de cartes. Les femmes possèdent souvent le syndrome de l’infirmière. Elles veulent le sauver mais cela ne sert à rien."
Comment peut-on expulser de sa tête l’image du PN ?
"Après avoir tenté de trouver une justification logique qui n’existe pas, il ne faut pas sombrer dans l’obsession de la perversion narcissique. Il faut digérer, accepter et repartir de l’avant. À trop passer de temps sur le passé, on ne vit pas le présent et on ne prépare pas l’avenir. Pour moins penser à l’autre, il faut plus penser à soi."
Victime d’une PN, risquez-vous une récidive ?
"Non. Tous vos warnings sont ouverts. Vous allez même être dans un premier temps hypervigilant. Mais le meilleur est à venir. J’en suis la preuve."