Est-il possible de travailler à temps plein avec un enfant en couple et d’être heureux ? La chronique psy-toyenne
C'est particulièrement difficile voire impossible car on est dans une équation dont on n'a aucune maîtrise avec trop de x,y,z,etc…: trop d’exigences contradictoires. La psychothérapeute Anne-Françoise Meulemans se penche sur le quotidien de nombreuses familles.
- Publié le 16-10-2022 à 11h14
- Mis à jour le 20-10-2022 à 10h53
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On véhicule actuellement un modèle sociétal difficilement compatible avec le bonheur. Pourtant, cette image perdure depuis plus de 50 ans !
Beaucoup de gens ne vont pas bien car trop d’injonctions quadrillent leur quotidien: Il faut travailler pour gagner suffisamment d’argent pour vivre, pour consommer, pour apaiser les frustrations générées par cette même société.Il faut aussi faire du sport, avoir une vie sociale, être présent pour ses enfants…Il faut être épanoui, être détendu, être ancré…tout en courant.
Las, c'est particulièrement difficile voire impossible car on est dans une équation dont on n'a aucune maîtrise avec trop de x,y,z,etc…: trop d’exigences contradictoires. Mais àqui profite le crime? Crime car il y a souffrance à grande échelle...La souffrance joue un rôle dans l’économie de manière directe ( la réalité peut être cynique: emplois dans la santé mentale, tout le business autour du Mieux-Être), et de manière indirecte : l'épuisement remplace à merveille le pain et les jeux de la Rome Antique, et est un magnifique anesthésiant, plus fort que les psychotropes.
Dans les années 50-70, aller bien voulait dire avoir du travail.La femme s’est battue pour accéder à un statut plus équitable.Avoir les mêmes droits, puis accéder aux mêmes professions, tout en gardant ses activités familiales (l’éducation, ‘tenir sa maison’, les repas, les navettes…), puis trouver un équilibre plus juste avec une redistribution des rôles tant pour elle que pour l’homme.
Les femmes ont sacrifié beaucoup de choses dans ce combat légitimeAujourd’hui, la question de l’épanouissement personnel prend plus de place. Mais l’épuisement touche plus les femmes.Cet épuisement est inéluctable, au vu des tâches qui lui sont habituellement assignées, de manière explicite et implicite.
Même si on entre dans un modèle où les rôles sont de moins en moins genrés, de plus en plus revisités, il y a encore du boulot !Aujourd’hui, les pères contribuent davantage à l’éducation. L’homme ne peut plus s’investir dans le travail comme il le faisait auparavant et la charge mentale se répartit de manière un peu plus équilibrée.
Cette redistribution progressive des rôles modifie lentement la structure de la société.Trop lentement car les exigences économiques sont tellement prégnantes qu’on sacrifie notre présent, notre quotidien, pour des lendemains futurs hypothétiques et au travers d’une accumulation de biens et d’objets.
Derrière ça, il y a aussi la peur de la mort, de la fin, du vide.On compense cette peur par du remplissage de consommateur: on remplit son caddie !Le modèle économique est tellement fort qu'il est difficile de s'en distancier.Tous nos collègues et nos pairs fonctionnent de la même manière.On fonctionne par miroir et par mimétisme et se démarquer d'un modèle sociétal est particulièrement difficile.
En tant que psy, notre rôle est aussi d'avoir une approche plus méta, donc de ne pas simplement regarder la personne en face de nous mais d'essayer de comprendre quel symptôme de la société elle porte en elle.
Nous n'avions pas de burnouts avant, par exemple. C'est vrai que nous n'avions pas de psy.
Les souffrances des patients sont des indicateurs des dysfonctionnements de la société. Pour moi il y a vraiment un modèle sociétal de croissance à l'extrême qui sous-tend ce phénomène de burnout.
La décroissance est un thème très à la mode.Je pense sincèrement qu'un certain niveau de décroissance est nécessaire et fera du bien. Là, on travaille trop, on s'épuise au travail pour gagner beaucoup d'argent mais tout ce qu'on gagne c'est de l'épuisement.
Il y a également un déséquilibre entre ceux qui travaillent trop et ceux qui n'ont pas de travail, entre ceux qui gagnent trop, et ceux qui n'ont rien.
Ce sont des enjeux de société qui doivent être priorisés. > Anne-Françoise Meulemans est médecin psychothérapeute, coordinatrice d' e-mergence et CentrEmergences . Chaque semaine, elle aborde ici une question psy ou citoyenne que chacun pourrait se poser par rapport à soi ou à la société.