Dans les coulisses du Mont-de-Piété de Bruxelles, prêteur sur gage depuis plus de 400 ans
Il s'agit du seul organisme habilité à pratiquer le prêt sur gage en Belgique et de la plus vieille institution financière du pays. Le principe : échanger des objets de valeur contre un prêt d’argent.
Publié le 12-03-2023 à 16h05
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Blotti au cœur de Bruxelles, le Mont-de-Piété attise la curiosité des passants, se baladant entre le Sablon et le Palais de justice. Certains s’arrêtent d’un air intrigué devant les grandes portes en bois massif de cette institution publique dépendant de la ville de Bruxelles. Si elle suscite autant d’interrogations, c’est parce qu’elle est unique en Belgique. C’est la seule à pratiquer le prêt sur gage. Mais sa singularité provient aussi de son histoire. “Les premiers Mont-de-Piété ont été créés au 15ème siècle à Pérouse au centre de la péninsule italienne par un moine, Barnabé de Terni”, explique Jan Declercq, responsable opérationnel de l’institution en avançant vers le hall d’entrée. À l’époque, les usuriers abusaient de leur pouvoir et proposaient des prêts aux taux d’intérêt ahurissants, allant jusqu’à 130 %. Barnabé de Terni, voulant aider les plus pauvres, décide alors de créer un organisme pratiquant le prêt sur gage.

Une institution bruxelloise
Le Mont-de-Piété est installé à Bruxelles depuis 1618 : “Le concept a été importé en Belgique par Wenceslas Cobergher, un humaniste proche de l’Archiduc Albert et son épouse Isabelle. Il leur a proposé d’ouvrir cette institution en revenant d’un voyage en Italie”, affirme Jan Declercq. C’est alors vingt institutions financières de ce type qui ont vu le jour dans notre pays. Cependant, elles ont toutes dû fermer, à l'exception du Mont-de-Piété bruxellois : “Pour des raisons économiques, il n’en existe plus qu'un. Les investissements au niveau de la sécurité ne sont pas négligeables donc il faut avoir beaucoup de prêts pour pouvoir soutenir un Mont-de-Piété. Dans toutes les autres villes, ça s’est terminé.”
La salle des guichets

Lorsque l’on franchit l’impressionnante porte du Mont-de-Piété et que l’on s’aventure dans le petit chemin pavé, on arrive rapidement dans un gigantesque hall. Des dizaines de guichets occupent le lieu. Ce matin, peu de clients attendent leur tour. Cependant, certains s’impatientent en observant l’objet qu’ils tiennent dans leurs mains. Tous espèrent obtenir le prêt le plus élevé possible. Pour déterminer la valeur de celui-ci, ils devront d’abord passer par le guichet de l’expertise, comme l’explique Cathy Vaessen, responsable communication en montrant les bureaux au fond de la salle : “S’il s’agit d’un simple bijou, l’expertise se fait ici. Comme vous pouvez le voir, on a des petits instruments pour déterminer le caratage de l’or. Si c’est un bien plus complexe (montre, tableau…), il part à l’étage où les experts ont plus de matériel. Par exemple, ils utilisent des plateformes en ligne qui leur donnent la valeur d’un sac à main, la cote d’un artiste ou encore d'une bouteille de vin sur le marché des salles des ventes.” Il y a huit experts qui travaillent au Mont-de-Piété et sont formés afin d’évaluer la valeur de chaque objet présenté.

Tous les objets ne sont pas acceptés
Pour qu’un objet soit accepté et que sa valeur soit évaluée, il faut qu’il respecte certains critères. Jan Declercq les décrit en montrant les petites boîtes dans lesquelles les objets validés sont placés : “On doit d’abord être capable de le stocker convenablement, qu’il ne se détruise pas sur le long terme. Puis, avant toute chose, on doit pouvoir l’évaluer, avoir les connaissances nécessaires pour le faire, c’est pour ça que les experts suivent des formations très poussées. Si ces critères sont remplis, la procédure est enclenchée. On ne prête donc pas qu’aux riches.”
Un objet contre un prêt
Lorsque la valeur de l’objet a été estimée, la personne peut alors décider de le reprendre ou de le donner en gage afin de recevoir de l’argent en cash ou par virement. Si elle opte pour cette deuxième option, elle obtiendra un prêt d’une valeur de 50 à 70 % du prix estimé de l’objet. “Quand on estime la valeur d’un objet, on se base toujours sur ce qu’il pourrait rapporter lors de sa vente aux enchères et non pas sur ce qu’il coûte à l’achat. Lorsque la valeur a été estimée, un contrat est établi sur 180 jours. La personne peut choisir de rembourser un montant dégressif déterminé à l’avance tous les mois (plan d’amortissement) ou de rembourser “à la carte” le montant qu’elle souhaite à chaque fois qu’elle en a la possibilité dans les délais impartis du contrat. Dans tous les cas, les prêts sont soumis à un taux d’intérêt de 6,4 % TAEG soit 3,25 % sur 6 mois (la durée du contrat initial). Le contrat peut être prolongé. À tout moment, la personne peut reprendre son bien après avoir remboursé son prêt”, explique Cathy Vaessen.
Un niveau de sécurité maximal
Dès que la personne a reçu l’argent, l’objet est disposé dans une boîte. Celle-ci est envoyée vers les coffres-forts en passant par une trappe. Tout est robotisé et automatisé, il n’y a plus de manipulation manuelle de l’objet une fois que celui-ci est dans le contenant. Deux types de coffres-forts sont présents au sous-sol. Il y a d’abord ceux très volumineux conçus pour les objets de taille importante, comme le mobilier par exemple. Ensuite, il y a ceux dans lesquels les biens de taille plus modeste sont conservés. Étant donné la valeur des objets stockés sur place, la sécurité du lieu est maximale. Une surveillance à distance et sur place est prévue 24 heures sur 24.


La salle des ventes
Dans 95 % des cas, les prêts sont remboursés. Cela arrive toutefois que le gageur ne peut pas ou ne préfère pas restituer le montant. L’objet part alors en salle des ventes. Par exemple, si une personne désire se séparer de son collier pour en recevoir sa valeur en argent, elle peut demander que celui-ci soit vendu aux enchères. Cela pourrait aussi arriver à une personne qui n’aurait pas les moyens de rembourser le montant du prêt qu’elle avait obtenu en échange du collier. Le bijou sera d’abord présenté dans la salle d’exposition. Les éventuels acheteurs pourront venir l’observer dans les larges vitrines qui y sont installées.

Les enchères


Tous les mardis, des ventes aux enchères ont lieu au Mont-de-Piété. Cathy Vaessen présente un prospectus affichant des dates plus précises : “Ça c’est le calendrier, vous voyez qu’il y a des couleurs différentes parce que les ventes sont sur des thèmes divers. On a toujours du bijou car le bijou ça reste 90 à 95 % des objets qu’on reçoit en gage. Il y a également la maroquinerie de luxe, l’argenterie, l’orfèvrerie, le vin, les spiritueux, les tableaux qui sont cotés sur le marché de l’art, la céramique, la verrerie, les objets de vitrines, les instruments de musique, les BD de collection, les vélos de standing, le petit mobilier design, les stylos de marque etc. ” Les ventes aux enchères ont lieu dans cette grande salle. Sur l’estrade, le bureau du commissaire-priseur. C’est lui qui gère les ventes et fait monter les enchères avant de les valider avec sa palette et son marteau. S’il y a une variété d’objets vendus, il y a également une diversité de manières de les acquérir, explique Cathy Vaessen. “Des gens viennent sur place. On compte généralement une trentaine de personnes présentes. D’autres participent par téléphone ou en ligne, sur une plateforme de vente internationale. Les objets sont vraiment très diversifiés, ça démarre avec des biens à 30-40 euros. Il n’y a pas de limite de prix. La seule limite, c’est la valeur de l’objet. ”

Le bonus de vente
Lorsqu’un objet est vendu aux enchères, il peut arriver qu’il parte à un prix beaucoup plus élevé que celui estimé. Un acheteur, s’il a un coup de cœur, peut vouloir monter très haut dans la somme déboursée pour obtenir le bien. Cathy Vaessen l’affirme, ce cas n’est pas isolé et présente un réel avantage pour le gageur : “Quand un objet est vendu, le bonus de vente revient au propriétaire de l’objet. Donc, si un objet qui était estimé à 1000 euros est vendu 2000, la totalité de la somme restante après avoir épongé la dette du client lui reviendra. Nous on ne garde rien.” Une fois qu’un objet a trouvé un acquéreur, le bien retourne dans la salle des guichets où il sera récupéré par son nouveau propriétaire. Si au bout de trois ventes aux enchères l’objet n’est toujours pas parti, alors il sera exposé dans cette même salle des guichets dans le but d’être vendu à prix réduit.
Ces prix cassés attirent de plus en plus de personnes. De manière générale, le Mont-de-Piété a connu un regain d’intérêt avec la crise du Covid et celle de l’énergie. “En juin 2021, le montant prêté était encore de 21,5 millions d’euros. En juin 2022, on était à 24 millions et à l’heure actuelle, on avoisine les 26 millions. Les objets que l’on nous apporte ont de plus en plus de valeur. On voit des gens qui ne venaient pas au Mont-de-Piété jusqu'à présent. Avant la crise, la valeur moyenne des prêts était de 600 euros, à l’heure actuelle ça tourne autour de 1000 euros. Cela montre peut-être qu’une autre partie de la population vient chez nous, la classe moyenne”, explique le responsable opérationnel du Mont-de-Piété en traversant le chemin pavé avant de fermer la porte de la plus ancienne institution financière de Belgique.
