Les sorties cinéma de la semaine : coup de cœur pour l'éblouissant The Whale, coup de gueule pour La syndicaliste
Avec l’aide de Brendan Fraser, Darren Aronofsky signe un portrait d’une humanité bouleversante.
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Publié le 07-03-2023 à 16h00
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The Whale : attendez-vous à sortir de la salle la gorge nouée par tant de beauté intérieure.
Certains films marquent les esprits à tout jamais. Comme E.T., Alien, Forrest Gump, Star Wars, Le Seigneur des anneaux, Le Parrain, Il était une fois en Amérique ou Gran Torino, par exemple. Une liste évidemment bien plus longue et personnelle (chacun y mettra ses propres références cinématographiques), à laquelle il faut ajouter The Whale.
Darren Aronofsky y signe un portrait d’une humanité bouleversante, celui de Charlie, un colosse d’une obésité à ce point sévère que ses jambes ne lui permettent plus de sortir seul de son fauteuil ou de marcher sans l’aide d’une tribune. Son appartement constitue désormais son seul horizon. Ses cours de littérature, il les donne de chez lui, via son ordinateur, en prenant bien soin de couper sa webcam afin de rester invisible. Et pas seulement aux yeux des étudiants. Personne ne franchit jamais le seuil de sa porte. À part Liz, une infirmière au franc-parler assez sec qui l’adore au point de faire toutes ses courses, sa fille très en colère qui lui rend visite pour la première fois en huit ans et un jeune évangéliste persuadé que sauver son âme constitue sa vraie mission.
Sur papier, l’histoire peut paraître rébarbative. À l’écran, elle se révèle troublante, passionnante, introspective, déchirante. Car cet homme délicat, d’une immense culture, à l’esprit brillant, féru de poésie, d’un optimisme énervant pour Liz, ne s’est pas réfugié dans la nourriture par hasard. Sa femme et sa fille, il les a quittées pour un de ses étudiants dont il est tombé follement amoureux, sans pouvoir le sauver de sa dépression mortelle. Par amour, il a tout plaqué. Et tout perdu. Sauf l’espoir d’aider ses élèves à être eux-mêmes et de laisser quelque chose en héritage à sa fille qui le déteste.
En accentuant au maximum la singularité de Charlie, le réalisateur de Black Swan, Requiem for a Dream, Pi ou The Wrestler parvient à le rendre universel. Impossible de ne pas être touché par cet homme incapable de se remettre de la perte de son grand amour, raccroché comme à une bouée de sauvetage à la seule chose qui lui fait du bien, la nourriture, dont la conception de l’élégance consiste à cacher sa honte et sa douleur derrière l’humour et l’empathie, toujours désireux de donner un sens à sa vie même si la religion et la philosophie ne lui sont d’aucun réconfort. C’est sûr, nous sommes tous Charlie, de par sa capacité à continuer à trouver la vie belle malgré les coups du sort, son désir de se surpasser pour ceux qu’il aime, son autodérision, sa tolérance, sa résilience, son cœur bien plus énorme que son ventre.
Cet homme-là, tellement beau à l’intérieur, ne peut que bouleverser et amener à porter un regard plus empathique sur les (belles) différences. Brendan Fraser l’incarne de manière lumineuse, simple, émouvante, sans cacher le moindre défaut, la plus petite faille, même choquante. À la fin de la projection, attendez-vous à avoir la gorge nouée et à éprouver les pires difficultés à retenir vos larmes. The Whale n’a pas échoué : c’est totalement remué par tant d’humanité, de profondeur et d’intelligence émotionnelle qu’on sort de la salle. Un énorme coup de cœur.
La syndicaliste : une histoire vraie où tout sonne faux
”Il faut trois choses pour faire un bon film : d’abord une bonne histoire, puis une bonne histoire, et enfin une bonne histoire.” Cette citation célèbre de Jean Gabin, Jean-Paul Salomé a tenté de la faire sienne avec La syndicaliste, en s’attaquant à un drame authentique qui semblait tenir du fait divers crapuleux dans un premier temps, avant de ressembler furieusement à un scandale d’État.
En 2012, Maureen Kearney (incarnée par Isabelle Huppert), une représentante syndicale d’Areva, le fleuron du nucléaire français contrôlé par le gouvernement, est retrouvée chez elle ligotée, une lettre A scarifiée sur son ventre, violée avec un couteau retrouvé entre ses jambes. Pour elle, l’agression est liée à ses dénonciations concernant des accords secrets passés entre l’entreprise et la Chine. Mais l’enquête tourne rapidement en sa défaveur, tout le monde la lâche, et elle finit par se retrouver sur le banc des accusés pour “dénonciation mensongère”.
Les faits sont réels. Horribles. Révélateurs d’une culture politique pour laquelle seul l’argent compte, pas les employés. Choquants. Mais présentés de manière tellement caricaturale qu’ils sonnent faux. Dès le départ, dans une filiale hongroise, Maureen Kearney, très sûre d’elle (”Je n’ai pas l’habitude de faire des promesses en l’air”, alors qu’elle ne possède aucun pouvoir), ressemble plus à Zorro qu’à une représentante du personnel. Et cela se confirme par la suite : en mode bulldozer, elle alerte les ministres et députés, fait trembler de rage sa direction, s’impose dans un conseil d’administration tout en balançant des répliques artificielles, du style “Vous me connaissez, je ne lâche jamais rien” ou “Pourquoi ralentir ? Je n’ai jamais roulé vite”.
Tout, dans les dialogues, les descriptions, les relations entre les protagonistes, manque furieusement de subtilité, de non-dit, d’humanité, d’émotion. Chacun reste cantonné dans un rôle bien plus emblématique que crédible, avec une froideur désespérante ou une colère permanente peu compatible avec les fonctions exercées. Dans ce contexte désastreux, Isabelle Huppert, Marina Foïs, Yvan Attal, François-Xavier Demaison ou Grégory Gadebois ne parviennent jamais à faire vibrer les cordes sensibles. Ils ne sont pas aidés, il est vrai, par une intrigue, ultraprévisible, tellement cousue de fil blanc qu’on s’en désintéresse totalement.
La tentative de Jean-Paul Salomé de remettre à l’honneur les grands films politiques dénonciateurs comme dans les années 60 et 70 est louable en soi, mais trop obnubilé par la véracité des faits, il en a oublié de rendre ses personnages attachants, intéressants, ou de construire un véritable thriller basé sur des rebondissements palpitants et interpellants. Avec un tel matériau de base et ce casting-là, il est assez incompréhensible d’en arriver à ce traitement caricatural et ennuyeux. Une vraie catastrophe.