Faut-il se mettre en congé ou en maladie pour avoir droit à une pause du parcours professionnel ? La chronique psy-toyenne
On a encore trop tendance à donner un certificat médical au moment où il est trop tard. Or, ce certificat est le seul moyen de prendre une pause pour des personnes épuisées mais qui ne peuvent pas "lâcher", faute de moyens. Un vaste débat qu'ouvre pour vous la psychothérapeute Anne-François Meulemans.
- Publié le 28-08-2022 à 08h28
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C’est plus une réalité qu’une opinion. Si tu es riche ou que tu as suffisamment de moyens, tu peux te mettre en pause, mais si tu dois payer tes factures ce n’est pas possible. Il y a un lien entre les gens que l’on voit en thérapie et ce qu’ils gagnent. Cependant, les gens riches ne consultent pas moins que les gens pauvres et il n’y a pas moins de souffrance d’un côté que de l’autre.
On peut par exemple avoir des questionnements professionnels quand on trouve qu’on a fait le tour après 20 ans de boulot. On a du mal à lâcher. Comment fait-on ? C’est généralement le moment où on a besoin de pause. On devrait pouvoir profiter de quelque chose de plus souple que ce qui existe aujourd'hui : rien. C’est le moment où un médecin doit être attentif et voir les signes pour mettre son patient sous certificat médical à temps, c’est-à-dire avant qu’il ne soit malade. Car on a encore trop tendance à donner un certificat médical au moment où il est trop tard.
Donner un certificat médical, c’est aussi reconnaître officiellement l’état de maladie. Pouvoir offrir aux patients qui en sont à un stade d’épuisement total la reconnaissance de leur état. En fait, le certificat est le seul moyen de prendre une pause. Or, c’est un sujet extrêmement délicat : parce qu’il fait souvent polémique; parce qu'il y a beaucoup de certificats de complaisance. Pourtant, le certificat est la meilleure et la pire des choses. Quand on se retrouve en arrêt de travail, on se rend compte à quel point le travail est structurant dans une vie, et donne de la saveur aux choses. C’est quitter la maison et y revenir avec plaisir, c'est profiter d’un week-end bien mérité avant de s'y remettre… Pleins de choses de la vie ont uniquement du sens grâce au travail.
Comment sortir des certificats de longue durée ?
C’est le rôle du médecin, du thérapeute et de la société. Aujourd’hui, de nouvelles mesures sont en train d’être mises en place, reprendre à mi-temps est favorisé, pourtant c’était très difficile autrefois. Et de plus en plus d’employeurs sont d’ailleurs extrêmement soutenants dans la reprise au travail d’un des leurs.
Cela dit, je dois souligner qu'il y a aussi beaucoup de burn-out qui n’en sont pas, qui sont en fait des décompensations psychiatriques. On utilise ce terme anglais parfois à mauvais escient mais en quelque sorte tant mieux, car cela préserve l’intimité de la personne. Derrière le mot « burn-out », il y a donc le vrai burn-out, mais aussi pas mal de pathologies qui sont plus lourdes et plus difficiles et qui peuvent donner lieu à des certificats de plus longue durée parce que ce ne sont pas des simples burn-out.
En revanche, ce qui est inconsistant, c’est de rédiger un certificat médical avec des médicaments et point barre. Alors qu’il y a toute la question de l’état de la personne qui doit se poser. Un certificat médical doit pouvoir être justifié, tout comme ce qu’il se passe durant cette pause-là pour le patient. Cela ne doit pas être un temps mort, un moment suspend.
La personne en souffrance peut aller vers de l'orientation professionnelle, être aidée pour résoudre un problème d’insomnie ou un problème familial, etc. L'important est de construire avec lui un projet thérapeutique. Un certificat médical utilisé comme une béquille peut devenir potentiellement pathogène car elle met les gens dans une posture particulière par rapport à la société. Il peut marginaliser quelqu’un et lui faire perdre confiance en lui. Si on n’en fait pas quelque chose, le certificat médical peut être assez toxique pour l’image de soi, de sa personne et du sens de la vie. On doit vraiment se poser la question du comment, du pourquoi, du sens.
On véhicule actuellement un modèle sociétal difficilement compatible avec le bonheur. Pourtant, cette image perdure depuis 50 ans !
Beaucoup de gens ne vont pas bien car trop d’injonctions quadrillent leur quotidien:
Il faut travailler pour gagner suffisamment d’argent pour vivre, pour consommer, pour apaiser les frustrations générées par cette même société.
Il faut aussi faire du sport, avoir une vie sociale, être présent pour ses enfants…
Il faut être épanoui, être détendu, être ancré…tout en courant.
> Anne-Françoise Meulemans est médecin psychothérapeute, coordinatrice d'e-mergence et CentrEmergences. Chaque semaine, elle va aborder ici une question psy ou citoyenne que chacun pourrait se poser par rapport à soi ou à la société.