Jérémie Renier : “Je suis très heureux dans ma vie, mais il m’est arrivé de fantasmer de tout quitter”
À l’affiche d’Ailleurs si j’y suis, il tourne actuellement un documentaire en Arctique pendant deux mois et demi.
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Publié le 14-03-2023 à 15h30 - Mis à jour le 14-03-2023 à 15h47
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Le hasard fait souvent bien les choses. Au bon moment. En lisant le scénario d’Ailleurs si j’y suis, sur le choix d’un homme speedé, débordé par la vie, de tout arrêter et de se mettre en pause seul le long d’un étang en forêt, Jérémie Renier s’est directement senti énormément de points communs avec Mathieu. Tourner ce film devenait donc une évidence, malgré un emploi du temps chargé. “J’ai immédiatement perçu ces questions qu’on se pose tous à un moment : où vais-je ? Est-ce que ce que j’ai mis en place me convient réellement ? Est-ce que je suis heureux ? Qu’est-ce que c’est qu’être heureux ? À partir de là, on ouvre une porte assez lourde, mais intéressante, celle de l’introspection. Avant ça, on est dans un magma de vie avec le quotidien, le boulot, la famille. On se laisse embarquer sans plus se poser de question. Et puis un jour, on ressent un élan, l’envie de changer de vie. Ce film est vraiment dans l’air du temps, il reflète bien notre mode de vie où il faut toujours avancer tête bêche, travailler, faire ci ou ça parce que c’est censé amener au bonheur.”
Est-ce une question d’éducation ?
”Chez moi, ce n’était pas comme ça. Mais la société et l’école nous éduquent de la sorte : il faut avoir des bons points en classe, être parmi les meilleurs pour pouvoir accéder à des niveaux supérieurs : c’est la recette vers une vie pyramidale où on essaie d’accéder au sommet en pensant que là-haut, on sera heureux. Moi, je suis un exemple un peu à part : je suis tombé dans le cinéma très jeune. J’étais très malheureux à l’école et j’ai dû réapprendre à apprendre à 40 ans. Avant ça, c’était lourd. L’échappatoire qui m’amenait vers une passion, je ne l’ai jamais perçue comme un métier à part entière. Je n’ai pas cette quête de réussite absolue, même si j’avais envie d’être un acteur accompli, de pouvoir tourner avec certains metteurs en scène ou de décrocher des rôles importants. Je ne sais donc pas trop quoi dire à mes enfants, entre ma crainte pour eux de survivre dans ce système et l’envie qu’ils prennent le chemin qu’ils désirent d’emprunter. je suis plutôt tenté par la deuxième solution, mais parfois, je suis inquiet pour mes enfants en me demandant s’ils sont au bon endroit, si ça va aller pour eux.”
C’est un film sur l’effet papillon, et votre personnage fait le battement d’ailes…
”C’est joli. Et vrai. Par son action, il amène les autres à changer, à prendre des décisions importantes. C’est ça que je trouvais intéressant dans ce film. Une seule personne fait un choix de vie qui paraît loufoque ou fou et, par un effet domino, cela a des répercussions sur tout le monde. Exactement comme dans la vraie vie, même si parfois on n’a pas cette sensation, notamment en termes d’écologie quand on se dit que cela ne changera pas grand-chose de modifier nos habitudes. Pour moi, les petites choses peuvent en entraîner de grandes, tout comme une réflexion peut en générer plein d’autres en chaîne. On ne sait jamais jusqu’où ça ira, et cette idée me paraît très belle.”
Dans le film, on parle beaucoup de courage, sans nécessairement passer aux actes…
”C’est très difficile pour beaucoup de gens d’imaginer changer de métier ou de paradigme de vie. Surtout quand on a des habitudes rassurantes. Et puis, cela dépend d'où l’on place le courage. Certains gravissent des sommets comme l’Himalaya puis n’y arrivent pas dans leur vie de tous les jours. Dans le film, mon personnage ose changer parce qu’il est tellement en bout de course que c’est soit ça, soit se pendre ou tomber en dépression. Alors que d’autres restent au niveau du fantasme, se sentent prêts à tout jusqu’au moment où ils se rendent compte que ce n’est pas ça qui les rendra plus heureux. On a tous vécu ça. Moi, j’ai eu des enfants très jeune, et même si je suis très heureux de ma vie, il m’est arrivé de fantasmer de tout quitter, de recréer une autre vie, de pouvoir repartir à zéro. Cela me fascine et ça fait peur en même temps.”
Vous avez déjà ressenti dans votre carrière l’envie de vous arrêter, de prendre du recul ?
”Oui, bien sûr. Encore plus ces dernières années. C’est important. Le monde nous amène à une forme d’introspection, de réflexion sur nos actes, nos actions, sur là où on va, sur qui on est. Ce moment d’arrêt est intéressant. Mon personnage s’octroie cette pause, sans téléphone, sans travail, sans rien. Dans notre monde, et moi le premier, on est en permanence en train de courir derrière le temps, pour faire un tas de chose, alors, s’arrêter, c’est salutaire, même si c’est très difficile. Quand on ne fait rien, on a l’impression de s’embêter : on prend son téléphone, on meuble le silence.”
Vous n’arrivez pas à ne rien faire ?
” Si, je m’y oblige parfois. C’est compliqué car je suis un suractif, j’ai toujours des idées, des envies, il faut s’occuper des enfants, faire d’autres choses à côté. De plus en plus souvent, je me dis : 'Demain, je ne fais rien' (rire). Comme si c’était une mission impossible. Notre société n’est pas conçue pour ça.”
Vous ouvrez peu la bouche à l’écran…
”J’aime beaucoup les personnages peu bavards. Cela laisse plus de place au corps. Dans la vie, j’aime aussi le silence, je ne ressens pas le besoin de faire des phrases. J’aime la parcimonie des mots.”
Autre thème important d’Ailleurs si j’y suis : la reconnexion à la nature. Cela vous parle ?
”Oui. Je vis la moitié du temps entre la Belgique et l’Espagne, et dès que je peux, je vais m’égarer dans la nature. C’est une source de paix, de tranquillité. En contact avec le vivant, on prend conscience de qui on est, du fait qu’on est peu de chose alors qu’on se croit parfois très important.”
Sept ans après Carnivores, peut-on s’attendre à un retour derrière la caméra ?
”Oui. Je tourne un documentaire pour l’instant. Je pars en Arctique pendant deux mois et demi pour un documentaire sur une quête initiatique, celle d’un explorateur qui le traverse de l’Océan Arctique à l’Océan Atlantique. Là, il fait moins 60 degrés. Cela va être une fameuse expérience.”