Les grandes inégalités sociales créent-t-elles de plus en plus de troubles mentaux ? La chronique psy-toyenne
L'état de santé mentale dans une société est un bon indicateur de son état de santé globale. La nôtre, comme tant d'autres s’exprime avec une violence implicite structurelle qui atteint le tréfonds de nos existence et nous secoue toujours plus ! La psychothérapeute Anne-Françoise Meulemans décortique cet aspect de la société et le rôle des psys.
- Publié le 04-09-2022 à 16h09
- Mis à jour le 12-09-2022 à 17h38
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L'injustice sociale fait partie de toute société. Chaque société se doit de les réduire au mieux. C'est une sorte de curseur. On peut mesurer le degré d'évolution d'une société dans son équité et son éthique. Le propre de cette société serait de garantir une égalité d’accès à des ressources pédagogiques, culturelles, didactiques pour tous les enfants : une base de départ commune qui ne peut pas être « que » l’école. On en est loin ! Dès la naissance, et bien avant, on crée des fractures sociales qui continuent de lézarder la société.
Violence sociétale forte
L'état de santé mentale dans une société est un bon indicateur de son état de santé globale. La nôtre, comme tant d'autres s’exprime avec une violence implicite structurelle : inéquité salariale, inéquité d’accès à l’éducation, à la connaissance, inégalité d'accès aux ressources éducatives, culturelles, médicales, inégalité aussi dans la possibilité de réfléchir et de donner du sens à son existence quand on bosse comme un fou pour joindre les deux bouts !
La violence sociétale percole alors dans toutes les couches qui la composent jusque dans l'intimité de chacune et chacun. Il n’est pas étonnant que les troubles mentaux aient des expressions nouvelles; plus de passages à l’acte violents vers soi et vers les autres, plus de stress, de décompensation. Chacun et chacun est impacté par cette violence et la gère ou « digère» à sa façon.
C’est bien là aussi le rôle du thérapeute devant une personne en souffrance : il ne s’agit pas de la victimiser mais de la considérer comme un individu qui évolue dans un système avec lequel il interagit. Ces interactions jouent un rôle à prendre en compte dans tout approche thérapeutique. La vison doit être systémique : dans son sens le plus petit comme dans son sens le plus large.
On doit avoir, nous thérapeutes, une vision systémique et donc politique en quelque sorte. Sinon, on dit : « Mais que se passe-t-il avec toi, pourquoi tu ne fonctionnes pas ? » au lieu de demander « Mais que t’est-il arrivé ? ». Et placer alors le patient comme acteur non de sa vie seule mais au sein d'un système dont le cadre blessé le blesse.
On doit avoir, nous thérapeutes, une vision systémique et donc politique en quelque sorte. Sinon, on dit : « Mais que se passe-t-il avec toi, pourquoi tu ne fonctionnes pas ? » au lieu de demander « Mais que t’est-il arrivé ? ». Et placer alors le patient comme acteur non de sa vie seule mais au sein d'un système dont le cadre le blesse.
Le développement personnel : oui et non
C’est d’ailleurs, tout le problème d'un aspect du développement personnel. " Même au fond de la mine où vous êtes dans le noir et travaillez comme une brute, même là voyez la beauté de l'instant....", Sauf que faire du développement personnel en position du lotus au bord d’une piscine et s’y coller au fond d’un trou, c’est totalement différent.
Cet aspect est à la fois culpabilisant pour les plus démunis et déculpabilisant pour les mieux nantis. Pourquoi ne pas envisager des stages pour se déculpabiliser d'être riche? Où se trouve encore la question de la responsabilité dans le débat? En fait, il n'y a pas de débat, on est dans l'obscurantisme, aussi noir que le fond de la mine; culpabilisant parce qu’il y a de grandes chances que l’un se sente mieux et que l’autre abandonne en se disant qu’il n’arrivera jamais à rien… Avec le lot de stress, angoisse, mésestime de soi, dépression, qui peut en découler. C'est schématique, on parle là d'extrémités mais moins une société fonctionne harmonieusement, plus les deux extrêmes augmentent.
Un manque de valeurs éthiques
Attention, ne soyons pas rousseauistes, on ne dit pas : « C’était tellement mieux avant ! ». Beaucoup de choses ont évolué positivement et globalement, les sociétés occidentales offrent un confort et une sécurité inégalés.... si on n'élargit pas trop géographiquement la zone de comparaison. Mais au niveau des valeurs éthiques et du sens, notre exigence devient plus aiguisée, et on en tire alors un constat amer : l'évolution de la société n'est pas à la hauteur ! Le manque d'éthique et d'équité délie le cadre.
Or, c’est grâce à un cadre cohérent et adaptatif et des valeurs éthiques que chaque individu trouvera son sens à lui, en bonne santé mentale, ce qui signifie sa capacité de pouvoir vivre au mieux en autonomie affective, relationnelle, émotionnelle, en équilibre dans la société en somme.
Crise économique qui affole
Aujourd’hui, beaucoup de personnes peuvent dire qu’ils n’y comprennent plus rien : après le Covid qui mettait à mal la santé et le rapport social, voici l’économie qui s’emballe. A nouveau, on est des lapins pris dans les phares d’une voiture. On ne voit plus que ça (et les médias amplifient encore le phénomène) : on subit, on souffre, on a peur, on vacille. Le monde devient mouvant, anxiogène d’un côté et très ciblé sur un problème ou l’autre comme aujourd’hui sur l’inflation et le pouvoir économique. On ne fait plus que s’inquiéter du lendemain. A la limite, on réagit avec son cerveau reptilien et non avec son cortex préfrontal, zone plus développée qui peut raisonner davantage, élargir le champ de réflexion, cette partie du cerveau qui rétablit la majuscule à Humanité !
Heureusement, dans ce climat extrêmement déstabilisant, j’en conviens, parmi les nouveaux experts que sont les économistes, on en voit de plus en plus qui intègrent des valeurs de société bien au-delà du simple profit au sein des mécanismes économiques. Cela redonne ici du sens et le sens, c’est le tuteur de la santé mentale de chaque individu. Si l'humanité et une vision de durabilité éclairent le discours des économistes... il y a sans doute un peu d'espoir !
> Anne-Françoise Meulemans est médecin psychothérapeute, coordinatrice d' e-mergence et CentrEmergences . Chaque semaine, elle va aborder ici une question psy ou citoyenne que chacun pourrait se poser par rapport à soi ou à la société.