Dans "Femmes en colère" de Mathieu Menegaux, la victime est sur le banc des accusés
Mathieu Menegaux revisite le procès d’assises avec, sur le banc des accusés, une femme qui s’est vengée de ses deux violeurs. Mais castrer n'est pas tuer...
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- Publié le 04-04-2021 à 14h41
- Mis à jour le 04-04-2021 à 14h40
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Sur le banc de la cour d’Assises de Rennes, en juin 2020, se tient Mathilde Collignon. Son procès est hypermédiatisé et pour cause : cette femme sans histoire, qui élève seule son enfant, a castré deux hommes qui l’avaient violée. Leur rencontre avait eu lieu sur un site spécialisé. Mathilde pensait n’avoir rendez-vous qu’avec un seul homme, ils étaient deux, ils l’ont forcée, salie, violée. Elle a dit non, elle a hurlé, ils ont continué. Alors Mathilde a décidé de se venger, en leur tendant un piège. Un peu de drogue dans leur verre, un scalpel et “zip”, c’en fut fini de leur virilité. Elle a tiré la chasse d’eau et elle est partie, bien consciente qu’elle se ferait arrêter et juger. De victime, elle est devenue coupable et c’est vers elle, aujourd’hui, que tous les regards sont braqués. Ceux de la presse, bien sûr, mais aussi celle des trois magistrats et des six membres du jury qui vont devoir trancher entre la punition et le pardon…
Après "Est-ce ainsi que les hommes jugent" (adapté pour France 2, et dont le tournage, avec Yannick Choirat et Ophélia Bolt, est bouclé) et "Disparaître", Mathieu Menegaux s’attaque à un sujet tellement sensible que les discussions avec son éditeur furent animées. Entretien.
Est-ce que vous pensez qu’il y aura deux types de lecture différents en fonction du fait qu’on est une femme ou un homme ?
“J’espère que non. Il y a déjà des producteurs qui veulent s’emparer de ce roman et ça a été un des premiers débats : est-ce que le réalisateur doit être un homme ou une femme ? Les producteurs avec lesquels on a eu les meilleures discussions, ce sont ceux qui ont dit “on s’en fout, il faut que ce soit un bon réalisateur”. Je suis très sensible à ça : j’ai la chance d’être dans un pays, la France, où je peux encore écrire dans la peau d’une femme sans me faire crucifier. Aux États-Unis, ce n’est pas possible. Comment voulez-vous que j’écrive un livre sur une femme agressée en étant un homme ? C’est de l’imposture… Vous avez vu l’histoire de Timothée de Fombelle ? C’est un auteur jeunesse, qui est publié partout dans le monde, qui a un succès fou, qui écrit un livre sur une petite fille de 12 ans, fille d’esclave. Pas traduit aux États-Unis sous prétexte qu’il n’est pas noir. Au secours… Dans les retours que j’ai, les femmes traversent ce livre avec plus d’émotions. D’empathie, de colère, d’énervement. Il y a plus d’oscillations. Mais on sait, vous et moi, qu’il y a plus de lectrices que de lecteurs !”
Vous étiez un peu à tous les postes dans cette affaire-là, donc, vous avez dû, aussi, composer un jury.
“C’était génial. Le narrateur de la partie du huis clos, sur le jury, c’est le président. Il regarde les jurés, il sent comment ils sont… Composer le jury, c’est le hasard puisqu’en France, on récuse peu. C’est vraiment sur le chemin entre le moment où on se lève et celui où on rejoint le banc du président que ça se décide. Les avocats ont dix, vingt secondes, pour vous récuser. Uniquement sur votre apparence physique, votre sexe, votre profession, votre âge. J’ai composé mon jury en écrivant les noms, les âges, les personnalités, les professions et je n’avais pas la moindre idée de ce qu’ils allaient raconter, ces braves gens. Je savais ce que j’allais faire dans chaque scène, mais je n’avais pas la moindre idée des dialogues. Les jurés se sont emparés de moi.”
Il y a quand même plus de femmes qui sont du côté de Mathilde, l’accusée, que d’hommes !
“C’est le reflet de la polarisation. Il y a des schismes irréconciliables : les Démocrates et les Républicains, les Européistes et les patriotes. On en arrive aux hommes et aux femmes. C’est d’une tristesse sans nom parce qu’on ne s’écoute plus et qu’on ne se comprend plus. Mais il y a beaucoup de choses qui nous y poussent. Même si je n’avais pas de parti pris au départ, je pense que les premières prises de position, radicalisent tout le monde, très vite. Et donc, ils deviennent des caricatures d’eux-mêmes. Lancez la discussion sur PPDA, à table et vous êtes partis sur un débat fort animé et sur lequel il y aura peu de gens qui vont trouver une position commune. On finira tous par dire “c’est compliqué”. Mais là, dans le livre, il faut trancher !”
Vous vous êtes bien fait plaisir à la fin de ce livre…
“Ah ouais ! En fait, le livre était fini – la fin, c’est trois lignes ! – mais je me suis dit que c’était mièvre, trop facile. Il manquait un truc. Et puis, je faisais de la corde à sauter, dehors quand l’idée m’est venue. Il suffisait de modifier quelques petites choses et ça marchait. Ce qui est très marrant, c’est que sur cette fin, mon éditeur a eu très peur. Deux filles ont dit à Olivier Nora qu’il allait se faire assassiner. Parce que ça dit que les femmes mentent systématiquement, et qu’une femme qui ment sur un viol, ça ne peut pas exister. Nora m’a appelé. Je lui ai rappelé que c’était de la fiction et que s’il ne voulait pas publier, je trouverai quelqu’un d’autre. Ça m’a foutu en rogne. Mais je n’ai pas une lectrice qui a gueulé. Au contraire, toutes me disent que ça les a “cognées” et que ça les a fait réfléchir. Mon éditrice m’a rassuré en me disant que ce que disait Adrienne – la jurée qui parle à la fin – c’est l’humanité qui s’exprime. Point. Elles parlent au nom de toutes celles qui ont été victimes. Qu’elle l’ait été ou pas, tout le monde s’en fout. On peut décider que ce sont toutes des menteuses, soit vous dites que la fin justifie les moyens et qu’elle ne pouvait pas prendre dix ans et qu’il fallait renverser le jury. Soit, vous montez au cran d’après et vous dites qu’évidemment Adrienne a été violée sauf qu’elle parle derrière les portes closes d’un jury protégé par le secret d’un délibéré et, quand elle sort, ça n’a jamais existé, je ne vois même pas de quoi vous voulez parler ma bonne dame… Je vous laisse l’éventail du champ d’interprétation.”
Vous remerciez une certaine Annick à la fin du livre, qui vous a fait découvrir cette histoire. Elle a donc existé ?
“Annick, c’est la femme de mon guide de haute montagne. J’ai inventé Mathilde mais l’histoire de départ, c’est Annick qui me l’a racontée. C’était très difficile de trouver un truc avec, comme mots-clés” viol”, “vengeance”, “castration”. Vous avez tous les “rape reveng” du monde, toutes les polémiques sur “faut-il castrer chimiquement les violeurs ?”. J’ai fini par trouver cette histoire en ajoutant le mot “vétérinaire”. Car la dame était vétérinaire. J’ai trouvé ça dans un “Brigade mondaine”, de la fin des années 70. C’est une étudiante vétérinaire qui termine première de son concours, à Prague. Elle veut annoncer la bonne nouvelle à ses parents à Brno et elle décide de faire du stop. Un camion s’arrête, à bord, deux routiers. Ils s’arrêtent pour faire la pause déjeuner qu’ils agrémentent de ce qui leur semble tout à fait naturel avec une jolie jeune fille. Donc, ils la violent pendant deux bonnes heures et, après, ils décompensent et la ramènent vraiment chez elle. Elle, pendant tout ce moment-là, se demande comment elle va se venger de ces deux enfoirés. Elle descend du camion et leur dit “Je suis toute seule samedi prochain, si vous voulez, revenez !”. Et les deux mecs sont revenus ! C’est ça qui est dément : comment peut-on être aussi con que ça ? C’est lunaire. Donc, ils sont revenus, elle les a drogués, elle les a castrés et elle a été condamnée à huit ans de prison en Tchécoslovaquie – à l’époque. Les deux hommes n’ont pas été condamnés parce que le juge a considéré qu’ils avaient été suffisamment punis. Mais ce que je voulais, c’était écrire un livre sur un jury. C’est lui, le héros de ce livre, ce n’est pas Mathilde. Je voulais qu’on sorte de “Douze hommes en colère”.
Et donc, vous amenez ça en 2020. Ce qui change tout puisque la manière dont elle rencontre ceux qui vont devenir ses violeurs, c’est un site de rencontre.
“Cela complexifie à dessein l’affaire ! Vous visualisez très bien l’affaire : après le viol, Mathilde se dit “Je vais porter plainte” et au procès, on va projeter les messages que j’ai envoyés dans lesquels, je disais que j’avais envie d’être baisée dans tous les sens. Comment pourrait-elle être écoutée comme victime après avoir écrit ça ? C’est inaudible. Certaines personnes à qui j’ai fait lire le livre m’ont dit “mais elle l’avait quand même cherché”. Mais non. NON. Il suffit qu’elle dise qu’elle n’a pas envie et on s’arrête là. J’avais été frappé par l’“opening statement” de l’avocat de la fille qui avait été violée par Mike Tyson. Il demandait aux jurés de fermer les yeux et d’imaginer qu’ils se promenaient à Harlem, à deux heures du matin. Vous êtes blanc, vous avez une montre en or, des pompes en croco, des liasses de billets qui dépassent de vos poches. Il y a des mecs qui arrivent, qui vous piquent votre montre, vos billets et vos chaussures : vous êtes un abruti, vous l’avez bien cherché, pourtant, il y a bien eu vol. Vous êtes une fille, vous allez à deux heures du matin dans la piaule de Mike Tyson en minijupe, vous êtes la reine des connes. Mais si vous avez dit non, il y a un viol.” Je trouve que le parallèle est fantastique. Avec, en plus, la puissance la puissance de l’écrit : elle sait qu’elle ne sera pas écoutée. Et les faits lui donnent raison puisque le procureur ne poursuit pas les deux agresseurs.”
Malgré #metoo, etc., aujourd’hui encore, une femme qui écrit qu’elle aime le sexe est forcément une pute… On n’a pas progressé, en fait ?
“Ma marraine m’a dit que des femmes de 20 ans n’accepteront jamais que j’écrive ça. Moi, je crois que ça reste une inégalité fondamentale : une femme qui multiplie les conquêtes continue d’être perçue, par une grande majorité de la société – il y a des exceptions – comme une salope ou une nymphomane. Quand un homme qui multiplie les conquêtes reste un Casanova, un Dom Juan. En tout cas quelqu’un à qui on ne fera pas un procès en addiction ou en morale. Ce sera un homme à femmes, quoi. Avec beaucoup de recul, vous vous dites qu’il y a une forme de logique dans tout ça : pendant 300 000 ans, le rapport à la sexualité des femmes faisait qu’elles ne pouvaient pas être inconséquentes parce qu’il y avait le risque de la reproduction quand l’homme, lui, devait continuer à se produire. Depuis 60 ans, il y a la pilule et les règles ont changé mais on ne peut pas s’attendre à ce qu’en 60 ans on rattrape 300 000 ans. Mais c’est fou…”
Dans le rôle du Président, à la lecture, je ne pouvais pas m’ôter de la tête l’image de Xavier Dupond-Moretti…
Il le ferait très bien ! Pour moi, le président a cette espèce d’autorité physique. C’est Philippe Noiret, quelqu’un qui occupe l’espace, qui dégage cette espèce d’autorité. Il n’y a pas d’équivalent aujourd’hui, mais pour moi, c’est Lino Ventura : quand il parle, on l’écoute.”
Mathieu Menegaux, "Femmes en colère" (Grasset)
