Enfin le retour de Théodore Poussin, un grand aventurier singulier et pluriel
Le petit héros a bien grandi en 14 opus, il a pris de l’épaisseur en gardant ses failles.
Publié le 12-02-2023 à 15h39
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Il nous en a fait vivre des aventures ce petit employé de bureau gauche et sédentaire d’une agence de fret internationale située à Dunkerque, à un jet de pierre de Zuydcoote ou même, de chez nous, de La Panne. Théodore Poussin, personnage sorti de l’imaginaire génial de Frank Le Gall, est un grand ado qui alignait quotidiennement sur ses petits carnets trop sages les noms des ports piqués sur les cinq continents. Dakar, Buenos Aires, Shanghai… il en rêvait de ces destinations trop lointaines pour lui, trop exotiques, trop au large pour son quotidien si étroit.
Et puis, en décembre 1928, la nouvelle tombe, il va pouvoir embarquer, quelques jours plus tard, sur le Cap Padaran, direction l’Indochine. Son rêve prend forme. Théodore Poussin n’imagine pas alors les mille périples, les mille dangers, qui vont se dresser sur sa route aussi aventureuse que passionnante, dangereuse qu’épanouissante.
Théodore Poussin est arrivé dans les pages du journal Spirou il y a près de 40 ans, fin 1983 ! En quatre décennies, Frank Le Gall lui a fait vivre quatorze aventures. C’est peu mais quelle densité. Quelle évolution. Quelle gifle à chaque album. Le dernier, Aro Satoe, du nom de la belle qui l’héberge sur son île au bout du monde, est bien dans la veine aventureuse, introspective et exotique de toute la série. Tout au long de ces quatorze aventures, l’auteur grandit et se perfectionne en parcourant le monde avec son héros, sa petite galaxie de personnages qui l’encadrent, le poursuivent, le hantent.
Il faut se replonger dans les premières planches de la série pour comprendre l’évolution du personnage et de son univers. Le héros suit et s’adapte à l’évolution de son géniteur. Le trait, jeté, presque farceur des premiers instants, va s’assagir, se travailler pour se mettre complètement au service des parcours intérieur et extérieur de Théodore Poussin. Le dessin mûrit aussi vite que Théodore prend de la bouteille. Le commis aux écritures va devenir le digne héritier d’un Corto Maltese avec des codes et des ressentis bien à lui.
Dans ce dernier opus, on le retrouve à côté de la belle et, forcément, mystérieuse Aro Satoe. Les noirs de Frank Le Gall sont un pur bonheur quand ils dessinent la silhouette ou soulignent le regard de ce personnage féminin envoûtant. Tout, a priori, sépare Aro Satoe et Théodore Poussin, deux êtres complexes qui se complètent. Deux aventuriers au bout du monde.
Théodore Poussin a dû abandonner l’Amok, son navire et son équipage. À l’exception du capitaine, tous ont été faits prisonniers à Singapour en 1934. Ils attendent leur exécution. Ils comptent sur une intervention de leur chef. Les autorités locales, elles, veulent en finir avec ces malfrats. Poussin veut aller à leur rescousse, Aro Satoe l’en dissuade et l’entraîne avec elle au cœur d’une île mystérieuse, fascinante, qui héberge d’étranges personnages, qui laisse voir d’étonnants vestiges, des traces d’un passé violent.
Au cœur des ténèbres
Ils ne sont vraiment pas seuls sur cette île, toute une petite armée britannique les pourchasse sous les ordres du Major Anderson.
Il y a du Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad dans le périple de Théodore Poussin, qui marche à la fois sur dans les pas du capitaine Marlowe et de Monsieur Kurtz. Il y a aussi une bonne couche d’introspection chez Théodore Poussin qui, seul sur cette île, retrouve certains personnages secondaires lancinant de ses aventures.
Une fois de plus, cette série inclassable nous fait voyager, nous immerge dans des combats sans merci, dans des mondes où tout ne s’explique pas. Une grande aventure pour une série unique. Il ne faut pas avoir peur de replonger dans toute la saga pour bien en appréhender la richesse et son évolution.
