Pourquoi les hypersensibles sont sans doute les meilleurs et les pires des amants : la chronique psy-toyenne
Empathiques et désireux de répondre aux besoins de l'autre, ils sont aussi capables de tout surinterpréter et de faire d'une broutille un drame... Débrief avec Anne-Françoise Meulemans, médecin psychothérapeute.
- Publié le 05-06-2022 à 19h26
- Mis à jour le 25-08-2022 à 17h27
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Les hypersensibles sont sans doute les meilleurs et les pires amants. Ils ont une sensibilité qui les rend particulièrement empathiques et sensibles à répondre aux besoins de l'autre. Elle leur permet de savourer chaque goutte de nectar de l'amour naissant, avec une jouissance toute particulière, car tous leurs capteurs sensibles sont en éveil et en action.
Ils sont aussi les pires amoureux/amants, car ces mêmes capteurs sensibles captent tout....et n'importe quoi ! Une réponse tardive à un sms, un téléphone qui reste silencieux un peu trop longtemps, une inflexion de la voix, un certain regard. Tout peut tourner au désastre, au vinaigre d'une mauvaise interprétation.
Car l'hypersensible avec tous ses sens en éveil, se retrouve fragilisé par la tonne d'informations qu'il reçoit, et autant il est pro dans la captation des infos, autant il peut être aussi lamentable dans la gestion et l'interprétation de ces informations. Cette capacité à être un excellent récepteur le fragilise, car toutes ces informations à gérer génèrent un stress chronique, une fatigabilité, une perte de confiance en soi, le doute, la remise en question, la culpabilité, la peur de l'abandon.
De l'amant magnifique en début de la période bleue de la relation, le moindre accroc se transforme en peau de banane sur laquelle l'histoire d'amour se vautre et c'est la chute, bête et brutale. Une chute d'autant plus douloureuse que l'on tombe de haut, et qu'on y est jamais préparé, même si on l'a déjà vécu 100 fois.
Une poudrière prête à exploser...
La personne hypersensible (et nous sommes tous plus ou moins sensible, voire hypersensible) est un imploseur professionnel. Il suffit que l'autre vienne avec une petite étincelle pour foutre le feu à la poudrière que l'hypersensible est.
Pour mieux comprendre comment se passe une rencontre entre deux hypersensibles, on peut utiliser l'image de deux petits arbres au tronc tout fluet avec un énorme feuillage, tellement développé que la rencontre semble impossible, en tout cas difficile, chaque tronc peut avoir du mal à aller vers l'autre, dérangé par son feuillage d'abord, et ensuite aussi par celui de l'autre. Or, quand ils se rencontrent, c'est juste magnifique !
Mais avant qu'ils se rencontrent, il en faut du talent, il en faut de l'audace, pour passer à travers son propre feuillage et aller vers l'autre, avec la peur démultipliée du rejet possible et sous le poids incommensurable de l'amour fou qui agite chaque petite branche.
Le feuillage est si étendu, que le tourbillon des émotions jaillissant de la rencontre amoureuse risque de faire déraciner l'arbre. Alors? Il se tâte, il essaye de se muscler, et c'est grâce à ses exercices de musculation répétées que son audace d'aller à la rencontre d'un autre arbre, aussi feuillu que lui sans doute (car les mêmes feuillages s'attirent) s'affirme.
Cette musculation (cette meilleure connaissance) lui servira lorsque les brumes de la période bleue s'évaporeront au petit matin, après quelques semaines, et que les branches commenceront à s'entrechoquer parfois violemment. Il en faudra de la musculation, de la vigilance, de la précaution pour prendre soin de soi, de l'autre; et finalement de toutes ces branches entremêlées.
Mais une vraie belle rencontre
Cette rencontre audacieuse sera belle car le couple grandira dans la croissance de chacun des deux arbres. Et quelques année plus tard, on y verra inscrits les nœuds des querelles passées, des douleurs infinies qui ont failli déraciner ces deux arbres. Ces nœuds leur seront propres et leurs rappelleront, comme les cicatrices sont des souvenirs partagés, leur belle histoire de feuillages entremêlés.
Bien sûr, d'autres n'y arriveront pas, la rencontre est trop forte, le feuillage est beaucoup trop lourd pour le petit tronc trop frêle... Alors la rencontre sera évitée consciemment ou inconsciemment, avec la perception de sa propre vulnérabilité qui doit être encore travaillée et éprouvée. Avec ou sans professionnel.
Au final, ces déracinements successifs peuvent malheureusement parfois fragiliser définitivement. Mais très généralement, je dirais plutôt qu'ils forcent à un enracinement plus puissant et qui permettra une rencontre avec un magnifique feuillu, une magnifique plante !
> Anne-Françoise Meulemans est médecin psychothérapeute, coordinatrice d' e-mergence et CentrEmergences . Chaque semaine, elle aborde ici une question psy ou citoyenne que chacun pourrait se poser par rapport à soi ou à la société.