Être heureux ou content pour se sentir heureux ? La chronique psy-toyenne
La notion de bonheur est très ambitieuse, effrayante même. Alors que le contentement semble bien trop humble, petit bras ! Pourtant, dans cette joyeux chronique; lla psychothérapeute Anne-Françoise Meulemans plaide pour une revalorisation du sens de ce mot, à l’heure de la décroissance...
E.W.- Publié le 20-11-2022 à 09h00
- Mis à jour le 21-11-2022 à 10h54
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Imaginez : vous vous réveillez le matin avec un peu de temps devant vous et vous vous demandez : est-ce que je suis heureux ? Eh bien je dirais qu’heureusement que vous êtes dans votre lit parce que la tête pourrait très vite vous tourner : par où commencer, comment le savoir, est-ce que tous mes feux sont au vert ? Non ! Peu probable... L'évocation du bonheur peut déclencher une brève introspection avec un arrière goût amer de non-bonheur, de non accomplissement
Petite mise en situation: les fêtes de Noël et de fin d'année qui pointent leur bout du nez . . Mais pour tous ceux qui n'arrivent pas à se projeter dans cet environnement qui brille de mille feux et est nourri de bons sentiments, c'est une période redoutée qui leur fait vivre leur différence, le fait d'être hors coup, marginal, ne rentrant pas dans le cadre étroit de cette image d’Épinal : tout cela sent le blues ...
Se contenter du contentement
Et si, au lieu de vouloir être heureux, on se contentait d’être content ? Pouvoir être content semble plus accessible, c'est juste quelques pas plus loin, au coin de la rue. On peut être content tout court ou content de quelque chose, de quelqu’un, d’une situation. Le concept est a la fois concret et sans orgueil. Le problème c’est que, comme "être gentil" (qui est revalorisé depuis quelques années, ouf), "être content" vous a un petit air benêt, une peu misérable, comme du bonheur bon marché, qui ne vaut pas le coup de s’y attarder ! C’est un terme corrompu, même le verbe est péjoratif : il se contente de peu, elle se contente de trois fois rien, de pas grand-chose… Pourtant, le "contentement" peut aussi être compris en son sens premier, beau et n'a rien à envier au bonheur, philosophiquement parlant. Car, quand on y pense, celui qui se contente de peu a beaucoup plus de chance d’être heureux. Il n’extrapole pas son bonheur, il le vit, au moment présent en quelque sorte. Il profite du moment.
On devrait faire d'"être heureux" un verbe pronominal : "s'heureuriser", comme s'enivrer : cela dégonflerait bien le côté pompeux et obligatoire (et donc culpabilisant) de ce terme !
Cela vous paraît sorti de nulle part, des propos WTF ? Détrompez-vous : nous sommes piégés, articulés par les mots, comme les marionnettes suspendus par les fils. Ils structurent notre pensée . Et comme dit Descartes, "je pense donc je suis" ! Pour moi, "être heureux" est un état statique, quasi inatteignable alors que "se contenter" nous renvoie à notre responsabilité vis-à-vis de nous. On devrait faire d'"être heureux" un verbe pronominal : "s'heureuriser", comme se contenter, s'enivrer : le résultat, verbe hybride qui aurait l'étoffe du bonheur allégée de la douceur du contentement . Il est non seulement question d'un état mais aussi d'un passage à l'acte .
Ni le Petit Robert, ni le Larousse n’ont adoubé ce verbe, on se contentera donc d’être content, avec satisfaction. Et on sera totalement prêt à passer au travers des Black Friday et autre Cyber Monday en toute "décroissance" puisque l’on sera content de ce que l’on a. Et voici le "trois fois rien" upcyclé en moment de bonheur garanti ! Pas besoin de surconsommer, l'objectif bonheur qui semble lié aux achats effrénés voire compulsifs se retrouve ranger dans la caisse des objets qui une fois acheté ont perdu très rapidement leur pouvoir magique de rendre heureux pour laisser place au contentement du pas grand chose. N'est ce pas la que se trouve la magie de l'instant, du détail et surtout vendus magie du regard que l'on porte autour de nous...
Dans la grande demeure qu'est le monde que nous habitons, la porte d'entrée somptueuse qui semble mener au bonheur est source de désillusions une fois la porte franchie, avec la violence du mirage qui se dissipe lorsque l'on s'approche de lui. Mais, pour un observateu un peu curieux et explorateur il y a a l'arrière de cette demeure, une toute petite porte de service à découvrir, avec un joli fronton aux lettres malhabiles qui indique "contentement" et voilà qu'on est dans la place. Alors heureux ? Je ne sais pas... mais merveilleusement content, c'est bien possible ! Et il n'y a rien de mieux...
> Anne-Françoise Meulemans est médecin psychothérapeute, coordinatrice d' e-mergence et CentrEmergences. Chaque semaine, elle aborde ici une question psy ou citoyenne que chacun pourrait se poser par rapport à soi ou à la société.