Notre rencontre avec Jean Dujardin: “La vie, c’est essayer d’éviter les emmerdes”
Son grand rêve: traverser seul la France à la marche. Ce qu'il fait dans "Sur les chemins noirs", qui sort en salle le mercredi 22 mars. Rencontre avec un acteur qui évoque ses peurs, ses questionnements philosophiques et son envie d'incarner Zorro.
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Publié le 20-03-2023 à 16h57 - Mis à jour le 20-03-2023 à 18h15
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En parcourant les rues parisiennes juste au lever du jour, vous pourriez croiser par hasard Jean Dujardin, au détour d’un monument historique. “C’est la meilleure heure pour arpenter la ville, la lumière est merveilleuse”, lâche-t-il très sérieusement. Tout comme l’architecture, la marche fait en effet partie de ses grandes passions. Ce qui l’a poussé à se lancer à corps perdu Sur les chemins noirs, une randonnée longue de 1 300 km, du Sud au Nord de la France. “Ce film est le teaser de ce que j’aimerais faire. Ce projet tombait bien, avec le récit de Sylvain Tesson, son verbe, dans des régions que je ne connaissais pas, qui m’ont permis de découvrir et de ressentir pleine de choses. En plus, c’est un petit tournage, à petit budget : il n’y avait donc pas de risque, uniquement du positif. Pour moi, la marche est très intime. J’ai été scout de 13 à 17 ans, j’ai toujours aimé ça, je ne suis pas anachronique dans ce projet, je l’attendais. J’écrivais d’ailleurs un projet que j’avais intitulé Sac à dos. Ici, je ne marchais que quelques kilomètres par jour. Dans le futur, je le referrai, mais par étapes. Par exemple dans le Cantal pendant une dizaine de jours. Je ne partirais pas dans le bizarre tout de suite (rire).”
Avec quelle attente ?
”Le plaisir absolu de me retrouver tout seul pendant huit heures, de marcher et de me dire que j’ai le temps de faire une sieste là, de sortir du grand vacarme, à mon rythme, à mes horaires, selon mes envies, avec ma couche, mon sol. Ce qu’on ne s’offre jamais avec notre schéma familial, sociétal, éducatif. Ce sont des repères, il en faut, mais là, on a la possibilité de vivre comme un bipède voici 200 000 ans. Seule différence : au lieu de chasser, on a de la bouffe lyophilisée (rire).”
"Je suis un père de famille, un mari, un acteur, mais je ne sais pas véritablement qui je suis"
Avec votre statut, vous ne pouvez pas imposer votre rythme de vie ?
”Je le fais déjà. On ne m’impose rien. Je tourne si je veux. C’est ça le vrai luxe, pas le pouvoir : avoir la possibilité de ralentir, de se planquer, de se montrer, de s’amuser. Je suis un père de famille, un mari, un acteur, mais je ne sais pas véritablement qui je suis. Je pense que personne ne peut répondre à ces deux questions : qui suis-je ? Suis-je heureux ? Moi, je ne peux pas répondre à ça. On a quelques pistes, des parfums qui ressemblent à quelque chose d’agréable. Oui, par rapport à la moyenne, je suis heureux. Mais suis-je véritablement heureux ? Est-ce que ce n’est pas l’imbécile qui est le plus heureux, celui qui ne pense pas ? Est-ce qu’on ne pense pas trop ? Est-ce que je réfléchis bien ou peu ? Je ne le sais pas. “

Le film permet aussi de faire de belles rencontres dans la France profonde…
”Il ressemble à la vie : on vit seul, on meurt seul, on traverse l'existence seul et de temps en temps, on fait des rencontres. La vie, c’est quand même ça, et essayer d’éviter les emmerdes. Ce ne sont donc pas nécessairement des moments heureux, mais des moments sans emmerdes, ce sont déjà des jolis moments. Dans le film, ce qui est intéressant, c’est de se reconnecter à la nature, de parfois s’éloigner des commentaires, du bruit inutile, de prendre ces chemins noirs, pas encore recouverts par les ronces mais qui ont été très peu foulés. Ils permettent de se dire qu’il y a encore de l’espoir, qu’on peut encore se frayer son chemin dans un paysage un peu vierge. “
C’est aussi le rejet de la modernité…
”Cela peut donner l’impression d’une pensée passéiste, pour laquelle la modernité n’est que fatale, mais non, elle a fait de très bonnes choses. C’est comme opposer les villes aux villages : c’est une bêtise. Mais, et c’est une question que je pose -il n’y a rien de pire qu’un acteur qui donne des leçons-, est-ce qu’on n’est pas arrivé au bout de cette modernité ? Est-ce qu’on n’est pas dans la surconsommation ? La planète est en train de nous le dire : j’ai ramassé beaucoup de plastique sur les plages avec des enfants. Cette bouteille de plastique qui nous rendait service dans les années 60-70, elle vient polluer nos océans. Est-ce qu’on ne devrait pas refaire un peu marche arrière ? Mais on ne parvient plus à s’arrêter… Dans le film, au conditionnel, on se demande si le progrès n’est pas le développement d’une erreur. C’est une phrase intéressante. Très philosophique : ce n’est pas une phrase définitive, elle ouvre le débat. Souvent, on attend d’un film une évasion. Ici, il propose des allers et retours, pour réfléchir à son existence. J’aime bien ça aussi.”
Zorro, le héros de son enfance
L’écrivain célèbre que vous incarnez évoque les “bienfaits de la chute”. Vous le pensez aussi ?
”On aime bien dire ça après l’échec, mais non, l’échec ne fait pas plaisir. On peut le contrer. On peut tomber de pas trop haut, en faisant attention. Je n’attends pas un bel échec ! Par contre, j’anticipe. À 50 ans, je sais que mes rôles vont être différents et qu’il faut tenir tout une carrière. Je ne suis pas trop abîmé par ce métier, j’ai encore du plaisir à le faire, il me reste des choses à faire : la traversée est longue et j’espère bien ne pas être encore arrivé. Il me reste encore un bon tiers de la route… Je veux encore expérimenter, pour voir si je suis capable de le faire. Ici, c’était très physique. Et le corps, c’est ce qu’il y a de plus intime, il ne ment pas : on ne peut pas le contrôler, comme le visage ou les intentions.”
Cela correspond à une phrase du film sur la peur, non ?
”Oui, j’aime bien cette phrase : si la peur vient frapper à ta porte et que tu as le courage de l’ouvrir, tu verras qu’il n’y a personne derrière. J’ai vécu des angoisses très importantes, j’appelais ça l’heure bleue, à 19 h : avant, j’avais le cafard et il fallait que je me couche avant cette heure bleue. C’était le spleen, lié à l’enfance. L’angoisse arrivait, j’humanisais mes tourments, la peur frappait à la porte mais derrière, il n’y avait en effet personne. Un copain m’a donné ce médicament : 'Vu que tu as créé toi-même ton démon, tu peux le détruire'. Du jour au lendemain, je l’ai tué. Et l’heure bleue est devenue l’heure de l’apéro (rire).”
Vous allez jouer Zorro ensuite, dans une série ?
”C’est d’actualité. Dans un an, on devrait s’y atteler. C’est lié au souvenir de mes grands-parents qui venaient chez moi à Noël systématiquement, tous les ans, avec une panoplie de Zorro. Je ne voulais que ça, pas un déguisement d’Indien. J’en avais donc vraiment beaucoup.”
