Sorties cinéma : le grand vainqueur des Oscars de retour en salle à côté du désopilant "Mon crime" de François Ozon
Autres sorties cinéma cette semaine : "Ailleurs si j’y suis", une réflexion sur notre rythme de vie avec Jérémie Renier, et le film d’animation très original, "Interdit aux chiens et aux Italiens".
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Publié le 14-03-2023 à 13h56 - Mis à jour le 14-03-2023 à 14h10
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Mon crime : une comédie pétillante, pleine d’esprit et de situations cocasses.
Après l’hermétique et insupportable Peter von Kant, François Ozon change radicalement de registre avec une comédie légère, pétillante, pleine d’esprit et de situations cocasses, Mon crime. Tout commence par la mort par balle d’un producteur lubrique, une sorte d’Harvey Weinstein des années 30, M. Montferrand. L’enquête menée par l’inspecteur Brun (Régis Laspallès, délicieusement rétro) débouche rapidement sur l’arrestation d’une jeune comédienne totalement inconnue du grand public, Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz, parfaite d’ingénuité). Pour le juge d’instruction le plus incompétent de Paris, Gustave Rabusset (Fabrice Luchini, hilarant), désireux de faire oublier ses erreurs judiciaires précédentes, l’affaire est entendue. D’autant qu’après avoir nié, sur le conseil de son avocate et colocataire Pauline Mauléon (Rebecca Marder, pleine de fraîcheur et de roublardise), l’actrice décide de reconnaître les faits et de plaider la légitime défense pour protéger son honneur. Une manière comme une autre d’atteindre la célébrité…
Traité sur le ton de la fausse naïveté, comme s’il s’agissait d’un vaudeville enchaînant tambour battant les bons mots et les situations aussi croustillantes qu’improbables, ce “feel good movie” enlevé et inspiré, éblouit par ses décors art déco sublimes (notamment la villa Empain à Bruxelles ou l’Hôtel de ville de Charleroi), rafraîchit par l’optimisme gentiment roublard de Madeleine et Pauline, séduit par ses dialogues ciselés, épate par son casting haut de gamme (Isabelle Huppert en diva sur le retour, Dany Boon en richissime… Marseillais, André Dussollier en grand industriel aux principes stricts, Myriam Boyer en concierge langue de vipère ou Olivier Broche en assistant impertinent du juge Rabusset) dont le jeu, juste exagéré ce qu’il faut pour apporter le décalage humoristique sans tomber dans la caricature, constitue un vrai régal.

Cerise sur le gâteau, si le ton rappelle les comédies d’avant-guerre, le rythme virevoltant et les thématiques sont, par contre, très actuels. François Ozon profite de chaque situation incongrue pour faire valoir les droits des femmes (des plaidoiries magistrales au tribunal, notamment), dénoncer l’absurdité d’une époque où elles ne pouvaient voter ni posséder de chèque sans l’accord de leur mari. Au passage, il égratigne les producteurs qui abusent des comédiennes, l’injustice de la gloire et rend hommage à l’esprit féminin, plein de sel et de saveur. Au final, 1 h 42 d’amusement, de dépaysement et d’éblouissement. On en sort un grand sourire aux lèvres, des images inoubliables plein la tête (notamment les regards offusqués de Fabrice Luchini) et avec le sentiment que le cinéma, à ce niveau-là, reste un pur plaisir.
Everything Everywhere All at Once : le triomphateur des Oscars ressort en salle ce mercredi
Comme Everything Everywhere All at Once vient d’emporter sept Oscars et bénéficie dès lors ce mercredi d’une nouvelle sortie en salle, voici la critique que notre collègue de La Libre, Hubert Heyrendt, a publiée le 20 juillet 2022.
Sino-Américaine, Evelyn Wang (Michelle Yeoh) tient une laverie automatique avec son mari (Ke Huy Quan) dans une petite ville états-unienne. La quinquagénaire voit son monde peu à peu se fissurer : sa fille Joy (Stephanie Hsu) est en couple avec une femme, son vieux père (James Wang) débarque de Chine, son mari demande le divorce, tandis qu’elle a un important rendez-vous avec une inspectrice du fisc particulièrement retorse (Jamie Lee Curtis). Et, comme si cela ne suffisait pas, la voilà plongée dans une réalité parallèle, où on la somme de sauver le monde de l’infâme Jobu Tupaki, qui n’a d’autre ambition que d’attirer dans le néant tout l’univers et même le multivers….
Duo de clippers connu sous le nom des Daniels, les Américains Daniel Kwan et Daniel Scheinert se retrouvent, après Swiss Army Man avec Paul Dano en 2016, à la barre d’un second long métrage totalement dingue. Boursoufflé de références (de Matrix à 2001, l’Odyssée de l’espace, en passant par In the Mood for Love), Everything Everywhere All at Once tente une synthèse improbable entre les cinémas chinois et hollywoodien.
Produit par les frères Russo (les réalisateurs des Avengers : Infinity War et End Game ou de The Gray Man, en salles depuis mercredi dernier et sur Netflix à partir du 22/7), le film emprunte aussi bien au cinéma américain des années 1980 qu’aux films de Bruce Lee, pour proposer une virevoltante comédie de science-fiction/kung-fu dans l’esprit de Matrix. Sauf que, malgré la débauche d’effets spéciaux et de mise en scène, il s’agit ici d’aborder, non pas des questions pseudo-métaphysiques, mais le quotidien et le ressenti d’une famille sino-américaine, partagée entre ses origines et son pays d’adoption.
Si l’on est d’abord ébloui par la mise en scène ébouriffante, par la débauche de trouvailles, de clins d’œil ou de scènes de comédie irrésistibles (et parfois assez trash), par le montage savant, Everything Everywhere All at Once pèche par sa longueur. Pas sûr, en effet, qu’il fallait étirer sur près de 2 h 20 la bonne idée de départ. Et ce, malgré la présence magnétique de Michelle Yeoh et de toute l’aura de sa carrière passée, avec laquelle le film joue intelligemment. Après une heure, les Daniels commencent en effet à patiner un peu, peinant à se renouveler et finissent par nous perdre dans les méandres de leur multivers, bien éloigné de celui du MCU…
Ailleurs si j’y suis : une comédie belge sur le sens du travail et l’aspiration à changer de vie
Courir après le temps, voilà tout ce que fait désormais dans l’urgence Mathieu Poncin (Jérémie Renier). Son patron magouilleur (Jean-Luc Bideau) s’est engagé à respecter des délais irréalistes pour un chantier, les ouvriers trop peu nombreux n’en peuvent plus, sa femme Catherine (Suzanne Clément) réclame le divorce et son père hypocondriaque (Jackie Berroyer) voudrait le voir toujours plus même s’ils n’ont rien à se dire. Une vie de dingue, dans laquelle il tourne littéralement en rond (même sur sa tondeuse), qui lui paraît soudainement totalement absurde lorsqu’il suit un cerf dans la forêt jusqu’à un étang.
Onze ans après Mobile Home, le cinéaste bruxellois François Pirot repasse derrière la caméra avec une comédie dramatique contemplative originale, qui mise plus sur la réflexion que sur l’incongruité des situations. À travers les choix ou les envies de Mathieu, de Catherine et de leur glandeur de voisin (Samir Guesmi), il amène à s’interroger sur le sens du travail, l’aspiration à changer de vie, l’envie de se reconnecter à la nature, la folie des rythmes de vie actuels, les faux-semblants, la difficulté de se sentir épanoui dans un monde sous pression constante, les contraintes acceptées par confort, les jobs alimentaires ou les rêves oubliés. Le tout confronté à une dure réalité : aurait-on vraiment le courage de tout changer face aux contraintes matérielles et aux conséquences humaines que cela engendrerait ?
Plutôt lourd sur papier, le sujet est heureusement abordé avec légèreté, sans morale bien-pensante ni traits trop forcés, avec même une pointe de surréalisme. De quoi jeter un regard introspectif ou dans le rétroviseur avec un peu de recul et de bonne humeur en compagnie d’acteurs au naturel épatant.
Interdit aux chiens et aux Italiens : un film d’animation pour adultes sur l’immigration
Derrière ce titre évocateur et véridique se cache le projet cinématographique le plus original et le plus personnel vu depuis longtemps en animation. Le réalisateur Alain Ughetto, dont on voit la vraie main en interaction avec les poupées illustrant ses ancêtres, interroge sa grand-mère Cesira sur l’histoire de sa famille et les raisons pour lesquelles elle a quitté le village d’Ugheterra pour venir creuser des tunnels, construire des barrages ou des routes en France. En découle un récit tellement particulier qu’il en devient symbolique de toute l’immigration, et pas seulement italienne.
Confrontés à la misère, la faim, le froid, des conditions de logement minimalistes, le grand-père Luigi Ughetto et ses frères acceptent tous les travaux, souvent les plus durs, pour améliorer l’existence de toute la famille. Et cela, même si la guerre, les décès, le racisme (d’où le titre, tiré d’un panneau qui serait d’abord apparu en Belgique, affiché à l’entrée de certains commerces), le fascisme, les longs déplacements et les dangers liés au boulot peuvent rendre leur situation encore plus précaire.
C’est percutant mais abordé sous un angle tellement humain que les images en deviennent surtout interpellantes, presque émouvantes. Le seul bémol tient en ce qui fait aussi la force de l’œuvre : l’animation en stop motion. La texture très “plasticine” de personnages, leurs déplacements évoquant le cinéma muet et leur aspect peu réaliste donnent à l’ensemble un côté plutôt enfantin, alors que l’histoire, elle, avec ses moments très durs, s’adresse à un public adulte. Un décalage de nature à dérouter les spectateurs.