Musique: les dessous d’une profession sans le sou
Invité de LN Radio et de LN24, le producteur Manu Freson décrit sans tabou la réalité de la majorité des chanteurs et musiciens en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les riches se comptent sur les doigts des deux mains, les autres sont tous pauvres.
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Publié le 04-02-2023 à 16h40
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Le nom de Manu Freson ne vous dit peut-être pas grand-chose. Normal, il est ce qu’on appelle un homme de l’ombre. Mais vous connaissez certainement ceux pour qui il travaille : Doria D, Tanaë ou encore Coralien. Trois artistes qui creusent leur trou. Trois artistes en développement comme il les appelle. Son métier, celui de producteur, est de les rendre connus sur la scène belge francophone et même en France. Il le fait à travers sa société, G Major Records.
Il propose aussi des masterclass pour apprendre à ces artistes à tracer leur route dans un milieu qui est tout sauf facile, contrairement aux apparences, comme il l’a expliqué à Anne-Sophie Depauw et Philippe Deraymaeker dans la matinale de LN Radio et LN 24 ce vendredi 3 février. Cela fait dix ans qu’il est dans l’industrie musicale et des portes, il en a déjà pris dans la figure. “J’ai peut-être fait toutes les erreurs qu’il était possible de faire.” L’une des plus grosse, explique-t-il, est d’avoir fait tourner ses morceaux en boucle sur les plateformes de streaming pour booster ses chiffres. Trois ordinateurs les jouaient sans discontinuer. “Ça booste les chiffres, en effet. Mais c’est une catastrophe pour les algorithmes des plateformes. J’étais tellement content de mon coup en voyant les royalties tomber, que je me suis dit qu’il y avait là un business à faire. Mais Spotify m’a ensuite envoyé un mail indiquant que mon compte était supprimé pour cause de streams frauduleux. J’ai été pris à mon propre jeu…”
”Il n’y a pas de classe moyenne dans l’industrie musicale”
Cette expérience et celles tirées de ses autres erreurs, il les a réunies dans une masterclass. Cinq heures de vidéo dont le but est de rendre les artistes en développement les plus indépendants possible. “Un des points essentiels de cette formation, c’est de limiter au maximum la sous-traitance. Si on veut être un artiste indépendant, on a un petit budget. Il faut savoir l’optimiser, détecter les postes essentiels et ceux qui sont accessoires.” Car contrairement à ce qu’on peut penser, vivre de sa musique en Belgique, c’est tout sauf facile. C’est même réservé à une élite.
”Combien vaut un stream (une écoute en ligne, NdlR.) ?”, interroge Manu Freson. 0,03 centime de dollar ! “Un million de streams, cela rapporte environ 3 000 à 4000 dollars. Voilà…, constate-t-il. En Fédération Wallonie-Bruxelles, les artistes qui vivent de leur art se comptent sur les doigts de deux mains, pas plus. On pense à Angèle, Stromae ou Lost Frequencies. Eux gagnent des millions d’euros, il faut s’en rendre compte. Dans l’industrie du disque, il y a soit des artistes très riches ou des artistes très pauvres. Il n’y a pas de classe moyenne dans l’industrie musicale. On ne se rend pas compte combien produire une date de concert est cher. Au début de sa carrière, un artiste en développement va prendre un cachet de 1500 à 2500 euros. Mais pour ça, il faut payer toute une équipe. Au final, malgré des dates à répétition dans des centres culturels et dans des festivals, il n’y a pas grand-chose à partager entre l’artiste et le producteur.” Quant aux salles, elles ne sont guère nombreuses pour faire une tournée. Quatre ou cinq tout au plus. “Des artistes comme Typh Barrow et Loïc Nottet ont fait Forest National mais cela reste exceptionnel pour des Belges.” Bref, malgré les nombreux festivals organisés chez nous, la Fédération Wallonie-Bruxelles est un territoire très limité si on veut vivre de façon décente de sa musique, D’où la nécessité de passer par la France.
Des chefs d’entreprise
Sur LN Radio et LN24, Manu Freson a aussi tenu à tordre le cou à une idée reçue en prenant la défense des jeunes artistes actuels après le lynchage dont a été victime Pierre de Maere sur les réseaux sociaux après son passage dans l’émission Quotidien. “Généralement, quand de jeunes artistes passent en télé, cela génère des commentaires négatifs. On a lu que la musique de Pierre de Maere était médiocre et qu’il chantait mal. Angèle aussi est aussi souvent critiquée. On dit qu’elle chante mal. Mais les gens ne se rendent pas compte à quel point le marché de la musique a évolué. Aujourd’hui, ces artistes sont non seulement des interprètes, des performers, des auteurs-compositeurs, mais aussi de vrais chefs d’entreprise. Ils sont actifs à toutes les étapes du développement, de la création musicale à promotion en passant par la comptabilité. Ils font toutes les tâches.” Manu Freson les appelle des artipreneurs, de la contraction d’artiste et d’entrepreneur. “Il y a 20 ans, ajoute-t-il, les artistes allaient en studio et enregistraient leurs morceaux. Leur attaché de presse leur préparait un programme de promotion et c’était tout. Aujourd’hui, si les artistes ne passent pas 80 % de leur temps à gérer leur communauté, ils ne rempliront pas de salle.”
S’il n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui pour se lancer dans la musique, les moyens pour réaliser des productions d’excellente qualité dans sa chambre étant très accessibles et les tutoriels pour se perfectionner innombrables sur YouTube et TikTok, cela ne suffit cependant pas pour survivre. D’où l’idée de la masterclass développée par le fondateur de G Major Records. Il en propose d’ailleurs un gratuitement et sans engagement ce lundi 6 février. Il suffit de s’y inscrire via le site www.artipreneur.org.