Sorties cinéma : Jean Dujardin traverse la France seul à pied et un drame bouleversant sur l’inceste
”Dalva” et “Sur les chemins noirs”, deux films à voir cette semaine si vous aimez le cinéma plus introspectif ou qui vous retourne l’âme.
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Publié le 21-03-2023 à 15h08
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Dalva : un drame bouleversant sur l’inceste, vu par une fille de 12 ans en plein déni
C’est un film choc. Dont on ne sort pas indemne. Un drame filmé crûment, sans artifice, dont la violence du sujet retourne le cœur, les tripes et le cerveau.
Dès les premières images, Emmanuelle Nicot donne le ton. Dans une maison sombre, Dalva, une fillette de 12 ans, hurle de toutes ses forces sans qu’on comprenne immédiatement pourquoi. La police débarque en force, chamboule tout, la sépare de son père qu’elle ne veut absolument pas quitter. Cette arrestation, à ses yeux, est tout simplement incompréhensible. Ce papa, elle l’adore. Il la traite comme sa “petite femme”, la maquille, lui offre des tenues sexy, partage tout avec elle et l’emmène lors de ses innombrables déménagements. À ses oreilles, les mots inceste et enlèvement, prononcés par les juges, n’ont aucun sens. Ils la privent juste du grand amour de sa vie, du seul homme qui la traite comme une femme qu’elle pense déjà être.
D’abord sidérée de se retrouver placée dans une institution spécialisée, avec d’autres filles retirées à la garde de leurs parents, elle ne tarde pas à ruer dans les brancards, à remettre en question les règles et comportements imposés par les éducateurs, à se battre à l’école, à s’opposer à Zora la rebelle avec qui elle est forcée de partager la chambre, pour finalement n’accepter de faire des efforts qu’à la condition de pouvoir revoir son père.
La force de ce long métrage réside avant tout dans la manière de présenter la sexualisation des enfants et les abus parentaux. Car ici, la caméra reste scotchée à cette pré-ado totalement déboussolée, dont le monde s’effondre et qui se révolte contre un bouleversement qui la choque. En plein déni des faits, parce qu’elle n’a jamais rien connu d’autre, Dalva se révèle d’autant plus émouvante qu’elle n’a pas le sentiment d’être une victime. L’horreur de l’inceste, couplée à un lavage de cerveau systématique de sa jeunesse, n’en devient que plus percutante. Pour pouvoir évoluer, découvrir ce qu’aurait dû être son enfance si on ne la lui avait pas volée, Dalva va devoir se cogner aux murs de la réalité, apprendre à faire confiance à ceux dont on lui a toujours dit de se méfier pour se reconstruire petit à petit.
De par son style quasi documentaire de la mise en scène et sa volonté de rester au plus près du visage de Dalva, Emmanuelle Nicot cherche à faire ressentir la violence des émotions contradictoires qui déchirent Dalva, l’impact insidieux et durable de la manipulation par un adulte, les dégâts physiques et psychiques dont les traces ne s’effaceront jamais tout à fait et qu’il faut pourtant réparer. Magnifiquement porté par la jeune Zelda Samson, voilà un drame social dur mais interpellant et bouleversant. Les cinéphiles devraient en sortir secoués.
Sur les chemins noirs : Jean Dujardin se reconstruit en parcourant la France à pied, loin des sentiers battus
Dans sa chambre d’hôpital, Pierre, un écrivain à succès, se fait une promesse : s’il est de nouveau capable de marcher, après une chute terrible d’un balcon en état d’ébriété, il parcourra le pays à pied, seul, du Sud au Nord. Un défi fou, que ses médecins, ses amis ou son éditeur lui déconseillent totalement. Mais en dépit de la douleur et des défaillances d’un corps meurtri, rien ne peut l’empêcher de prendre les “chemins noirs”, ces sentiers, pentus, rocailleux, boueux, peu usités, loin des villes et de la modernité, qui serpentent à travers la France profonde. Un parcours de 1 300 kilomètres, émaillé de rencontres inattendues, de paysages grandioses ou de nuit sous la pluie, au milieu de nulle part.
Pour combler les longs moments de silence, le réalisateur Denis Imbert recourt à la voix off, moins pour trahir la pensée d’un homme à la recherche de ses valeurs perdues que pour dévoiler ses écrits philosophiques. Le ton littéraire apporte alors un contraste saisissant avec les discussions, simples et sans manière, lors des rencontres avec des paysans qui discutent des “néo-ruraux”, plus préoccupés par le wi-fi que par l’absence de crèche ou de magasin dans la commune rurale.
Par petites touches, grâce au jeu dépouillé et physique de Jean Dujardin, Sur les chemins noirs rame à contre-courant, fait l’éloge de la solitude ou de l’introspection, montre symboliquement qu’il est encore possible de quitter les voies confortablement balisées pour emprunter des chemins de traverse, s’attarde sur l’importance de prendre son temps face à un décor majestueux ou en compagnie d’une autre personne dont on ignore tout, amène chacun à se poser des questions sur le sens de sa vie et la direction vers un accomplissement personnel heureux.
Revers de la médaille : les marches solitaires possèdent forcément un petit côté répétitif, les monologues se perdent parfois dans des prises de tête passéistes et l’ensemble souffre de quelques longueurs. Jean Dujardin, en marcheur brut de décoffrage, têtu, pour lequel on n’éprouve que progressivement de l’empathie, livre par contre une prestation impressionnante, avec une grande économie de mots et beaucoup d’humanité. Ceux qui s’attendent à des facéties façon OSS 117 ou Brice de Nice peuvent continuer leur route, au contraire des admirateurs subjugués par ses performances dans J’accuse ou Novembre. Sur les chemins noirs n’a rien d’un divertissement. Cette promenade-là, il faut l’effectuer avec la volonté d’y mettre énormément de soi pour la savourer.