Cassius l’enfance de Mohamed Ali
Publié le 30-06-2019 à 15h31
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Catherine Locandro s’est plongée dans les jeunes années de la vie du champion de boxe pour en tirer cette superbe biographie romancée.C’est en découvrant, dans un article de journal, comment, suite au vol de son vélo, Mohamed Ali s’est mis à la boxe que Catherine Locandro s’est dit qu’elle avait envie de raconter le destin de cet homme-là. Seulement voilà, elle ne voyait pas par quel bout attaquer son histoire, si elle la destinait à la littérature "adulte".
Par chance, elle rencontre l’éditrice de la collection Litt’, chez Albin Michel, à laquelle elle soumet son idée. "Dans cette collection, le principe, c’est de s’intéresser à la jeunesse de personnalités qui ont marqué l’histoire, la culture", explique-t-elle. "L’éditrice m’a demandé d’écrire les deux premiers chapitres. Ça lui a plu et on est parti là-dessus."
L’idée de parler de l’enfance, c’est parce que c’est là que tout se joue ?
"Oui, c’est pour montrer comment les parcours remarquables et atypiques prennent vraiment racine dans l’enfance. C’est intéressant de montrer à des jeunes, à des adolescents, de quelle manière ce qu’ils vivent eux-mêmes va influencer ce qu’ils vont devenir plus tard. Ça peut les faire réfléchir, leur donner envie de se dépasser, d’essayer de faire des choses un peu remarquables."
S’adresser à des jeunes lecteurs, ça oblige à envisager l’écriture autrement ?
"Je ne pense pas avoir modifié ou chercher à modifier mon écriture. En fait, la grosse différence par rapport à ce que je fais d’habitude, c’est que j’ai vraiment ressenti un poids, une responsabilité. Pour la première fois, je me suis demandé "Qu’est-ce que je vais leur transmettre ?" Mes romans, je les écris et les gens en font ce qu’ils veulent. Alors que là, on s’adresse à des lecteurs en formation, à des futurs citoyens. On se dit que ce qu’ils vont lire là, peut-être que ça va les faire réfléchir."
Mais pour le reste, est-ce qu’il faut simplifier ? Vous mettez des notes en bas de page, par exemple…
"Il y a des petites choses, oui. Peut-être que par moments j’ai dû être plus explicative que je ne le suis d’habitude. J’ai une écriture assez concise et là, il a fallu que je m’applique à développer un peu plus, à expliquer."
Vous avez mis, à la fin, un petit glossaire de la boxe…
"Oui, parce qu’il y a pas mal de vocabulaire assez spécifique qu’on ne connaît pas forcément quand on est adolescent. Ou même adulte ! C’est toujours dans le souci d’être parfaitement compris, qu’il n’y ait pas des choses qui échappent. Mais là, c’est plus le travail de l’éditeur."
Vous vous êtes documentée énormément ?
"Oui. Pour pouvoir écrire ces deux premiers chapitres, j’avais lu un ou deux livres. Et quand j’ai eu le feu vert, j’ai lu le reste, j’ai regardé deux documentaires, le film avec Will Smith également. C’était préalable à l’écriture en elle-même."
Parce que c’est un public plus jeune, est-ce que vous avez mis l’accent sur des choses qui vont davantage parler aux ados ? Vous écrivez, par exemple, que très tôt il a été sensible à l’injustice…
"Il est clair que je me suis vraiment concentrée sur ce qu’il avait vécu dans sa petite enfance. Tout ce que je raconte est vrai, je l’ai lu dans diverses sources. Effectivement, très jeune, on a senti chez lui une forme de colère, de sentiment d’injustice. Ça revenait tout le temps donc, forcément, il fallait que ça soit dans le livre. Ça parle aux enfants puisque je parle d’un enfant. La question, au départ, c’était vraiment "Quel enfant, quel adolescent, quel jeune homme en apprentissage a été Mohamed Ali ?" Toutes les anecdotes qui allaient dans ce sens-là, je m’en suis emparée."
Quand vous arrivez à la fin du livre, il lui reste encore une longue vie à vivre. Il n’y a pas eu de sentiment de frustration ?
"C’est sûr qu’avec une vie comme la sienne, c’est difficile de s’arrêter. C’est pour ça, d’ailleurs, que j’ai fait ce dernier chapitre, sur le J.O. d’Atlanta, où on en apprend un peu plus sur ce qui va se passer après. C’est frustrant mais c’était le deal au départ."
Dans quelle mesure vous êtes-vous sentie libre d’écrire des dialogues que vous avez dû imaginer ?
"À partir du moment où on a tous les faits, les événements, la chronologie, il faut se permettre d’amener des choses personnelles. Ça se fait au travers des dialogues, dans la manière d’amener les scènes. Mais c’est entre soi et soi : à un moment, il faut se donner l’autorisation de prendre certaines libertés, d’expliquer les choses telles qu’on les ressent. C’est toujours un équilibre à trouver mais quand on y arrive, c’est un vrai plaisir parce que ça permet de s’exprimer."
Qu’est-ce que vous avez découvert sur Mohamed Ali, que vous ignoriez totalement avant d’écrire ce livre ?
"J’ai appris plein de choses. Je ne peux pas dire que j’ai eu des grosses surprises, en fait, parce qu’on sait pas mal de choses. Ce qui a pu me surprendre, c’est la discipline qu’il a eue, si jeune. À partir du moment où il découvre la boxe, dès 12 ans, il va avoir une vie… Il part courir tous les matins, il va à l’école après, ensuite, il trouve un petit job, puis il a son entraînement de boxe. À partir de 12 ans et jusqu’à ce qu’il arrête sa carrière, sa vie, ça a été ça. Si jeune, avoir cette discipline et cette volonté, c’est quelque chose que je ne savais pas et qui m’a vraiment surprise."
Ce livre permet aussi de faire passer d’autres messages auprès des jeunes ?
"Oui, et c’est aussi pour ça que j’avais envie de parler de lui. Ça me permettait de parler de cette période, les années 50 aux États-Unis, de la ségrégation, de l’absurdité totale de toutes ces lois qui avaient été votées contre la population noire. Ça me plaisait de parler de ça à des jeunes lecteurs, de montrer l’abjection de ce genre de société raciste. Je voulais montrer la manière dont il avait vécu tout ça et comment il s’en est servi sur le ring. Sa colère lui a servi à combattre. Et il a combattu ces inégalités à l’extérieur du ring. Il y a tout un parcours qui est assez exemplaire et il y a un vrai message à transmettre à la jeunesse à travers lui."
C’est d’autant plus important aujourd’hui ?
"Ça reste d’actualité, oui, quand on voit tous ces partis populistes, ces propos qui excluent. De nos jours, on est dans l’exclusion plus que dans le rassemblement. Ce qu’il a dit à l’époque, ce qu’il représente toujours aujourd’hui : on a des leçons à tirer de tout ça et c’est bien de continuer l’écouter."
Est-ce que Mohamed Ali représente encore quelque chose pour les jeunes d’aujourd’hui ?
"J’ai fait un salon du livre récemment et j’ai vu quelques ados passer devant le livre et dire "Ah Mohamed Ali", donc c’est que ça leur parle… Je pense qu’il est resté très présent dans la culture. Il y a pas mal de musiciens, de cinéastes qui parlent de son héritage. Mais je suis ravie, en même temps, pour ceux qui ne le connaissent pas, si ça peut permettre de le faire connaître. C’est aussi l’objectif."
Vous citez de nombreuses phrases qu’il a dites, vous les lui remettez dans la bouche. C’était important de dire que ce n’était pas qu’un type qui cognait ?
"Oui, parce que c’était vraiment les deux facettes de sa personnalité : le boxeur, sur le ring, ce champion incroyable. Et puis, c’est quelqu’un qui a beaucoup, beaucoup parlé. Ses conférences de presse, c’étaient des shows. Mais il ne parlait pas que pour lui : il parlait pour tous ceux qui n’avaient pas la parole. Cette population noire qu’on rabaissait en permanence. C’était bien de remettre les citations dans un contexte, parce que sinon, ça finit par devenir des phrases sur des t-shirts."
Vous l’aimiez avant, vous l’aimez encore davantage aujourd’hui ?
"Avant, je l’admirais pour ses qualités de sportif et pour ses engagements. Je pense que je l’aime encore plus aujourd’hui parce que j’ai appris quel enfant il a été, d’où il venait, tout ce qu’il transportait avec lui. Ça le rend encore plus touchant."
Ce travail vous a donné envie d’en écrire d’autres ?
"Je l’avais déjà un peu fait dans un de mes romans "pour grands". Dans L’histoire d’un amour, je m’étais inspirée de l’histoire de Dalida. J’avais raconté une de ses histoires d’amour avec un homme plus jeune qu’elle qui avait marqué sa vie. Donc, j’avais déjà fait ce travail de recherche. J’adore les biographies, les destins un peu tragiques. Je lis beaucoup ce genre de chose. Donc, oui, j’espère le refaire parce que c’est un exercice que j’aime bien."
Quel autre grand destin vous aimeriez raconter ?
"Je suis assez passionnée de cinéma et du cinéma hollywoodien. Pourquoi pas Audrey Hepburn ? C’est un personnage très inspirant."
interview > Isabelle monnart
Catherine Locandro, Cassius, Albin Michel