Obésité : “On ne sort pas seul d'une spirale infernale qui nous fait atteindre 150 ou 200 kilos”
L’obésité massive, une maladie qui peut condamner à une extrême solitude
Publié le 12-12-2020 à 10h57 - Mis à jour le 14-12-2020 à 09h31
:focal(1275x858:1285x848)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/DPUDKPMDKFDHBCDUUF7NDYZ36Q.jpg)
C’était la semaine dernière à Perpignan. Un homme pesant près de 300 kg dans un état de santé grave a dû être emmené d’urgence à l’hôpital, son état s’étant encore détérioré à cause de son obésité morbide. Bloqué chez lui, Alain P. était mi-assis, mi-couché depuis 1 an. Son seul lien au monde : un frère atteint d’un handicap mental. Il aura fallu casser la façade de son immeuble vétuste pour pouvoir le sortir d’un appartement qui n’était plus qu’abandon. L’évacuation à l’aide d’une grue et les conditions de vie dégradantes d’Alain P. ont choqué. A l’extrême misère venait s’ajouter cette terrible incapacité physique à bouger, à agir du fait de sa surcharge pondérale massive.
“Il est heureux ! Il est heureux de penser que ce soir, c’est la première fois depuis un an et demi qu’il va dormir dans un lit”, expliquait ce jour-là Jean Codognès, l’avocat d’Alain P. qui s’est battu pour lui avec la Ligue française contre l’obésité. Et tout le monde autour de lui était aussi soulagé et heureux pour lui…

Un mépris omniprésent
Pourtant, la stigmatisation des personnes en surpoids très sévère, “est très forte dans la société. Ces gens qui sont en extrême détresse, coincés dans une cage de graisse en termes de poids et de mobilité, on les regarde sans aucune sympathie. On se dit directement que c’est de leur faute, qu’ils n’ont pas de volonté. C’est faux”, s’insurge le professeur Guy-Bernard Cadière, responsable de la Clinique du poids idéal à Bruxelles. Ce chirurgien digestif a effectué 7000 opérations bariatriques dans sa carrière et a croisé encore plus de personnes atteintes d’une obésité pathologique, venues pour être soutenues. “Je vois arriver des gens éteints, des femmes sans maquillage, qui ne se coiffent plus, qui ne regardent même plus un miroir, qui ont des problèmes de tension, de diabète, qui sont en dépression. Et quand commence la perte massive de graisse, on les voit peu à peu revenir un peu maquillées, puis souriantes et retrouver une séduction, les yeux brillent, elles se retrouvent”, explique le professeur qui opère pour un sleeve ou un gastric by-pass, la plupart du temps des femmes “économiquement faibles”.
Car l’obésité, qui est qualifiée d’épidémie par l’OMS, ne frappe pas au hasard : “Pour certaines familles, c’est éducationnel : c’est la malbouffe à longueur de temps par manque d’information, de temps et surtout d’argent”, décrit le docteur Lucia Capone, nutritionniste à la Clinique du Poids idéal, “Encore aujourd’hui, dans nombre de familles, on pousse à manger, c’est signe de bonne santé”. C’est aussi “un problème d’environnement alimentaire et économique, car l’alimentation industrielle ne coûte pas cher et elle est partout, à portée de main”, poursuit le Dr Rolland, également nutritionniste.
“C’est un véritable piège. On stimule la dopamine avec le sucre et la graisse. Ce qui ne rend pas heureux mais donne du plaisir. On devient addict à ce shoot de plaisir parce que c’est tout ce qui reste”, décrit le professeur Cadière qui est en guerre ouverte contre l’industrie agro-alimentaire.
La case régime
Au terrain familial et économique favorable peuvent s’ajouter une génétique prédisposée, un métabolisme lent, la sédentarité, de mauvaises habitudes alimentaires par méconnaissance (“le nombre de personnes qui pensent que ce qui est light peut être mangé à volonté est important”, souligne le Dr Capone). Et “l’aspect psychologique est terriblement important dans le rapport à l’alimentation”, rappelle le professeur : 27 % de ses patients opérés ont subi des abus sexuels…
Le processus qui mène à l’obésité peut se mettre en place : on mange pour se dissimuler, pour calmer l'angoisse, pour le plaisir instantané qui soulage un moment, on mange pour oublier qu’on est gros. “Dès qu’on sort, on est stigmatisé, alors on ne sort plus de chez soi, on ne bouge plus. Et on ouvre le frigo et les placards pour se consoler”, décrit Guy-Bernard Cadière. L’obésité morbide, soit un IMC de plus de 40 concerne environ 0.6 % de la population, elle a doublé en 5 ans. Le médecin a déjà opéré un homme de 350 kg, il y a quelques années, même si ces cas extrêmes avec un IMC au-delà de 60 restent très rares.
Dans cette société du paraître, beaucoup de personnes atteintes d’obésité passent par le régime, “ils en font même beaucoup : tous les régimes à la mode, qui fonctionnent soi-disant parce qu’il y a tellement de pub autour de ça ! Vous imaginez la culpabilité, la destruction de l’estime de soi, l’idée qu’on ne réussit rien ? Qu’est-ce qui reste ? Manger. Puis recommencer un régime et échouer : on rajoute des kilos aux kilos”. Qu’il s’agisse de prescriptions diététiques ou de thérapies cognitivo-comportementales, la majorité des études scientifiques s’accordent sur le fait que 90% des personnes qui perdent du poids le reprennent entre 2 et 5 ans...

Et le mouvement body positive qui a pris de l'ampleur ces dernières années, cela pourrait-il faire changer les choses ? "Cela peut aider pour soutenir l'estime de soi mais cela dit il faut arrêter le message qui vient principalement des EU qui dit qu’on peut être obèse et être en bonne santé, c’est faux. En revanche, apprendre à regarder les personnes en surpoids sévère d’une autre façon, c’est un message important à faire passer", souligne le Dr Capone.
Une épidémie qui tue 7000 personnes par an
Le Dr Rolland poursuit : “Il faut absolument déculpabiliser les personnes souffrant d’obésité et culpabiliser l’industrie agro-alimentaire, la société est faite pour faire des obèses aujourd’hui. Il faut agir en amont, c’est un vrai sujet politique”. On parle ici d’une maladie qui tue 7000 personnes par jour dans le monde, selon l'OMC.
“Pour perdre du poids, une seule chose : manger mieux et bouger plus. Et ce, même avant d’être opéré. Mais quand on atteint 150 kg, on ne peut pas bouger seul, on ne peut pas changer ses habitudes seul”, constate le Pr Cadière, “Le déclic, ce sera une remarque blessante de la famille qui fait mouche ce jour-là, un regard dégoûté de trop dans la rue, des enfants qui sont honteux de leurs parents, surtout de leur mère d’ailleurs, une amie qui a eu l’opération et qui est transformée…”